Tu es allé.e manifester ce lundi ? Et bien sache que ce n’est pas tant le sujet du jour, en fait. Enfin, indirectement si mais je suis pas là pour tenir les comptes. Surtout que chacun fait en fonction de ses moyens, de son énergie, etc. Non, aujourd’hui, j’ai envie de parler de la version un peu connexe qui crée un corollaire en manifestation et soutien. Et donc que la réciproque est vraie : si tu ne manifestes pas, c’est que tu soutiens pas. Alors aujourd’hui, on va un peu calmer les juges de la pensée et réfléchir un peu à ce sujet-là. Parce que les manifs, ça peut être sympa mais des fois, ce n’est pas si simple d’y aller. Ou pas safe.
Ah bah les gauchistes, ils soutiennent pas les femmes iraniennes
Repartons à la genèse de cette phrase. Attention, on va parler d’un gros sophiste toutou du pouvoir, j’ai nommé… Enthoven ! Suite aux premiers mouvements de révolte des femmes en Iran, le voilà qui pérore. Sur un plateau, le voilà qui explique que la gauche est bien gênée par cette révolte. La preuve, y a pas un gaucho devant l’ambassade d’Iran pour manifester son soutien. Alors c’est faux et c’est faux. Non seulement la gauche était devant l’ambassade... pour se faire gazer, en plus. Mais surtout, si tu écoutais deux secondes ce que l’on dit, tu te rendrais compte que tu dis n’importe quoi. Aucune femme (ou gaucho) ne défend le port du voile en tant que tel. On défend juste le droit pour une femme de s’habiller comme elle le souhaite. Il n’y a aucune contradiction à s’indigner que l’on interdise les plages aux femmes en burkini ou même juste en leggings, être en colère parce que de jeunes filles ont été exclues des cours car en débardeur alors qu’il fait 35° ou soutenir le mouvement des femmes en Iran. Surtout que celui-ci dépasse la seule question du voile qui est, certes, le signe visible d’une domination étatique violente sur les femmes mais ça ne s’arrête pas à ça. Mais bon, pour la droite étatique qui cherche à discréditer la gauche en toutes circonstances, un “gna gna gna, la gauche adore le voile car ce sont des islamo-gauchistes”, ça sonne bien. Bref, n’écoutez pas Enthoven, en aucune circonstance.
Un rassemblement spontané avant les marches officielles
Certains me diront qu’il n’y avait pas foule le jour J devant l’ambassade et je répondrai que j’en sais rien, vu que je n’y étais pas. Déjà parce que je ne vis plus à Paris mais surtout que j’ai une vie et que je ne suis pas disponible à la demande. On parle là d’un rassemblement spontané. Organisé à la va-vite via des canaux Telegram. Donc si vous n’êtes pas directement militant, peu de chances que vous n’en ayez entendu parler avant que les médias commencent à en parler. Et on en a surtout entendu parler parce que les flics se sont encore lâchés, ça donne envie... Par ailleurs, des marches ont eu lieu les jours suivants avec pas mal de gens. De gauche. Parce qu’Enthoven est un menteur, ne l’oublions pas.
Tu manifestes si tu peux
Mais au-delà de ce sujet spécifique, élargissons le spectre. Nous sommes au coeur d’un grand mouvement de contestations avec des manifs régulières. La question est : dois-je toutes les faire ? La réponse est assez évidente : bah ça dépend de toi. Pour ma part, j’en ai fait pas mal au début, rapport au fait que j’étais au chômage donc ça ne me coûtait rien. Puis une fois j’étais malade. Une autre fois, ça tombait mal par rapport à mon planning vu qu’à Bordeaux, les manifs partent à midi. Sauf le week-end. Puis j’ai trouvé du travail et ça a été terminé pour moi. Parce que je n’ai pas encore de congés et qu’en période d’essai, je suis la Suisse. Enfin, relative, je pense que ce n’est pas trop difficile de savoir de quel côté je penche. Mais ce n’est plus le moment pour moi de marcher. Je me suis rattrapée sur ce 1er mai. Mais… la manifestation n’est pas la seule chose à faire pour signifier son soutien. Plot twist !
