Aujourd’hui, je vais vous faire une révélation : les gens n’existent pas. Quoi ? Mais ça veut dire quoi ? Qu’est-ce que tu appelles les gens, déjà ? Les gens, c’est cette masse un peu informe, ceux qui ne pensent pas comme vous, ceux qui vous poussent à agir de telle ou telle façon car eux ne seront jamais raisonnables… Enfin, ça, c’est ce que l’on aime (se) raconter. Mais je me demande : les gens existent-ils vraiment ?
J’ai eu cette idée d’article l’an dernier, je crois. Quand je repensais à l’élection d’Emmanuel Macron, le mec sur qui tout le monde crache mais qui a quand même été élu. C’est quoi le tour de passe-passe, franchement ? La réponse, je l’avais, tapie dans toutes mes conversations pré élections, quand on se demande pour qui voter. Enfin, moi, je savais mais ça reste un sujet de conversation. Le vote est une question de calcul. On se retrouve souvent sur le fil entre vote utile et vote de conviction. Et plusieurs m’ont dit “moi, je voterais bien Hamon mais je veux pas d’un deuxième tour Fillon-Le Pen alors je vais peut-être voter Macron”. Pour moi, Macron a bénéficié de deux leviers essentiels : la relative méconnaissance politique des citoyens qui se sentent le devoir de voter donc le mec au milieu, c’est le moindre mal. Mais surtout il a récupéré un vivier de voix de ceux qui ne voulaient ni de Fillon ni de Le Pen. Alors qu’aujourd’hui, je me dis que Fillon, ça aurait été moins violent. La peur des “gens qui” auraient voté Fillon ou Le Pen a vidé le bassin de voix à gauche. Enfin, la gauche douce, dirons-nous.
En 2020, la nouvelle mouture des “gens qui”, ce sont ceux qui n’étaient pas très respectueux du confinement ou qui refusent de mettre un masque. Ces gens existent, comprenez bien. Comme l’électorat de Fillon ou Le Pen par ailleurs. Cependant, le jour où le masque a été annoncé comme obligatoire, j’ai fait un tour sur le hashtag et là, sans exagérer, les trois-quarts des messages fustigeaient ceux qui ne voudraient pas en poster. Alors moi je veux bien mais les seuls messages antimasques que j’ai fini par trouver dans le tas étaient le fait de Québécois. Alors du coup, vous parlez à qui quand vous vous indignez de personnes ne prenant pas la parole ? Parce qu’en passant sur le hashtag, j’avais l’impression que c’était un acte de courage de choisir de porter le masque et d’affirmer haut et fort que c’est important. J’ai pas vraiment idée de combien ça représente les antimasques, Le groupe anti masque obligatoire compte 11 000 membres, je ne peux pas garantir qu’ils soient tous français et tous convaincus. Même si j’imagine que les pro masques peuvent être vite bannis. Ca reste une goutte d’eau. Le groupe Terre plate pour tous compte, elle, 12 000 membres donc ça relativise énormément. C’est juste la population de la ville de Cernay, une goutte d’eau par rapport à l’ensemble du territoire.
Alors pourquoi on grossit autant les antimasques ? D’abord, la manie des médias de donner autant de poids à deux discours alors que niveau poids de mesure, ça n’a rien à voir. Mais surtout, ça arrange bien tout le monde, ces “gens qui” font n’importe quoi. Côté citoyen, on se place automatiquement dans le camp du citoyen modèle qui porte sagement son masque sans faire d’histoire. Je fais de même, hein, croyez pas. Mais je n’en retire rien de relatable. Pas de selfie de ma personne en train de le poster, pas de tweet pour dire que bon, franchement, ça va, je le supporte. Déjà, mon masque est moche donc zéro raisons de le montrer. Quant à dire que je l’ai porté plusieurs heures d’affilée car j’étais obligée et j’ai survécu… oh wouah, quelle héroïne du quotidien, dis donc. Mais surtout, ça permet à notre Etat de nous coller des nouvelles amendes à la con. Et faisons confiance à nos forces de l’ordre pour bien abuser de leurs prérogatives et du flou de l’obligation, pour changer… Mais bon, faut bien mettre des amendes, y a les “gens qui” refusent de porter le masque si on les force pas. Quelle douce fable.
En vérité, les gens qui sont bien utiles à pas mal de niveau. Pour se faire reluire au niveau personnel parce que nous, on agit mieux que “les gens qui”. Mais surtout au niveau politique où ces histoires de “gens qui” vont vous pousser à être raisonnables pour éviter que ces gens-là dictent le pouvoir en France. Le Front National a été le meilleur épouvantail démocratique des 40 dernières années, leurs électeurs forment une armée bien pratique pour vous guider vers un candidat qui ne représentera pas vos idées mais a de bonnes chances de l’emporter face à la Bête. C’est peut-être que pour ça qu’on ne veut jamais étudier l’électorat du FN/RN… Parce que si on dresse un portrait un peu trop précis, on casse le mythe des “gens qui”