La démocratie, c’est se taire

Du moins, c’est le discours dominant et je commence à avoir envie de donner de petites claques à ceux qui disent ça. A chaque élection, c’est pareil : “tu votes pas, tu te tais” (discours que j’ai moi-même tenu) mais aussi “les gens ont choisi, c’est comme ça, tu te tais maintenant”. Donc en gros, je n’ai le droit d’exercer ma citoyenneté qu’un dimanche quand on me le demande et ce pendant 5 minutes… allez, avec de la chance, y aura du monde, ma citoyenneté va pouvoir durer 30 minutes… Vraiment, c’est la seule proposition, “voter puis se taire”. J’ai un petit souci, là.

Comme vous l’aurez certainement compris, je n’ai pas voté Macron. Ni en 2017 ni dimanche dernier. Jamais. Même pas au second tour, non. Parce que je voyais le fascisme soft du bonhomme, que son élection me paraissait être un danger incroyable pour notre République. Force est de constater que deux ans plus tard, ça ne sent pas bon du tout : violences policières qui feraient hurler tout un chacun si elles se produisaient en Turquie ou Venezuela ou Russie ou [insérer pays peu réputé pour sa grande démocratie], journalistes violentés, tourmentés, inquiétés, arrestations arbitraires, barbouzes ultra-violents… le tout dans une colère assez relative, je trouve. Dois-je m’en étonner dans un pays où on considère que la seule expression tolérable, c’est celle des urnes ? Pas si sûr…

Sans doute que je ne suis pas compatible avec la démocratie représentative telle qu’on nous la propose (impose) en France. Préférerais-je une démocratie semi-directe à la Suisse ? Je n’en sais rien, je n’en connais que les images d’Epinal, finalement. Mais même sans tout révolutionner, je ne comprends pas ce déni d’expression de la part de la majorité de mes concitoyens. Oui, Macron a gagné les élections, comme Trump ou Bolsonaro. C’est le jeu ma pauvre Lucette, il faut se ranger à l’avis de la majorité. Sauf que… Nous, on a zéro contre pouvoir et ça devient très problématique. Merci Chirac et sa dissolution puis son idée de quinquennat qui nous fait tomber les présidentielles et les législatives en même temps. Comme les gens ne sont pas si cons, ils filent la majorité au mec fraîchement élu et c’est parti pour 5 ans sans entrave (le Sénat, je vais moyen le compter, je ne le vois pas vraiment en force d’opposition, surtout en Macronie). Du coup, on est censés subir, même si le mec part en vrille et fait  n’importe quoi ? Non parce que je suis aaaaabsolument persuadée que tous ces gens qui considèrent que seule la voix des urnes compte, à peu près les mêmes qui encensaient le barrage républicain face à Le Pen en 2017, seront les premiers à lever le poing si une M. le Pen était élue.

Pour ma part, je trouve ça sain, des citoyens qui s’expriment même quand on ne leur demande pas, qui ne ploient pas l’échine pendant cinq ans sans lever les yeux vers les sacrifiés de la République. Bien sûr, les partisans du silence en dehors de l’isoloir sont forcément ceux qui ne sont impactés par rien, ceux qui n’ont pas besoin de gérer le budget au centime près en priant qu’il n’arrive pas une merde qui les ferait basculer irrémédiablement dans la banqueroute. Ceux en bonne santé qui ne vont à l’hôpital que pour rendre visite à quelqu’un, ceux qui ont les moyens de payer une école privée à leur gamin alors ParcourSup, là, on s’en fout. Ceux qui ne manifestent pas car seules les urnes comptent et qu’au fond, les blessés, ils l’ont cherché aussi, on leur avait dit que c’était interdit puis tous ces gens qui prennent Paris ou toute ville un peu grande en otage tous les samedis, y en a marre hein. Ceux qui pleurent pour les vitrines et méprisent ceux qui perdent une main ou un oeil. Ceux qui ne voient pas le problème avec Macron parce que franchement, y a pire. C’est intéressant, cette vision d’une démocratie à double vitesse où il faut se taire si le mec au sommet n’a pas l’étiquette d’extrême. C’est fou comme on s’y attache à cette étiquette. Manu, c’est le centre, le meilleur de la droite et de la gauche. Peu importe que dans les faits, il conduise une politique que Sarkozy (ou Fillon) n’aurait pas renié mais n’aurait jamais osé car, estampillés droite, ils auraient essuyé une levée de boucliers. J’exagère ? Vous avez qu’à voir comment les forces de gauche ont été gênées aux entournures quand Hollande a mené sa bonne politique de droite.

Bref, j’ai vraiment du mal avec ces citoyens soit-disant modèles qui ne considèrent la démocratie que par les urnes. Ceux qui ne voient la bête immonde que si c’est écrit sur son front. Ceux qui accusent les citoyens en colère d’exagérer, de voir le mal partout, d’être réfractaires au changement, de ne pas jouer le jeu, de prendre en otage la ville, les usagers, qui vous voulez. Votre manie de clamer haut et fort que vous laissez un chèque en blanc à un mec qui a promis, juré, craché, qu’il ne ferait rien contre vos intérêts, ça m’effraie. Ca m’effraie réellement car Mme Le Pen (fille ou petite-fille) ferait le quart de ça, vous seriez en train de mettre la France à feu et à sang. Mais non, Macron, il est pas méchant, c’est le centre. Laissons le faire. Après tout, cinq ans, c’est pas si long… Juste le temps de démanteler toutes nos lois sociales, sans doute, de tout vendre, de faire disparaître les fonctionnaires, ces feignasses là. On verra bien si vous resterez aussi placide quand il faudra faire un prêt en cas de maladie, que le coût des billets de train exploseront (ils sont si mignons ceux qui pensent que la privatisation et la concurrence vont faire baisser les coûts, c’est pas comme si on avait parlé mille fois du cas anglais. Et je parle des prix mais niveau service, c’est pire)... En gros, si vous n’êtes pas CSP+, ça va devenir compliqué pour vous (comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, aaaaaah le Thatcherisme). Mais Manu, il est “centre”, il a été élu démocratiquement, laissons faire.

Et c’est là que j’ai envie de sortir de la citoyenneté. Pourquoi persister ? On s’y penchera une prochaine fois.