Longtemps, j'ai écrit des journaux de démissionnaires où je narrais d'un côté ma recherche d'emploi pour échapper à un poste qui ne me rendais guère heureuse et de l'autre, la dégradation progressive de ma situation professionnelle. Je ne saurais dire quand mes "malheurs" professionnels ont commencé, il est assez évident que j'évolue dans un secteur qui fait la part belle aux manipulateurs, à ceux qui brisent les faibles et encensent les forts. Mon enfer professionnel m'a appris une chose : y a pas de justice.
Avec le recul, il y avait des situations pas si pires. Mon premier journal d'une démissionnaire, je l'ai écrit alors que je n'ai pas pris si cher que ça, les egos évoluant à quelques distances de moi. Je crois même que ce fut là la pire erreur de ma carrière en fait : quitter ce job pour Pubilon où j'ai pataugé dans le malsain pendant un an et demi entre un PDG de start-up dramatiquement aux fraises et une N+1 incompétente qui se mettait à bosser à 18h et terminait tard en pleurant. Alors déjà, commence ta journée en même temps que les autres et ensuite... je sais même pas ce qu'elle était censée faire, en fait. Elle ne suivait même pas nos dossiers, ce qui créait des tas de crises quand elle devait rendre des comptes et en gros, c'était toujours la faute des autres. Ce poste m'a cependant traumatisée car j'en ai pris plein la gueule pendant un an et demi et un peu intégré, malgré moi, que je n'étais pas très rigoureuse et pas très fiable non plus.
Du coup, maintenant, j'en fais trop. Je me retrouve souvent avec plus de clients que les autres car "je gère", souvent au prix de ma vie privée et un peu de ma santé, aussi. Ce doit être un caractère aussi, ma soeur est pareille. Je ne sais pas dire non car j'ai mon traumatisme de mauvaise employée, là. Parce que la limite n'est pas toujours claire non plus, surtout quand tu as des N+1 bien moisis qui s'épanouissent dans le flou pour te soumettre toujours plus. Vous savez, ce qui vous disent un coup que vous en faites trop, un coup que vous n'en faites pas assez.
Le problème, c'est que c'est difficile de renoncer au travail. Aujourd'hui, j'ai un salaire confortable, très confortable même si on considère que mon conjoint gagne très bien sa vie aussi et que nous n'avons pas d'enfants. On peut se faire des voyages de rêve sans difficultés aucune. Accepter une perte de confort est une démarche à faire. J’ai d'ailleurs envisagé de m’ouvrir un compte épargne appelé “financer mon futur chômage” que je remplis pendant mon plan quinquennal histoire de pouvoir me jeter dans le vide à un moment en toute sécurité. Sauf si entre temps, une reconversion s’offre à moi, la vie est pleine de surprises, après tout.
Mais au-delà de la question des sous, j’ai peur de l’inactivité. Pourtant je m’occupe, hein, je ne fais jamais rien et j’attends presque la retraite avec une certaine impatience. Mais j’ai peur de perdre le chemin, en fait. C’est ce cauchemar dont je vous ai déjà parlé où j’obtiens un diplôme et je ne sais pas quoi faire ensuite. C’est l’angoisse en lisant Elena Ferrante quand Elena est diplômée et rentre à Naples sans savoir quoi faire de sa vie. Je serais ravie de quitter le marketing mais pourquoi faire et, surtout, le pire : et si j’aimais pas travailler dans un autre milieu ? Non parce que si je suis convaincue que mon milieu est perclus de manipulateurs et manipulatrices en tout genre, je sais de par le récit de mes bon.ne.s ami.e.s que c’est pas mieux ailleurs.
Bref, le travail est une souffrance, une humiliation. Sans doute question de contexte dans une société qui montre violemment du doigt ceux qui ne travaillent pas, ceux qui “profitent du système”. Je me demande toujours s’il n’y a pas un fond de jalousie vis à vis de ceux qui ont réussi à s’échapper (un peu provisoirement) de cet enfer. Je vais vous raconter mon histoire non pour apitoyer, je n’ai besoin ni de votre pitié ni de votre soutien sincère, juste pour rassurer ceux qui ont le corps plongé dans les flammes et croient que la faute vient d’eux. Non, nous sommes tous dans le même enfer.
Par contre, si vous avez des conseils à me donner au fur et à mesure de ce périple, ça, je prends !