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Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Notre Dame de Paris, une histoire de male gaze

Publié le 4 Avril 2024 par Nina in Male gaze, Féminicide, Pop culture

Qui termine en féminicide. Samedi, je suis allée voir Notre Dame de Paris, comédie musicale que je n’avais pas vu depuis bien 24 ans. Une oeuvre qui était radicalement sortie de ma vie au début des années 2000 pour y revenir y a deux ans quand Spotify me l’avait poussée dans mes découvertes. Déjà en la réécoutant, j’avais un peu tiqué. Et en revoyant le spectacle samedi, c’est évident : c’est une illustration parfaite du male gaze avec un beau féminicide à la fin. La belle Esmeralda n’a commis qu’un seul crime : celui d’être belle.

Esmeralda l'égyptienne

Une fille trop belle pour vivre

Je vais parler essentiellement de la comédie musicale car j’ai lu le livre y a bien 25 ans et mes souvenirs ne sont pas bien précis. Et j’avais pas la foi de le relire car là, j’aimerais finir Le problème à trois corps pour mater la série mais comme je lis dix pages par dix pages, j’avance pas beaucoup. Et si vous me demandez, oui, je crois bien avoir lu Notre Dame de Paris après avoir acheté le CD album de Notre Dame de Paris, qu’il y avait vraiment un lien de cause à effet. Bref, résumons Notre Dame de Paris : c’est l’histoire d’une jeune fille qui entre dans l’âge adulte et qui attire la concupiscence d’un prêtre, d’un soldat et d’un sonneur de cloche. Le premier veut la tuer parce qu’elle l’excite, le second veut la sauter car c’est un connard, le troisième va la coller jusqu’après la mort. 

Esmeralda et Quasimodo

Phoebus est un pointeur

La comédie musicale est étonnamment fidèle au roman, à quelques nuances près. Notamment le personnage de Phoebus qui se prétend amoureux d’Esmeralda. Alors qu’il veut juste la ken, c’est clairement écrit dans le roman. La chanson Déchiré est cependant très explicite de cette dichotomie de la Sainte et la pute, la bonne épouse et la maîtresse. Il respecte sa promise et a pour elle des égards qu’il n’a pas pour sa future maîtresse. Là où le spectacle met particulièrement en avant le male gaze qui entoure Esmeralda, c’est qu’elle passe la moitié du spectacle à dormir et à se faire reluquer. En gros : les premières scènes où elle apparaît, elle danse et ça excite les trois mâles, ceux qui chanteront Belle. Chanson qui souligne totalement le male gaze puisque trois hommes vont chanter leur désir pour une femme à peine sortie de l’enfance.

Mélanie Thierry est Esmeralda

Esmeralda, la belle passive

Puis Esmeralda va dormir dans la cathédrale, Quasimodo et Frollo vont chanter leur amour pour elle. Puis elle dort en prison et Frollo vient lui faire une déclaration. Puis elle dort dans les combles de la cathédrale et Quasimodo lui chante que c’est pas juste qu’elle soit attirée par le beau Phoebus alors que lui l’aime d’un amour pur. Esmeralda est assez peu actrice de sa vie. Elle est baladée d’un événement à un autre selon les sentiments des protagonistes masculins jusqu’à sa mort. Jamais on ne se préoccupe de ce qu’elle veut vraiment. Elle veut Phoebus, certes, qu’elle aime d’un amour adolescent. Dans le roman, elle a appris à sa chèvre à écrire le nom de Phoebus. Mais en dehors de ça. Même ses vraies origines… Dans la comédie musicale, ça n’existe pas du tout cet arc là mais dans le roman, elle est en réalité une fille de bonne famille enlevée par une bohémienne dans son enfance. Esmeralda n’est jamais maîtresse de son destin.

