Il n’y a aucune obligation à donner son avis sur tout

Surtout quand il n’est pas éclairé. On vit une époque épuisante, émotionnellement parlant. Tout a goût d’effondrement et de fin de monde. Bon, je suppose que chaque génération a ses périodes de crise et j’avoue que je préfère encore être à ma place qu’à celle de mes neveux et nièces. Car oui, la guerre, on a toujours connu mais si tu rajoutes à ça l’effondrement climatique, bon… On pourrait m’arguer que notre sentiment de panique est largement entretenu par une sphère médiatique devenue omniprésente et continue qui agitent nos peurs les plus profondes. Sans doute. Cependant, ce n’est pas parce que la sphère médiatique pérore H24 qu’on est obligé de la suivre et de donner notre avis, surtout à tort et à travers. 

Un sujet un peu complexe

Evidemment, je parle précisément de l’actualité du moment avec le conflit israëlo-palestinien. S’il est un conflit compliqué à appréhender et à analyser, c’est bien celui-ci car les origines de ce conflit remontent à un siècle. Et encore, est-ce que la colonisation du début du XXe peut être considéré comme le début du conflit ? Vous rajoutez à ça des questions culturelles, ethniques et religieuses, une culpabilité internationale vis-à-vis du peuple juif, des enjeux géopolitiques et stratégiques qui concernent toute la région, des alliances…  Sérieusement, je pense qu’il est possible de publier un livre en 10 tomes de l’histoire sanglante de cette région au XXe siècle en restant juste purement factuel. Donc oui,  on est sur un sujet compliqué qui a en plus quelques bases un peu vaseuses genre antisémitisme et islamophobie. Dans le sens où selon ce que tu dis, tu vas vite être accusé.e de porter une parole antisémite ou islamophobe alors que ce n’est pas ton propos. 

Une actualité effroyable

Le 07 octobre, l’innommable a eu lieu. Le Hamas a lancé une offensive ultra-violente sur des Israéliens et je ne crois pas que quelqu’un soit à l’aise pour amoindrir ce qu’il s’est passé. On peut discuter vocabulaire ou psychiatriser tout ça en expliquant que la haine fait faire n’importe quoi, je vous avoue que je ne comprends pas l’intérêt. Pas plus que celui de débattre pendant 107 ans de l’existence de bébés décapités ou non. Il me semble qu’on peut admettre que ce déferlement de violence a donné lieu à des crimes effroyables sans jouer sur la gradation de l’horreur, voyez. Non que ça me permettra de mieux dormir mais j’ai l’impression qu’on touche à un voyeurisme assez dégueulasse ici. Et une surenchère débile des éditorialistes de plateau qui vont décréter c’est qui qui le pire entre ceux qui décapitent des bébés et ceux qui envoient des centaines de missiles par jour pour éradiquer une population. Là, encore, cette course à l’échalote me paraît stupide et hors de propos. Une vie est une vie et si vous trouvez que, dans ce cas, la mort de l’un est moins grave que la mort de l’autre, c’est qu’effectivement, vous avez les pieds dans la vase susnommée. 

C'est qui que tu préfères ?

Bref, depuis dix jours, nous sommes sommés de trancher. Tu préfères les juifs ou les arabes ? Pardon mais j’ai limite l’impression qu’on en arrive là. Si tu ne dis rien, c’est soit que tu es une petite bourgeoise blanche bien planquée sur ton canapé, égoïste, qui s’en fout des malheurs du monde. Soit que tu soutiens forcément le mauvais camp. Toute tentative de parole nuancée est annihilée par des ergotages de vocabulaire, des accusations d’être antisémite ou soutenir des terroristes… Avec cette obligation de jouer des claquettes à gauche pour bien s’assurer qu’on n’est pas dans l’antisémitisme. Alors oui, la gauche est régulièrement peu clean sur le sujet mais j’ai envie de dire que ce n’est pas le sujet. Quand je dis que Georgia Meloni dirige un gouvernement d’extrême-droite, je ne suis pas italophobe. Du coup, pourquoi c’est problématique de le dire pour Netanyahu. Rappeler le nombre de civils morts en Palestine avant le funeste week-end, ça ne veut pas dire que les personnes massacrées, pas toutes israéliennes d’ailleurs, méritaient de mourir. Ca veut juste dire que croire qu’un retour à la normale est possible avec les acteurs actuellement en place est juste impossible. Et, qu’en attendant, y a un peuple qui meurt tandis que la communauté internationale se tortille sur ses sièges à l’ONU.

