Ce confinement me donne une impression de loupe. Tous les comportements citoyens ou humains que l’on observe en temps normal prennent des proportions insensées. Exemple ? Oh bah la volonté d’exhiber son badge de citoyen.ne exemplaire. Exhorter les gens à agir dans l’intérêt général ou soutenir comme on peut, c’est tout à fait louable. Le problème, c’est que le jugement et le mépris ne sont jamais loin.

Balayons tout d’abord l’exemple de l’abject. Les voisins un peu trop sensible à l’intérêt général qui, pour le “bien de tous”, enjoignent le personnel soignant à aller habiter ailleurs pour ne pas contaminer l’immeuble. Là, personne n’est dupe, ils n’agissent pas pour le bien de tous mais bien pour leur gueule. Je ne sais pas s’il y a du personnel soignant dans mon immeuble. Avec un peu plus de 80 appartements, c’est fort probable. A aucun moment, cet état de fait m’inquiète. Je pourrais aussi parler de la délation allemande, tous ces citoyens qui décident que les autres n’ont rien à faire dans la rue. C’est vrai, moi-même, quand je sors, je m’agace des joggers qui contournent des barrières les invitant à ne pas traîner par là comme si de rien n’était. Je me demande si le jogging aura toujours aussi bonne presse à la sortie de la crise. Moi qui déteste courir, je ne serais pas fâchée qu’on arrête de nous vanter ça. Non, monsieur, je tiens à mes genoux. Alors que la marche, quelle douceur.

Mais je ne parlais pas de ces gens-là, donc. Reprenons par ordre.
Alors je vois pas mal de colère et de critiques sur ces applaudissements. Perso, je peux comprendre qu’en cette période où la plupart d’entre nous sont impuissants, on ressent un besoin de communion et de gratitude. D’avoir la sensation d’apporter sa pierre à l’édifice. Cependant, de plus en plus de personnes, personnel soignant compris, dénoncent l’hypocrisie du procédé. Comme disait ma mère, ancienne infirmière “c’est gentil d’applaudir mais ça console pas du salaire des soignants”. Il va falloir se montrer cohérent, maintenant. Les soignants, on va pas juste les soutenir quand ils risquent leur vie, faudra le faire à la sortie. On va marcher à leurs côtés pour réclamer des gros sous. Pour eux mais aussi pour nous, pour nos parents. L’hôpital et les patients ne méritent pas qu’on regarde à la dépense. Bref, si vous êtes un champion de l'optimisation fiscale et vous hurlez vos grands morts dès qu'on parle impôts, par pitié, n'ayez pas l'hypocrisie d'applaudir.

Je déteste ça et nous devrions tous mettre fin direct aux hashtags de parfaits petits citoyens. Parce que je trouve que ça vide de sens. Déjà, à partir du moment où c’est repris par Facebook/Instagram, machine à fric ultime, ça me fait bipper. Déjà, le 15 mars, j’avais un fil story dédié aux #jaivote. Ah oui, bravo… Le fait d’aller voter était imprudent. Et j’y suis allée, hein. Ca a été un dilemme de ouf le dimanche, ne sachant pas de qui je faisais le jeu en y allant ou pas. Aujourd’hui, je regrette amèrement. Mais là, pardon mais vos #restezchezvous, j’en ai ras l’artichaut. Désolée mais c’est creux et poseur. Tout le monde dans vos proches et votre communauté va rester chez elle. Est-ce que vraiment, quelqu’un vous a répondu “non, moi, je sors, lolilol”. A part les joggeurs, peut-être… Je m’acharne pas, ce sont les seuls que j’ai vus raconter qu’ils couraient 14 km par jour sinon, ça comptait pas. Perso, j’adore marcher mais je m’en passe, je fais le tour du jardin privé de la résidence, un peu de stepper et voilà. Bref, plus qu’une injonction, j’y vois un moyen à se poser un peu au-dessus de la mêlée, être de ceux qui enjoignent car, eux, ont déjà compris. Mais on est chez nous, déjà. On a compris, passez à autre chose. J’ai même vu ce hashtag sur une pub de La Redoute. D’ailleurs : rester chez nous, ça veut pas dire commander des trucs non nécessaires (ou alors en envoi différé à la fin du conflit).

Juger les gens dehors
Mardi dernier, réunion conf call d’équipe, mon collègue qui slurpe sa propre salive sort un “je suis sorti hier faire les courses, y avait des gens dans la rue, je comprenais pas ce qu’ils faisaient là”. Bah… et toi ? L’un des premiers jours d'un confinement, j’ai vu un compte Twitter très suivi faire des blagues sur le fait de tirer au lance-pierre sur les gens dans la rue parce que le confinement, c’est pas pour les chiens. C’était drôle parce qu’en comm, y avait plein de gens qui commentaient en mode “oui, hihi. Moi, je vois bien qu’on me regarde mal quand je suis dans la rue alors que je vais au travail…” Hé oui car n’oublions pas qu’en France, on ne vous empêchera jamais d’aller travailler si votre patron l’exige. Oui, les gens dans la rue n’y sont peut-être pas juste pour défier l’autorité, ils ont souvent une raison. Moi, samedi, par exemple, j’ai dépassé le kilomètre autour de mon domicile… pour me rendre chez le docteur. Ai-je été jugée par les autres gens dans la rue ? On dirait Brigitte qui se balade sur les Bords de Seine et qui s'étonne que les gens en fassent autant.

Car le vrai souci ici, c’est toujours cette notion de “je suis meilleur que les autres” ou plutôt “l’autre est forcément un con indiscipliné”. Bien sûr qu’il existe des cons indisciplinés qui se pensent plus forts que les autres (c’est une permanence, ça), la télé adore leur consacrer des reportages, d’ailleurs. Bien sûr que certains joggeurs abusent. Pas forcément par pure défiance ou désobéissance. “Oui, je dépasse le kilomètre autour de chez moi mais je ne m’approche de personne”. S’il le faut, cette personne est deux fois plus précautionneuse que vous, que moi. Le problème, en lui hurlant dessus de “RESTE CHEZ TOI”, le message ne passe pas. Parce qu’effectivement, un mec qui court tout seul sans s’approcher de qui que ce soit et ne touche rien ne propagera pas la maladie. Par contre, qui dit performance sportive dit risque de blessure et personne n’a le temps pour ça.

Mais surtout, j’ai peur des portes que ça enfonce, des limites de l’acceptable toujours repoussées. Ouvrez les guillemets a fait un numéro très intéressant là-dessus car oui : en considérant que les autres sont des cons qui ne comprennent rien et qu’il faut les contraindre, c’est l’idée démocratique qu’on écorne chaque jour un peu plus…