La fabrique des meufs insécures

Arrêtons de parler de l’actualité politique deux minutes et revenons un peu à ma série Red flag sur l’éducation amoureuse ou comment nous devons sauver nos filles des salopards. Oui, je viens de lui donner le nom, à la série. Un jour, je prendrai le temps de compiler tout ça proprement mais en attendant… parlons du corps des femmes et des injonctions surréalistes qui y sont liées. Parce que ce n’est pas juste pour nous vendre des crèmes raffermissantes ou de la chirurgie de vulve, tout ces complexes qu’on nous crée H24. J’ai même lu par le passé des articles cherchant à me créer des complexes sur mes sourcils ou mes plis de genoux. Mes.plis.de.genoux. Ayant une cicatrice de 12 cm du dit genou à la cuisse gauche, je peux te dire que mes plis, ils se remarquent pas trop… Bref, notre corps est en permanence critiqué et à qui profite le crime ? Oh oui, qui est ravi de pouvoir exploiter l’insécurité féminine, on se demande.

Les femmes n'ont pas le choix du modèle

Alors avant que des messieurs viennent chouiner sur le fait qu’eux aussi, ils doivent se conformer à un certain idéal physique, on va ouvrir une parenthèse. Je rappelle que Jack Black conquiert Kate Winslet dans Holidays, Jason Segel a eu des romances cinématographiques avec Cameron Diaz, Miley Kunis ou encore Emily Blunt. Adam Sandler a eu dans son lit filmique je ne sais combien de belles actrices et le très mince Michael Cera est au coeur d’un triangle amoureux dans Scott Pilgrim. Dans le Ghosbuster féminin, la seule à avoir droit à un réel émoi amoureux, c’est la mince. A-t-on déjà vu Melissa McCarthy ou Rebel Wilson dans des scènes de baiser avec Jude Law ou Leonardo di Caprio ? Non car elles, elles sont rigolotes mais leurs love stories, si on daigne leur en offrir une, ce sera avec des bons gars physiquement solides. Alors que les mecs drôles, dans les films, ils serrent les belles femmes qui se rendent compte qu’il vaut mieux un bon pote rigolo qu’un beau gosse un peu stupide et frigide. Je viens de vous raconter littéralement la fin de Bad teacher où Cameron Diaz préfère Jason Segel à Justin Timberlake. Jamais on ne verra Ryan Gosling se détourner d’Emma Stone ou Scarlet Johansson pour rejoindre les bras de Kate Winslet ou Liv Tyler… période ronde. Ah oui, parce que Kate Winslet, elle avait beau avoir cartonné dans Titanic, dans sa période fat, on l’a plus vue au cinéma. Idem pour Liv Tyler dont on vantait la beauté H24 jusqu’à ce qu’elle prenne du poids et tombe dans l’oubli. Elle n’est revenue au premier plan qu’après avoir minci. C’était le drame de Kirstie Alley aussi, disparue de écrans dès qu’elle a pris trop de poids. Elle en avait fait une série d’ailleurs. Et que dire de Friends ? Jennifer Aniston a dû perdre 15 kg pour obtenir le rôle de Rachel alors que Matthew Perry et Matt Le Blanc se sont dodufiés tranquillement ? Lisa Kudrow a enchaîné de nombreux régimes drastiques tellement elle se sentait grosse par rapport aux deux autres. Et souvenons nous de Britney Spears que tout le monde a traité de grosse lors son numéro raté au MTV video awards… Bref.

Ding ding, c'est l'heure du summer body !

Le fait est que les femmes ont assez peu de liberté dans le modèle à suivre pour être parfaite. Nous approchons de l’été et voilà la tyrannie du “summer body” qui revient. Alors petite parenthèse. De un, on s’en fout du summer body. La plage, le lac ou la piscine, selon où tu vas te baigner, est à tout le monde. Profite. De deux, une perte de poids importante sur une courte période n’est pas terrible pour ta santé. Donc soit tu as trois kilos à perdre pour être parfaite en maillot et franchement, qu’est-ce qu’on s’en fout de trois kilos. Soit c’est plus donc il sera meilleur pour ta santé, ton moral et ton portefeuille d’accepter ton corps plutôt que de te lancer dans un régime trop drastique. Si faire du sport te fait du bien, ouais, vas-y, fais toi plaisir. Si tu as envie d’une petite salade plutôt que d’un steak frites, c’est cool. Même si les salades de resto sont souvent aussi caloriques qu’un steak frites avec leur sauce sucrée dégueu, là. Mais fais les choses parce que ça te fait plaisir ou envie. Pas pour atteindre un idéal qui n’existe pas vu que les photos de magazines sont quasi systématiquement retouchées. Même le pli du genou. 