N'étale pas ton ignorance comme ça

Je crois que donner son avis sur un tel sujet est une gageure. Surtout sur les réseaux sociaux où la brièveté du message entraîne forcément approximations et donner du grain à moudre à ceux qui ont, de toute façon, décidé que vous étiez “contre leur camp”. Des gens concernés de loin par le conflit, la plupart du temps, mais ils ont leur camp. Et si tu n’es pas avec eux… Franchement, suite aux attaques du Hamas, et encore aujourd’hui, j’ai lu des avis et commentaires d’une stupidité… Vraiment, ce n’est pas obligé de prendre la parole, hein. Surtout quand on ne sait pas. Par exemple, si tu crois qu’avant l’attaque du Hamas, la région était un petit paradis sur Terre où tout le monde se salue poliment, c’est que tu n’es pas qualifié pour avoir un avis plus poussé que “tuer des gens, c’est pas bien”. C’est vrai. Mais ça devrait être vrai pour les deux côtés, tu ne crois pas ? Si non, les pieds dans la vase, tout ça. La vraie vie, c’est plus compliqué que “y a les gentils et les méchants”. C’est plus compliqué que de considérer que tout un peuple est raciste ou assassin parce que des personnes les représentant, de façon légale ou non, font de la merde. Même de gens qui ont voté pour eux. Bien sûr qu’il y a des turbo racistes et fachos en Israël, surtout dans l’armée. Exactement comme en France, je dirais. Ca ne veut pas dire que tous les Français ont un poster du débat Darmanin - Le Pen dans leur chambre.

Disqualifiée d'une simple étiquette

De toute façon, pourquoi dois-je toujours donner mon avis ? Surtout sur des sujets aussi brûlants. Outre les raccourcis parfois malheureux, le risque d’être pris à parti est élevé sur un sujet aussi “passionnel”. Et il arrive parfois, souvent, que nous n’ayons pas le chill pour ça. Je viens de commencer un nouveau job qui me prend une bonne partie de mon énergie, surtout mentale. Je dois apprendre les arcanes du secteur d’activité de ma boîte et mon jus de cerveau est déjà principalement consacrée à ça. Donc non, j’ai pas envie de consacrer le peu qu’il me reste à faire la bagarre avec des inconnus qui auront décidé que de toute façon, je suis antisémite donc mon avis… J’ai vraiment été traitée d’antisémite par le passé. Par des gens dont l’avis m’intéresse peu donc ils pensent bien ce qu’ils veulent dans l’absolu mais c’est agaçant de réaliser immédiatement l’impasse argumentaire puisqu’on te disqualifie via une simple étiquette. La nuance est impossible sur ce sujet en particulier… et sur la guerre en Ukraine aussi où on retrouve pas mal de mêmes mécanismes. La dimension religieuse en moins, néanmoins. 

J'ai le droit de garder mon avis pour moi

Donc non, donner son avis n’est pas une obligation. Par humilité, manque d’énergie, prudence… Y a bien que les trous du cul pour aller vérifier si vous avez bien fait votre tweet de soutien à X ou Y parce que sinon, c’est un signe de radicalisation. Et quand bien même, j’ai toujours trouvé un peu creux les expressions de tristesse publique, surtout de la part de simples citoyens. Evidemment que je suis horrifiée par les massacres de masse, qui qu’en soient les auteurs. Evidemment que si je me positionne trente secondes à la place des victimes, je ne ressens qu’horreur et effroi. Et encore, je ne pense pas avoir assez d’imagination pour embrasser toute l’horreur qui te terrasse quand tu vois des ennemis s’en prendre à tes enfants. Seul un psychopathe resterait froid face à ces récits. Mais qui a besoin que je vienne ajouter une pierre aux milliers de “toutes mes pensées à”. Ca ne dit rien de ma peine, de ma solidarité. Juste que je ne suis jamais à l’aise sur ces expressions de sentiments. Je ne RIP pas les célébrités mortes ou je n’exprime pas ma tristesse à ce sujet. Déjà parce que ces personnes ne font pas partie de ma vie et si je peux être touchée par une mort précoce ou par le fait qu’un artiste que j’aimais fort ne produira plus rien, marquant une sorte de fin d’époque, on s’en fout de ce que je pense. Jusqu’à preuve du contraire, un avis ou un sentiment est de l’ordre du privé, de l’intime. Et je choisis de l’exprimer ou non. Et la plupart du temps, si mon avis n’apporte rien de plus ou que je n’ai pas l’espace de bien l’étayer, pourquoi le partager ?