Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Mauvaise victime

Publié le 9 Février 2019 par Citizen Bartoldi in Actualités, féminisme, justice

 

Je suis parfois un peu agacée (euphémisme). Ces derniers jours, j’ai suivi de près le “Procès 36”. Pour ceux qui n’auraient pas suivi : une touriste canadienne accuse deux flics de la BRI de l’avoir violée. Et vu de mon petit coin du net, j’avais un peu l’impression que c’était David contre Goliath. D’un côté, deux flics d’une prestigieuse brigade qui ont l’image pour eux, de l’autre, une jeune femme décrite comme délurée, instable et peut-être un peu alcoolique. Emily S. avait tout de la mauvaise victime.

Le procès du 36 quai des orfèvres

Je vous avais déjà parlé du devoir d’exemplarité qu’on impose souvent aux minorités. Ici, on n’en est pas loin, Titiou Lecoq a d’ailleurs écrit un excellent article sur le sujet que je vous conseille. Notez bien que je ne suis pas juriste, j’ai eu droit à une journée de cours de droit dans ma vie (droit des médias), je vais donc parler de ressenti. Mais un ressenti bien partagé. par d’autres de ce que j’ai pu voir, lire ou discuter. J’ai suivi ce procès via les live tweets de Marie Barbier, Aurélie Sarrot et Thibault Chevillard (oui, trois car ils ne sont pas toujours tous présents et ils ne retiennent pas forcément les mêmes propos, ça permet donc d’enrichir). De la même façon, j’avais pu suivre le procès Amiel et le procès Tron.

La justice

Le procès Tron, justement, gardons-le en tête. Donc le procès du 36. La victime : Emily S., une Canadienne de 39 ans qui était venue sur Paris en 2014* pour découvrir la ville et s’amuser, à priori. C’est une femme qui a le contact facile, qui discute avec des inconnus sans sourciller… et qui semble avoir la cuisse légère. Et c’est là l’horreur de ce procès. A un moment, tu te demandes qui on juge précisément. On va avoir droit à tout le déballage sur la vie privée de la victime : ses mariages ratés, sa liaison avec un jeune homme, le fait qu’elle soit venue avec encore un autre homme, ses tripotages avec un Américain rencontré à Paris dans les jardins du Luxembourg… Bref, des hommes, Emily S. en a beaucoup dans sa vie et on va appuyer là-dessus ad nauseam.

mauvaise victime de viol

Alors petit point “femme libérée et consentement” : tu peux coucher avec tous les hommes de la Planète, à partir du moment où tu dis non, c’est non. Parce que la défense a joué la carte de la non honorabilité de la victime à fond. C’est une menteuse (elle a raconté quelques cracks mais pas sur le viol), une séductrice (je ne suis pas sûre que le mot “nymphomane” ait été prononcé mais c’était vraiment le portrait qu’ils brossaient), une allumeuse vu qu’elle flirtait avec les hommes dans ce fameux bar où elle a rencontré les policiers, elle a même été décrite comme “borderline” par des personnes n’étant pas psy. Borderline… ah oui, comme l’une des victimes** de Georges Tron ? En effet, lors du procès de l’actuel maire de Draveil, les victimes ont été pas mal démontées sur leur relatif équilibre psychologique, l’une d’elle étant décrite comme borderline avec un fort besoin d’attention, blablabla. Ce serait bien qu’un jour, nos amis juristes découvrent la notion de sidération, pour commencer, parce que ça me déprime qu’on en soit encore à demander aux victimes “mais pourquoi vous n’avez rien fait ? C’est pas crédible !”. Mais je digresse.

Une femme en état de sidération

Si ce procès 36 est emblématique et semble s’inscrire ENFIN contre la culture du viol, il nous rappelle cependant très douloureusement que si nous n’avons pas été parfaitement sages, notre parole sera toujours sujet à caution. On en est encore, en 2019, à se dire que, bon, si elle n’avait pas porté un mini-short et qu’elle n’avait pas bu, on en serait peut-être pas là. Alors que je sais pas, moi, je bois en général pour me griser et je mets des shorts parce que je trouve ça joli. Que peut-être, j’aurais envie de flirter un peu parce que ça peut être amusant, grisant. Même, je peux être entreprenante sur une personne… ça ne veut pas dire que je suis open pour tout, pour les autres. Le procès 36 nous rappelle douloureusement, surtout pour Emily. S, que malgré le #metoo, c’est double peine pour les victimes de viol : en plus d’avoir été blessées dans leur chair, elle doivent subir l'opprobre publique, le jugement sur leur vie, leurs moeurs, leur tenue, même.

Selena Gomez en short

En 2019, malgré cette victoire, on se prend une nouvelle fois dans la gueule que le patriarcat se porte très bien, merci.

 

* Les juges d’instruction avaient prononcé un non-lieu en 2016, le parquet et la plaignante avaient fait appel, c’est pour ça que ce n’est jugé que cinq ans après.

** C’est un blog et pas un journal, je refuse d’utiliser l’expression de “victime présumée”, mon intime conviction étant faite.

Commenter cet article