L'angoisse féminine, un pactole

Naturellement, il y a une montagne de frics à se faire sur les angoisses physiques féminines. Une gamme incroyable de cours de sport, des crèmes amincissantes, des pilules pour tout et rien, épilation, cabine UV, etc. Etre jolie au sens médiatique du terme, c’est un investissement. Et on va pas se lasser de te faire culpabiliser si tu ne cherches pas à rentrer dans le moule. “Tu serais tellement jolie si tu faisais un effort”. Au début des années 2000, on avait eu la quintessence de l’effort permanent pour être potable avec Bridget Jones. Bridget Jones interprétée par René Zwelleger qui n’est pas vraiment la plus moche de la bande. Pire, Renée et son minuscule ventrou et ses cuisses existantes étaient déjà présentée comme une meuf “trop grosse” qui doit se saucissonner dans des collants gainants et autres pour avoir la chance d’intéresser un gros connard manipulateur. Yeaaaaah… Le livre m’avait angoissée car chaque chapitre se terminait par la pesée du jour et à un moment, Bridget était au bord de la crise de nerfs car elle pesait 59 kilos. Mais… je ne vois pas trop dans quel cas une meuf adulte de taille normale est grosse en faisant ce poids-là en fait. Bref, on avait tout un tas de vannes sur la différence entre meuf super habillée et maquillée qui prend trente kilos et trente ans dès qu’elle se désape. Et dans le même temps, on shamait une ado pour ses sourcils trop épais. C’était une blague récurrente dans Le petit journal. Une émission bien misogyne qui adoooooooore se moquer des adolescentes et des influenceuses et ce depuis sa création. Et le pire, c’est que ça m’a fait rire, fut un temps. La misogynie intériorisée, ce cancer.

On ne gagnera jamais cette bataille

Le pire, c’est que quoi qu’on fasse, on est perdantes. Il faut faire un effort, travailler le moindre détail. Le ventre, les cuisses, les fesses, les cheveux, les dents, les ongles. Les sourcils, évidemment. Tout notre corps est soumis à un diktat délirant, le moindre centimètre a droit à son injonction eeeeeet… en même temps, il faut être naturelle. On nous demande d’épouser une norme surréaliste à base de gros seins, gros cul très ferme et ventre ultra plat mais on n’a pas le droit de tricher, non, non. Alors vous me direz que certaines fit girls arrivent à s’approcher de ça mais à quel prix ? Ces derniers temps, je fais pas mal de hiits sur Youtube et j’ai droit à tous les shorts des fitgirls qui parlent H24 de bouffe. Vraiment, je ne peux suivre aucune de ces meufs sur les réseaux sociaux parce que sinon, je m’attrape une collection de TCA hallucinantes. Le pire, c’est qu’elles sont en mode “ah mais regardez, je suis gourmande, je mange un cookie, hihi”. Ah oui, comme Betty Autier en plein régime drastique qui postait des photos d’elles avec des pâtisseries en mode “non, je n’ai aucun souci avec la nourriture” avant de tout refiler à sa meilleure amie ? Pardon mais doit-on vraiment se niquer les reins, fragiliser son coeur, ses os, juste pour ressembler à une image surréaliste ?

Quoi qu'on fasse, on nous tapera dessus

Tout ça pour quand même vous faire insulter par des hommes ? Car oui, d’un côté, on arrête pas de shamer nos corps qui sont toujours soit trop gros ou trop maigres ou trop artificiels, trop bronzés ou pas assez, trop poilus ou je ne sais quoi. Et quoi qu’on fasse, ça tape dur. Y a pas mal d’articles, vidéos ou post Insta qui en parlent mais quoi qu’il en soit, dès que tu es une femme et que tu montres ton visage, quel que soit ton discours ou ton sujet, des mecs vont venir commenter ton physique. Si tu leur plais, ils vont écrire des dégueulasseries sur ce qu’ils aimeraient te faire, avec ou sans ton consentement. Créer des deepfakes où ils vont coller ton visage sur le corps d’une actrice porno en plein exercice de son métier. J’invente rien. Soit tu ne leur plais pas et manifestement, c’est suffisant pour te couvrir d’insultes. Limite tout ce que tu pourrais dire ou faire est disqualifié parce que “t’es moche”. Regardez la rhétorique mascu sur les féministes qu’ils qualifient systématiquement de meufs moches et aigries car aucun homme ne veut les honorer. Ou alors elles se font baiser par plein de mecs parce que les mecs sont des mendiants du sexe incapables de résister. Ca, c’est pas moi qui le dit, ce sont ces mêmes mecs.  Sauf que le physique des militantes n’est en aucun cas un sujet. Attaques minables qui ne devraient pas être relevées ? Mais bien sûr que si car elles ne viennent pas de nulle part. Arrêtez de vouloir silencier les femmes parce que “oh, c’est juste des remarques de petits puceaux, tu t’en fous”. Non, on ne s’en fout pas. Déjà parce que t’es qui pour me dire où je dois mettre mon curseur de sensibilité et surtout, c’est trop systémique pour être anodin.