Mesurer la vigueur d'un mouvement à la taille de son cortège, c'est un peu court
Déjà, vu l’atmosphère actuelle, je n’ai aucun mal à comprendre que certains ne soient pas très à l’aise à l’idée d’aller manifester. Moi-même, lundi, j’étais un peu tendax quand je voyais des gosses dans le cortège. Alors que bon, on va relativiser. On est en France, ce sont des manifestations autorisées. Pour le 1er mai, on peut même parler de rituel. Mais j’ai eu un peu de stress oui. Parce que nous ne sommes pas dans un rapport de force équilibré. Nous ne sommes pas dans une situation normale et apaisée, loin de là. Même l'ONU nous allume là-dessus, ahah... On va pas pérorer pendant des heures sur le sujet mais oui, les manifs en tant de tension politique en France ne sont pas sereines. Et pas à cause des Black blocs, non. Donc il peut y avoir des tas de bonnes raisons de pas aller manifester. Celle d’un week-end de trois jours est tout à fait recevable, hein. Mais ne mesurer le soutien qu’au bruit des pas sur le pavé est une sacrée mauvaise foi. Est-ce que j’ai accepté la réforme des retraites parce que j’ai trouvé un boulot et n’ai donc plus pu aller marcher avec les autres ? Bien sûr que non.
Jouer la montre pour faire croire que le mouvement s'essouffle
Mais dans un mouvement qui dure, ce petit calcul est pratique. Il devient de plus en plus difficile de faire toutes les manifs parce que contrairement à la bonne vieille croyance populaire, les jours de grève ne sont pas payés. Sauf par les caisses de grève mais c’est de la pure solidarité. Donc dans un mouvement qui s’étire, surtout en période d’inflation, ça devient compliqué de perdre des jours de salaire. Il y aussi la question de la santé. Outre l’inflation, il y a un autre fléau que tout le monde prend bien soin d’oublier à savoir… Le Covid. Ah niveau y a le feu partout, le Covid bat très largement les poubelles, croyez-moi. Franchement, si t’es immuno-déprimé·e, tu peux pas aller en manif actuellement. Oui, c’est en extérieur mais la densité de population est telle que la circulation de l’air ne suffit pas. Et comme dit plus haut, les manifestations ne se déroulent pas dans le meilleur des cadres donc défiler avec une petite santé peut être une mauvaise idée. Faire partir du mouvement, c’est bien mais pas au prix de votre santé, jamais.
Faites péter les chiffres
Alors il faut jouer sur les autres indicateurs. Je parlais des caisses de grève juste au dessus, ça peut commencer par là. Les dons n’ont jamais été aussi importants. Syndiquez-vous aussi. Ah oui, je sais “les syndicats, ils sont vieux, dépassés”. Bah déjà si vous les rejoignez, ça peut aider à rajeunir la base et au passage, s’ils vous arrivent des embrouilles au boulot, vous serez bien contents d’avoir accès à des spécialistes du droit du travail, je vous l’assure. Après, comprenez que l’adhésion à un syndicat ne vous inscrit pas d’office au grillage des merguez, hein. On est dans une bataille de chiffres. Faire grossir les syndicats, c’est un geste. La cotisation est de 1% du salaire net et c’est déductible des impôts. Par contre, si vous voulez vous syndiquer, je vous invite à vous renseigner sur le syndicat majoritaire dans votre branche.
Le moindre geste compte
Mais vous êtes ric rac niveau sous et les caisses de grève ou l’adhésion à un syndicat, c’est complexe. Pas de soucis. Il reste encore toute une gamme d’actions : coller des autocollants, mettre des tracts dans les boîtes aux lettres. Ecrire un article ou faire un visuel libre de droits pour les manifs, juste vous renseigner et discuter avec des gens qui haussent les épaules en mode “oui bah y a pas le choix, il faut travailler plus”. Ah si, si, y a le choix. Bref, choisissez votre voie, c’est pas tant mon sujet. Mais faire partie d’un mouvement, ce n’est pas juste aller marcher dans des rues sous les lacrymos. Ne vous faites pas avoir avec cette rhétorique moisie. Ne vous laissez pas avoir quand on vous dit que le mouvement s’essouffle parce que y a moins de gens dans la rue. Ca, ça va arriver, de façon mathématique. Reste des jours comme le 01 mai pour remettre le clocher au centre du village. N’attrapez pas la veste du copain qui “est de gauche mais manifeste pas”. Déjà, questionner l’engagement des copains à l’aune de ce genre d’événement, c’est carrément un truc de droite. Mais chacun lutte à sa façon, avec ses moyens. Si y a moins de gens dans la rue (ce qui reste à démontrer en plus), la réforme est toujours aussi impopulaire et notre cher gouvernement ne peut plus faire un pas dehors sans se faire pourrir. Ce qui est assez délicieux.
Et surtout, retenez : si Enthoven dit blanc, cherchez le noir.