Hier, sur mon blog bien-être, je parlais du coaching de vie et que du fait que c’est pas parce que ça va pas si mal dans ta vie que j’ai pas droit d’améliorer deux ou trois petits trucs pour que ce soit encore mieux. Et je n’ai jamais supporté cette espèce d’injonction à accepter son sort parce que y a pire ailleurs. Je ne vois pas le rapport en réalité.
On a tous des phases un peu down, ça arrive. Souvent, il n'y a rien de grave. C'est juste un spleen qui passera à coup de soleil, de soirées entre amis voire d'une série ou d'une musique qui nous mettra du baume au coeur. Parfois, ça peut être plus long et plus difficile car il ne s'agit plus de vague à l'âme mais de quelque chose qui nous affecte. Une rupture, un travail qui ne se passe pas très bien voire franchement mal (croyez mon expertise sur le sujet). Dans ce cas là, on ressent comme un besoin de s'épancher, de vider le vase avant qu'il ne déborde et provoque la catastrophe. Et là, t'as toujours une bonne âme qui, pour te donner de l'élan, va te sortir "oh, ça va, y a pire !"
Alors oui, Jacqueline, tu as raison. J'ai pas de cancer, de quoi je me plains (et encore, si mon cancer est curable, ça me rendra moins pire que d'autres) ? Alors de façon très froide et théorique, j'ai tendance moi même à penser que tant qu'on a la santé, la jeunesse et la tune (dans le sens "ne pas finir à la rue à la fin du mois" et pas "m'acheter un bateau", vous l'aurez compris), rien n'est si grave. Tant que personne n'est mort, on peut se relever. En pratique, on a chacun nos histoires et nos sensibilités. Ton dernier crush t'a largué.e au bout de deux mois. Ohlala mais c'est quoi deux mois dans une vie ? Viens, on va manger de la glace et ça ira mieux. A froid, on peut tous avoir la même conclusion.
Sauf que peut-être que ça tombe au mauvais moment. Vous savez, ces périodes où, pour une raison ou pour une autre, les merdes s'accumulent et que vous vous retrouvez un beau matin à pleurer vos grands morts parce que vous venez de renverser votre café. Parfois, quand je repense à mes ruptures passées, je me demande pourquoi certaines sont passées crème et d'autres m'ont arraché le coeur... ce n'était pas une question de sentiments ou d'implications, juste de fragilité au moment T. Moralité : même si au fond de vous, vous en avez marre d'avaler un pot d'Häagen dasz tous les deux mois avec votre pote régulièrement largué.e, ne lui expliquez pas que y a pire. Ca n'a jamais consolé personne, déjà, et ça ne solutionne rien.
Mais mes petites histoires de rupture, là, ou de café renversé, ce n'est que la partie immergée de l'iceberg. le "y a pire ailleurs" est un outil de soumission extrêmement puissant. Oui, vous ne l'aviez pas vu venir celui-là ! La première fois que j'ai vu cette notion, c'était dans le "Bullshit jobs" de David Graeber où le "y a pire ailleurs" nous encourage à accepter des boulots peu gratifiants et épanouissants car y a pire ailleurs. Le fameux "problème de riches" dont je parlais hier sur mes carnets. Le problème du pire ailleurs, c'est que ça semble tuer toute revendication, y compris légitime. C'est sûr que mon job est moins pénible qu'un ouvrier en bâtiment qui doit bosser en extérieur les jours de pluie glaçante ou une caissière dans un bruit constant et une lumière crue. Même, j'avais une croyance tenace disant qu'être payée à rien foutre, c'était la panacée. Aujourd'hui, c'est mon cas et franchement... c'est la merde. Peut-être parce que l'absurdité de la situation (me manger deux heures de transport pour regarder des vidéos Youtube en jouant au Mahjong) me paralyse. Non parce que le pire en fait, c'est que je n'ai rien à faire, tout le monde le sait très bien mais je reste collée à mon ordi à faire genre et je cache vite mes onglets quand quelqu'un s'approche (et dans ces cas-là, le double écran est pas ton ami car le commercial qui est venu me parler a eu droit à la face de Rosalie Vaillancourt en arrêt pendant 15 mn). J’accepte ma situation car j’ai un objectif : Toulouse.
Mais la question est : jusqu’à quel degré doit-on se taire, niveau société ? Parce que finalement, où se trouve la pire situation ? Moi, je suis empesée par mon bullshit job mais j’ai un job, déjà et pas si pire. La caissière qui se fait agresser par le bruit, la lumière, les clients, c’est pas un idéal de vie mais elle a un salaire, elle, de quoi elle se plaint ? L’étudiant qui veut plus de bourse, il est gonflé, y a des gens qui ne peuvent même pas faire d’études ! Oui, ok, ce mec n’a plus de maison mais il a toujours sa voiture pour dormir dedans contrairement au SDF qui dort dehors ! Et encore, ce SDF, il a une bonne place sur une grille chauffante du métro contrairement à celui qui doit dormir sur le trottoir… On peut descendre très loin pour trouver la situation du pire et donc, ne pas tolérer les plaintes de ceux qui ont un salaire, un toit… S’il est souhaitable que le collectif s’occupe en priorité du mec qui dort sur le bitume, je ne crois pas que ce soit une raison pour refuser les améliorations par ailleurs, accepter un sort qui ne nous satisfait pas. Est-ce que l’on veut vraiment d’une société où les personnes travaillent sans réellement comprendre le sens de leur job. Doit-on accepter de tirer un trait sur sa vie privée parce que bon, ok, on a un travail chronophage mais nous, au moins, on a un travail alors ça va, hein. Alors que les burn out, bored out, browned out et tutti quanti se multiplient, est-ce que la seule réponse, c’est se dire que ça pourrait être pire ?
Mais il y aura toujours pire, quel que soit le sujet. Maintenant, ce qui serait bénéfique pour tous, c’est qu’on commence à considérer le mieux pour progresser vers lui.