Toujours briser la confiance en elles des femmes

On apprend aux femmes que leur corps est imparfait. C’est la blague assez classique du dragueur qui, vexé de ne pas obtenir l’attention d’une demoiselle, se met à insulter son physique. Je l’ai vécu. On l’a toute vécu. “De toute façon, t’es moche”. Y a des témoignages sur les applis de rencontre où le mec vomit une haine insensée sur une meuf qui a juste refusé ses avances en mode “t’es archi dégueulasse, de toute façon, je t’aurais baisée par pure charité”. Des mecs qui arrivent en date et rabaissent de suite la meuf sur son physique histoire de la dominer. Là encore, je n’invente rien, ça s'appelle le negging. Qui t’expliquent que tu dois faire ça pour démolir la confiance de la meuf et ainsi la dominer. Lui donner l’impression qu’elle a de la chance que tu acceptes ses défauts. Cette “reconnaissance”, l’homme va pouvoir l’exploiter. C’est pas pour rien que dans les témoignages sur les manipulateurs appelés communément “pervers narcissiques”, on retrouve toujours ce move de destruction de la confiance en soi. Et en général, ça portera essentiellement sur le poids. Parce que c’est toujours sur cet item là que les magazines font leur beurre. Surtout chez les jeunes femmes puisque les rides, c’est plus pour les quadra. Et les quadra sont un peu moins faciles à manipuler… Quoi que.

Nos comportements doivent être exemplaires en toutes circonstances

Le système médiatique est une fabrique à meufs insécures. On fait tout pour nous faire douter de nous. Bon, j’ai parlé essentiellement de physique ici, inspirée par une vieille vidéo de Blast. Mais nos caractères sont aussi très souvent épinglées, nos comportements. On doit être comme ci et pas comme ça. Ne pas parler trop fort, ne pas être vulgaire, ne pas être trop aguicheuse, ne pas être désordonnée. Ne jamais s’emporter parce que l’hystérie, tu comprends. Ouais, je comprends surtout qu’on pardonne vachement plus à un mec qui donne des coups de poing dans les murs qu’à une femme qui s’emporte, même si elle le fait de façon parfaitement légitime. Il ne faut pas être trop ambitieuse, pas trop froide, pas trop ci ou ça. Bref, on doit se soumettre au patriarcat. Leur laisser les meilleures places et se dire qu’on a de la chance que ce mec au charisme d’éponge veuille bien sortir avec nous. Non parce que pardon mais le nombre de fois où je vois des femmes ultra fraîches sortir avec des poux, ça me déprime. Vous savez, ce genre de couple au resto où elle est impeccable et lui en vieux jogging qui dévoile le haut de sa raie ou jean dégueulasse, assis comme une grosse patate, là ? Ok, chacun est libre de se vêtir comme il le souhaite et il a peut-être foule de qualité mais force est de constater qu’on n’est carrément pas logé à la même enseigne. Et c’est bien fait exprès.

Le physique des femmes ne vous concerne pas

Bref, on note : quel que soit le physique d’une femme qui s’exprime, ce n’est pas un sujet donc gardez vos commentaires pour vous. Et notez également qu’une femme qui fait plus d’un 38 n’a pas moins de valeur que celle qui fait un 34 et qu’une épilation des sourcils n’est vitale pour personne. En espérant qu’un jour, une comédie romantique mette en scène une vraie femme ronde (donc pas Gwyneth Paltrow en fat suit ou Drew Barrymore qui est la “ronde” des Drôles de dames) qui a droit à une love story sincère avec un pur beau gosse. Et surtout qu’on est enfin droit à une diversité de corps et de beauté à notre disposition pour arrêter de flinguer notre santé dans des régimes dangereux. Ou des opérations esthétiques totalement inutiles.