Le monde du travail n’a de cesse de nous la mettre à l’envers. Ni plus, ni moins. Parmi les multiples arnaques pour te soumettre et faire taire tes revendications ou colère légitimes, la question de la vocation. Elle est doublement vicieuse celle-ci puisqu’elle va pouvoir légitimer que vous soyez très mal payés vu que vous faites un métier passion. Moi, j’avoue, ma passion,c ‘est avant tout de vivre… et notamment de m’alimenter.
T'es passionné, tu coûteras pas cher
Quelque part en 2010, je passe un entretien en cabinet. Le recruteur, zélé, me fait un retour sur mon caractère “c’est génial, vous êtes passionnée… mais trop. On sait qu’on vous aura pour pas cher.” Que ? Non mais mec, je m’en fous de ton taf dans l’absolu, ça n’a jamais été ma passion le social media ou le marketing au global mais si je suis venue jusqu’à toi, c’est parce que je veux changer de boulot et plutôt shnell vu que je suis dans un environnement toxique. Encore. Oui, c’est la fameuse boîte où j’ai pris du lexomyl pour aller bosser. Passons sur ce point pour accéder au suivant, le “pas cher”. Le monde du travail, il considère que t’es un pigeon qui devra déjà être content de bosser dans sa passion, va pas réclamer des sous en plus.
Oui parce que cette culpabilité est souvent présente chez les audacieux qui réclament un travail gratuit payé en visibilité. “Tu ne dois pas être un vrai artiste si tu demandes de l’argent”. Non mais je suis un vrai être humain qui décède si je ne mange pas, yay. Ok, le recruteur veut bien te filer de l’argent… mais attention, il a une enveloppe, deal with it ! Et là, c’est reparti pour un tour ! Non mais attends, tu peux passer ta journée à exercer ta passion en étant payé et tu renâcles. Pffff, t’es pas si passionné que ça. Franchement, j’ai longtemps eu un petit malaise sur la négociation salariale sur ce sujet. C’est à dire que je postule généralement sur des postes qui me branchent pas mal donc je suis toujours motivée à la base et quand on me faisait le coup de l’enveloppe trop petite, je lâchais des “non mais tout est négociable, hein !”. Non, madame. Sois consciente de ta valeur. Sur un entretien, on s’était quittés en mode “bon ben tant pis, pas assez de budget”. J’ai finalement eu le job au salaire demandé.
Le pire, ce sont pour les métiers “utiles” genre la santé. Ca doit un peu vous parler, actuellement… David Graeber en parlait dans Bullshit jobs de tous ces métiers utiles que l’on paie mal, comme si leur importance au sein de la société suffisait à les nourrir. “Nous, on fait des boulots de merde, on mérite un gros salaire en guise de préjudice moral !”. Alors je suis persuadée que ma boîte me doit beaucoup d’argent pour la façon dont elle me traite, y a de la maltraitance, comme la plupart des boîtes. Je vous jure que durant mon préavis, je vais imprimer tous mes romans pour correction ! Oui, je n’ai jamais su où étaient le reste des fournitures, je suis pas sûre de pouvoir même piquer un Bic. Bref. Cependant, lors de l’une de mes milles et unes crises de vocation, j’ai envisagé d’être institutrice. J’aime l’idée de transmettre le savoir. Quand j’ai vu le salaire moyen d’une institutrice en fin de carrière versus le mien qui n’est même pas à la moitié de mon parcours professionnel, j’ai comme eu la nausée. Il y a donc cette personne qui prend vos enfants du petit matin jusqu’en fin de journée, qui essaie d’en faire des individus corrects, qui lui apprend les bases… et qui subit les crises, les cris, les petites insolences. Et à cette personne, vous ne lui donnez rien ? Ah mais oui mais elle a la vocation et quatre mois de vacances par an, d’abord ! Alors j’ai pas d’enfants mais je crois que j’en aurais, j’aurais une telle gratitude envers cette personne qui va l’aider à bien grandir que j’ai quand même envie que cette personne n’ait pas de stress vis-à-vis de ses finances. Oui, l’argent est une charge mentale, (re)lisez Les utopies réalistes.
Bref, le métier vocation est encore une belle arnaque du monde du travail pour vous payer moins… et vous exploiter plus de huit heures par jour. Car n’oubliez jamais : quand on aime, on ne compte pas.