Tel qu’il est présenté dans les médias mainstream, oui, absolument. De droite et réservé aux riches, aussi. Et je ne suis pas hyper originale dans ce constat. Ça a déjà été formulé par Julia de Funès, Eva Illouz… Parce que le bonheur au sens développement personnel , c'est affaire de consumérisme et de productivité. Et de grosse tunasse, aussi.
Réaligne-toi avec ton vrai toi
Revenons à Happycratie. Au début du roman, j'étais un peu circonspecte. Lutter contre une société qui veut nous rendre heureux, est-ce vraiment crédible ? Moi, je veux être heureuse. Toi aussi et puis toi. On aspire tous au bonheur, quelle que soit la définition qu'on y colle derrière. Si le bonheur peut revêtir milles et uns visages, le malheur, lui, a toujours la même trogne. Celui du désespoir et de la langueur, un désir fou d'apaiser la douleur, d'avoir une télécommande pour accélérer et arriver à la période heureuse. C’est souvent la promesse des sectes, par exemple. Si je prends la scientologie, c’est mot pour mot leur credo. Viens, on va te débarrasser de toutes tes expériences négatives pour t’élever. Et dans la même veine, on a de très nombreux courants de développement personnel, terme fourre-tout qui veut tout et rien dire. Beaucoup vont t’expliquer que ton malheur vient de blessures non-refermées, d’un décalage entre ton toi profond et ta vie, ce genre de choses. Donc si tu alignes tout et que tu soignes ce que tu as à soigner, tu seras heureux. Et pour ça, il va falloir acheter plein de livres et de menus objets pour suivre la méthode…
Le bien-être, ça coûte bonbon
Vous allez me dire qu’un livre de poche sur le développement personnel, c’est quelques euros, ça va. Sauf que pour vivre bien, il faut travailler sur différentes dimension de notre vie et donc… dépenser de la bonne grosse moula. Par exemple le sommeil. J’avais lu il y a quelques années un article fort intéressant sur le sujet. Le bon dodo, c’est un peu une passion chez moi. Etant d’une nature dite “du soir”, j’ai toujours un peu de mal à m’endormir le soir, mon cerveau trouvant que c’est le bon moment pour avoir plein d’idées. Enfin, je dis ça, c’est de moins en moins vrai. Pour l’endormissement, mon cerveau a toujours beaucoup (trop) d’idées. Et le matin, se lever a toujours été compliquéééééé. Bon en vrai, c’est difficile pas tant par rapport à la fatigue que par rapport au fait que j’ai pas envie de me lever, finalement. J’aime rêvasser. Mais pendant des années, je me suis inquiétée de mon sommeil et…
Dormir, un luxe
Bienvenue dans le monde merveilleux du bon dodo, un marché infini pour toutes les start-ups. Applications pour bien s’endormir ou monitorer son sommeil, oreillers et matelas à mémoire de forme, radio-réveil adaptés, simulateurs d’aube, bouchons d’oreille spéciaux… L’article en concluait que notre sommeil était en péril du fait des rythmes de plus en plus effrénés de nos sociétés. Mais surtout que bien dormir allait de plus en plus devenir un privilège de riche. Je parle ici du cas spécifique du sommeil mais ça se décline sur à peu près tout. J’ai découvert récemment une start-up qui fait des compléments alimentaires pour la bonne santé de vos intestins. Ah, ça tombe bien, les miens sont assez nuls. Aïe le prix… Alors certes, peut-être qu'aller voir un médecin serait plus malin. Premier rendez-vous disponible : juin.
Fais, fais, fais
Se sentir bien a donc un coup. Mais surtout le bonheur tel que promu dans le développement personnel est lié… À la productivité. Il faut faire, faire, faire. Le miracle morning ? Se lever 2h plus tôt pour faire tout ce qu'on n'a pas le temps de faire. Les bullet journaux ? Les ennemis de la procrastination ! Parce que la procrastination, c'est mal. Le développement personnel a tout un tas d'outils pour t'aider à traquer le temps perdu. Mais… Est-ce vraiment une vie de rentabiliser la moindre seconde ? Et je suis une tarée du temps qui manque, hein. La flagellatrice en chef à la moindre minute perdue. Mais faut être réaliste à un moment. Tu peux pas faire en permanence. Ou alors tu fais mal. J'ai pas envie de finir comme ces American mums bourgeoises de série TV dopées à la ritaline qui casent trois journées en une.
Un process d'amélioration constant
Et puis pourquoi faire tout le temps. Ah oui, pour être une meilleure version de moi-même ? Mais je ne peux pas rester qui je suis ? Bien sûr, je pourrais être meilleure. Je suis déjà une meilleure version de mon moi d'il y a 10 ou 15 ans. Déjà, je ne pense pas que le bonheur soit là. On veut toujours être une encore meilleure version de soi-même. Perdez 5 kg, vous voudrez en perdre 5 de plus. Vous faites les choses de plus en plus vite, vous rajoutez un truc ou deux à votre to do. Être "juste" soi, ce serait un peu comme manquer d'ambition. L'ambition, si c'est pas un truc de droite, ça… Enfin, c'est pas tant l'ambition qui est de droite que le fait de considérer qu'un manque d'ambition est un grave défaut.
Le bonheur se mérite et c'est tout
Et on en arrive naturellement au sujet du mérite. Le bonheur, ça se mérite. Suffit de suivre la recette et pop. Si tu ne fais pas ça, tu mérites qu'on te crache dessus. Qu'un coach au QI d'huître te hurle qu'il en a rien à foutre de ta dépression. La version vénère de "va à la piscine, ça fait du bien". J'adore la piscine mais ça me fait du bien à moi. Et si j’étais au fond du trou, je pense que la piscine, je m’en battrais bien les steacks. Mais c’est 100% la même salade que la méritocratie. Ca part du principe qu’on part tous de la même ligne, sans handicap particulier. Qui veut peut, paraît-il. Cooooonnerie.
Le bonheur, c'est pas juste se défoncer
Bref, le bonheur tel que défini aujourd’hui est clairement une valeur de droite puisqu’il est associé à la possession et nécessite un certain budget pour “se sentir bien”, il se repose sur des notions de productivité et de mérite. Alors que moi, perso, mon bonheur, c’est d’être chez moi avec mon mec et mes chats. Et surtout pas être cheffe de je sais pas quoi. Ne plus avoir d’ambition, c’est le truc le plus reposant du monde. Tiens, je me note d’écrire un article là-dessus.