La vie est dure quand on a des convictions. Moi, j’ai pas de chance : je suis de gauche et féministe. Je souffre en ce moment, je souffre. Alors aujourd’hui, j’ai un peu envie de sortir un petit laïus féministe, pour pas trop changer. Je ne vous parlerai pas des césars car je ne suis pas sûre d’avoir une réelle pierre à l’édifice à apporter. Surtout que je me considère peu légitime à parler cinéma vu que ce n’est pas un média qui me parle. Je me dis cependant que dès que je suis installée à Toulouse, je vais aller à l’Utopia autant que faire se peut pour aller voir des films de réalisatrices. A défaut de savoir comment militer, moi, je porte ma voix via le porte-monnaie. Mais je veux pas vous parler cinéma mais les injonctions et charges mentales qu’on se ramasse en permanence, nous les femmes. Notamment celle de notre propre sécurité.
Je n’ai jamais pris de cours de sport de combat ou self-defense ou ce que vous voulez. J’ai fait du body combat, une fois, ce fut fort rigolo. Pourtant, je suis une femme et quand on est une femme, les rues sombres de la nuit nous veulent du mal. Enfin les hommes indélicats, ces inconnus qui n’ont ni famille ni amis, apparemment, vu que personne ne les connaît jamais. Quand je suis arrivée à la fac du haut de mes 18 ans, fraîche et naïve, je croisais une ancienne camarade du lycée diplômée un an plus tôt que moi. Son premier conseil : aller m’acheter une bombe au poivre en mode “tu es grande maintenant, il faut se comporter comme tel.”
Psychopathe ? Pas du tout. Les magazines féminins glissaient quelques préconisations au milieu des paillettes et du glamour. Utilise tes clés pour griffer le visage, tape dans les couilles, vise les yeux. Pas dans le même geste, les couilles et les yeux, hein. Moi-même, j’ai appris à me déplacer dans la ville en limitant les risques. J’évite certains quartiers, certaines rues, certains individus. Je me tiens droite, d’un pas assuré et non précipité, l’air un peu indifférent. En mode, j’ai peur de rien car je ne prends pas conscience de mon environnement. Histoire de m’éviter déjà les relous qui ont envie de faire un peu peur à la fille effrayée qui passe pas loin d’eux.
Sauf que maintenant que je me suis débarrassée des oeillères patriarcales, je m’étouffe d’indignation. On me dit depuis ma plus tendre enfance que je dois ne pas aller dans la rue ou tout du moins de ne pas le faire sans être prête. Pas de talons, pas de gros sac, pas de jupe, pas de décolleté, pas de, pas de… C’est quand même formidable de noter qu’à l’ère de la soi-disant égalité, la rue n’est toujours pas à nous. Sortir seule dans la rue, c’est risquer d’être importunée. Au mieux, j’aurai juste droit à un relou qui va m’insulter parce que j’ai pas répondu à son interpellation. Au moins pire, un mec qui va essayer de m’embrasser ou de m’enlacer alors que je ne le connais pas et que j’aime pas qu’on me touche. Au pire, je vais vraiment avoir peur. Alors que moi, à la base, j’étais juste là pour aller quelque part, je ne demandais rien à personne. Peut-être même que j’allais au travail, apporter ma petite pierre à l’édifice social. Bon, moi, vu mon travail, c’est en payant mes impôts que je participe.
Alors déjà que je suis pas déjà la bienvenue en tant que femme, on me reproche de ne pas agir comme il faut. En gros de ne pas être prête à toute éventualité. Comme avoir pris de cours de self-défense pour démonter les dents de celui qui m’agresse. Comprenez que dans l’absolu, je suis assez chaude pour casser des trucs aux agresseurs. Mais en vrai, je n’aime pas la violence, ça m’oppresse. Et surtout : putain mais j’en ai marre de cette double peine permanente juste parce que le spermatozoïde qui a gagné la course lors de ma conception portait un chromosome X.
C’est vrai. Pourquoi je suis en danger le soir dans la rue ? Parce que les hommes. Ceux qui draguent lourdement parce que choper un 06 va flatter leur ego (même s’ils l’obtiennent de force), ceux qui veulent me toucher, m’embrasser. Parce que c’est la fête, par exemple. Ceux qui volent me voler car avec mes chaussures, je suis pas en état de courir. Et ça, c’est encore si je m’en sors bien. Alors question : pourquoi c’est à moi de sacrifier un peu de mon temps déjà si précieux parce que vous êtes des merdes ? Parce que vous ne savez pas vous tenir. C’est toujours aux filles qu’on fait porter le poids du drame. On nous apprend à ne pas provoquer mais aussi à savoir se défendre si jamais… Déjà, moi, je veux bien ne pas provoquer mais je ne me fais jamais autant draguer que quand je suis en jogging. Concrètement, la meilleure façon de ne pas provoquer, c’est d’être chez soi. Parce que l’homme importun de rue n’est pas là pour trouver l’amour mais juste exercer sa domination, encore et toujours.
Alors, non, ce n’est pas à moi d’encore assumer ce poids. Les rues ne sont pas sûres non pas parce que les meufs ne cassent pas assez des dents mais parce que les mecs ne font preuve d’aucune empathie. Que vous n’éduquez pas vos fils, vous n’éduquez pas vos potes. Que vous croyez que les rues peu sûres sont l’affaire des “wesh” et co. Alors que non. Toutes les femmes pourront vous témoigner qu’elles ont été importunées par tous les types d’homme : couleur, âge, classe sociale. TOUS. Et vous le savez bien puisque vous tremblez pour vos filles, vous adorez vous faire le gardien de leur vertu en mode “je démonte le premier mec qui l’approche, je sais bien ce qu’ils ont en tête, les garçons…”. Mais à part ça, vous n’êtes jamais le problème.
Alors arrêtons. Arrêtons de culpabiliser les filles. Elles, elles n’ont rien demandé. Elles voulaient juste s’amuser ou se rendre à un endroit. On devrait pouvoir le faire sans peur et sans ceinture noire de judo.