Ce que j’aime dans la vie, c’est me poser des questions. Partir de la plus grande naïveté pour bâtir un discours, une culture, une opinion. Depuis deux semaines environ, nous vivons au rythme de Black lives matter. Je ne vais pas m’apesantir sur les débats parce qu’une fois de plus, en France, on aime bien racler le fond de la poubelle. Non, je suis plus interrogative sur la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. Et si mettre un petit hashtag ou un petit carré noir n’est pas un peu léger.
Semaine dernière, je vois donc mon feed Instagram recouvert de carrés noirs, avec deux ou trois petites variantes pour certains. Une façon de montrer son soutien au mouvement Black Lives Matter à l'occasion du Black Out Tuesday. Comme à l’époque, nous avions tous mis un “Je suis Charlie” lors de la tuerie. Je comprends parfaitement ce mouvement collectif, ce besoin de communier ensemble… Sauf que je me pose la question : est-ce que ce geste a réellement une portée ? J’avais mis mon “Je suis Charlie” puis une variante comme les autres à l’époque. Par contre, en novembre de la même année, j’ai passé mon tour sur les “je suis Paris”, “Fluctuat Nec Mergitur” et autres. Pas par manque de solidarité ou d’indifférence mais plus parce que j’aimais pas cette idée d’exhiber mes ressentis.
Et puis Black Lives Matter. Vous l’aurez sans doute compris, essentiellement parce que je le répète régulièrement, je suis blanche. Je ne suis donc pas directement concernée par les problèmes de racisme. Je suis concernée par le travail de déconstruction et en tant qu’alliée, oui. L’idée de patauger dans une société raciste, même si je n’en serai pas la victime, bof. Même si, j’ouvre une parenthèse, je suis assez convaincue qu’une société raciste est forcément sexiste et vice et versa. Je trouverais étrange qu’on sanctifie un rapport de domination en déconstruisant les autres, vous voyez ? Mais revenons à Black Lives Matter. Quand j’ai vu tous ces carrés noirs sur mes flux, je me suis demandée si je devais le faire ou non. Comme les applaudissements de 20h, le truc que tout le monde a oublié dès qu’on a pu chiller sur les trottoirs.
Je n’ai fait ni l’un, ni l’autre. Essentiellement parce que je ne peux pas m’empêcher, peut-être pas cynisme, d’y voir une façon de se laver les mains et de s’acheter un joli vernis. Mais sur le Black lives matter, c’était un peu plus compliqué puisque je ne suis pas concernée. Est-ce que, justement, je ne suis pas censée manifester mon soutien, d’une façon ou d’une autre. Et puis quel soutien, en fait ? Il y a certes la masse, la démonstration par le nombre. Mais qu’est-ce qui compte le plus ? Un post Instagram copié/collé ou aller me bouger en manifestation, par exemple ? Je ne suis pas allée manifester porte de Clichy semaine dernière… car je suis une flipette. Très clairement, la dernière manif que j’ai faite, c’était celle du 08 mars (bravant la pluie et le covid) parce que je me disais que les flics n’allaient pas charger. Alors que la veille... Ils sont restés calmes mais nous ont pas mal entravés, quand même… Mais bon, donner l’impression de ne pas être seul au monde, c’est important quand même, non ?
J’ai vu de tout. De ceux qui disaient “arrêtez de monopoliser la place avec vos carrés noirs, là, sur le hashtag”. Un rapeur québécois qui soupirait un peu de l’inutilité du truc : ok, exprimer son soutien, c’est bien, mais quoi ? Tu penses en avoir fait assez et tu t’en laves les mains. Je vous mets le lien là, il s’agit de Webster et il est incroyablement intéressant. Je vous conseille vraiment d’écouter. C’est vraiment le truc qui me titille dans l’expression très symbolique d’une solidarité. C’est que j’ai l’impression que “ça suffit”. Comme quand on était gosses et qu’on se mettait un ruban rouge pour la journée de la lutte contre le sida. J’avais 13 ans, mes amis avaient zéro vie sexuelle ou héroïnomane “mais c’était important”. Il y avait, certes, ma mère infirmière, c’était important pour elle. Mais ça reste creux. Les applaudissements n’ont rien généré à part des médailles en chocolat. J’aurais aimé que les carrés noirs engendrent une prise de conscience, quelque chose. Mais quand je vois Zemmour qui vomit sa bile partout, je doute. Je doute que mettre des carrés noirs serve à quelque chose. Je doute même de la sincérité de certains. Pas de tous mais un peu comme les meufs qui se disent féministes sans comprendre ce que ça veut dire.
Alors j’ai pas mis de carrés noirs. J’ai refusé la célébration commune. Parce que moi, je ne suis pas triste pour George Floyd ou Adama Traore. Je suis furieuse.