Esmeralda et Frollo
Oui, c'est Frollo qui malmène Esmeralda

Trop belle pour vivre

Et puis, on en arrive au féminicide. Esmeralda est ici doublement punie : pour avoir séduite un homme promis à une autre et pour avoir excité les désirs d’un prêtre. Crimes qu’elle n’a pas cherché à commettre. Si elle est bien amoureuse de Phoebus, elle ne va pas le chercher. C’est lui qui va la titiller, pas l’inverse. C’est lui qui veut lui voler son innocence en sachant très bien qu’il la jettera derrière. Dans la comédie musicale, elle ne sait même pas qu’il est promis à une autre d’ailleurs. Esmeralda est juste coupable d’être belle. Et elle n’en a même pas conscience puisqu’elle sort de l’enfance. Il y a chez elle une réelle insouciance. Mais capturée par l’homme qui n’a pu l’avoir, elle est pendue. Pendue car accusée d’un crime qu’il a lui-même commis, au passage.

Esmeralda va mourir

Elle ne sera jamais libre, même dans la mort

Alors on pourra me dire qu’il y a également, dans la mort d’Esmeralda, un soupçon de jalousie féminine avec le personnage de Fleur-de-Lys. Certes mais ce n’est pas fondamentalement ce qui va mener à la mort de la belle bohémienne. Ce qui la tua, c’est l’afflux sanguin qu’elle provoqua accidentellement dans la région pelvienne de certains hommes. Même dans la mort, son squelette finira enlacé avec celui de Quasimodo à qui elle n’a jamais demandé grand chose, finalement. Même si la dernière chanson du spectacle était très émouvante, je dis pas, le fait que Quasimodo hurle “donnez la moi, elle est à moi” en parlant de la dépouille de Esmeralda, je… non ? C’est le dernier clou du cercueil. Jamais Esmeralda ne pourra être libre, y compris dans la mort. Parce qu’elle est trop belle et que les hommes gèrent mal leur concupiscence.

Esmeralda, Salma Hayek
Oh well, Salma Hayek a joué Esmeralda

Un pamphlet anti peine de mort

Vous allez me dire que j’exagère, que ce n’est pas du tout ce que voulait raconter Hugo. Et c’est vrai. Le roman a surtout été écrit pour dénoncer les mauvaises restaurations de Notre Dame de Paris. Parce que dans le roman, on a droit à de nombreux, très nombreux, passages descriptifs. Si la comédie musicale met surtout en lumière la belle Esmeralda et ses trois soupirants, dans le roman, l’héroïne, c’est la cathédrale. Le roman sert aussi à dénoncer la peine de mort, décrite comme horrible et injuste, notamment à travers le personnage d’Esmeralda. Au point d’ailleurs d’arracher à une mère sa fille à peine retrouvée. Tout ça parce qu’Esmeralda a fait fourmiller des corps spongieux, damned. 

Le désir de Frollo
Fan art par Danea

Elle était belle et puis c'est tout

Finalement, je crois que c’est ça, le plus intéressant. Le roman de Victor Hugo n’a aucune dimension féministe. Esmeralda est certes femme, une très belle femme. Mais ce qui intéressait l’auteur, c’était le destin funeste d’une innocente morte de la main d’une justice aveugle et littéralement sourde. D’où le procès ridicule de Quasimodo plus tôt dans le roman. La comédie musicale pousse les curseurs à fond sur le male gaze puisqu’Esmeralda est belle et c’est tout. On nous le dit durant deux heures, ce doit être le mot le plus utilisé de toute la comédie. Ca ou “aimer”, je doute un peu. Quand même, la chanson Belle se termine sur Esmeralda alanguie au sol et les trois chanteurs qui l’entourent, debout, lui hurlant leur désir. Ca va les mecs, on vous gêne pas trop ? 

Belle dans Notre Dame de Paris

Les féminicides, ça ne date pas d'hier

Personne n’a voulu raconter une histoire de male gaze et de féminicide en soi et c’est pourtant ce que j’en retiens aujourd’hui. Les esprits les plus taquins, et certainement les moins fins, postilloneront que c’est parce que j’ai l’esprit matrixé par les théories féministes. Je répondrai simplement que les féminicides, ça ne date pas du XXIe siècle, juste qu’on n’avait pas les mots avant. Et les mots, une nouvelle fois, ont une grande importance. 

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