Longtemps, j’ai cru qu’il fallait tout savoir. Je mourrais de honte dès que quelqu’un parlait de quelque chose que j’aurais dû savoir, je hochais la tête en mode “oui, je sais tout à fait de quoi tu parles”. Ne me demandez pas ce qu’est le “que j’aurais dû savoir”. C’est à peu près tout. Mon inculture m’effrayait, je la cachais comme je pouvais. Et puis, un jour, j’ai réalisé que tout savoir, où du moins faire semblant, n’apportait rien. Par contre, jouer les ingénues, ça, ça peut avoir un intérêt. Ne pas savoir ou, mieux, ne pas comprendre.
Evidemment, je vais parler boulot. Pas question ici de technique de séduction à base de “les hommes aiment dominer intellectuellement”. Jamais je ne trouverai que se rabaisser est une bonne façon de séduire mais c’est pas le sujet. Lors de mes début chez Vinyl, parmi les 3000 de mes défauts que Michel le toxique s’amusa à me jeter au visage durant quatre mois, il y avait mon honnêteté. Quoi ? Oui, quand on me posait une question à laquelle je ne savais pas répondre, je le disais. En précisant que j’allais me retourner vers le bon interlocuteur, hein. Avouer ne pas savoir, c’est être faible. De nous deux, c’est lui qui a sauté. Doublement, en plus, je viens d’apprendre qu’il quittait l’entreprise. Après 20 ans à avoir occupé tous les postes possibles, ça sent moyen l’opportunité ailleurs. Je vous le signale juste pour le plaisir. Bref, j’ai toujours renvoyé les questions à qui de droit et les clients ne s’en sont jamais offusqués.
Mais le “je ne comprends pas” est aussi une façon un peu douce de poser une question un peu gênante à un prestataire. Par exemple, les délais ne sont pas respectés. En début de carrière, j’agressais direct car je croyais ne pas avoir le choix. Depuis, j’arrive tout miel avec ma phrase magique. “Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas prêt à temps. Est-ce qu’il vous manque des éléments ? Puis-je vous aider d’une quelconque façon ?”. Même si je pousse le prestataire à se justifier, je lui ouvre la porte de la conciliation. Et surtout, je demande direct s'il y a des solutions car c'est vraiment ça qui m'intéresse. Parce que vous savez ce qui met un projet encore plus en retard ? Les trente mails où chacun se renvoie la balle à base de “le 09 mai, j’ai envoyé un mail à 14h08 et tu ne m’as répondu qu’à 17h43, on a perdu une demi-journée.” Déjà, ce n’est agréable pour personne ce genre d’échanges stériles. Je sais pas vous mais moi, quand je peux éviter une engueulade, je le fais. D’ailleurs, ça marche. Neuf fois sur dix, je reçois un “t’inquiète, ça va le faire”. Et ça le fait.
Après, il y a le “je ne comprends pas” passif-agressif que je maîtrise à la perfection. Trop sans doute car ça enclenche les fameuses discussions agressives dont je parlais plus haut. Personne ne veut ça. Même si je me régale parfois de ce “Bonjour, je ne comprends pas. Dois-je comprendre que vous me demandez de mettre en chômage partiel des jours où je me suis connectée toute la journée ?”. Je comprends très bien, je suis juste en train de vous casser les burnes et vous le savez. Mais pour créer des preuves écrites, c’est un bijou.
Mais surtout, ça vous offre une paix. Chacun ses combats. Moi, le mien, c’est pas de devenir chef du monde, ça ne m’intéresse pas du tout. Moi, ce que je veux, c’est la paix. Je fais mon job, merci de ne pas me chercher des poux car je ne suis une menace pour personne. La fille appliquée mais pas toujours si futée, celle qui ne sait pas, celle qui ne comprend pas. Evidemment, cette peau tient peu longtemps. On voit très rapidement la manœuvre, surtout à l’heure des bras de fer. Mais ça garantit quelques heures de répit, on porte l’étendard de la personne qui ne cherche pas à attirer la lumière, qui ne cherche pas à briller. Bon, c’est sûr, j’ai passé cette période où j’avais besoin la validation de mes “aînés” symboliques pour mesurer ma valeur professionnelle. Je suis bonne. Malgré les difficultés malgré la toxicité. Alors, oui, vu que je fais visiblement aucun effort pour me faire remarquer, on ne pensera pas à moi à l’heure de nommer un nouveau manager. En même temps, je crois que ce métier, c’est vraiment un job pour personnes toxiques.