C’est souvent difficile de parler privilèges et de faire comprendre de quoi il s’agit. Imaginons Bruno, un homme blanc, cis hétéro valide. Pour peu que notre ami soit issu d’un milieu CSP+ voire ++, il a dans ses mains toutes les cartes pour réussir dans la vie. Du moins, la société ne lui mettra pas de bâtons dans les roues. Mais Bruno a du mal à percevoir ça car il se trouve pas privilégié, lui. Ok, il gagne pas trop mal sa vie mais il n’a pas de copine, par exemple. Donc pour bien expliquer les privilèges, j’ai choisi la voie de la métaphore. Puis parce que j’aime bien les métaphores, en vérité.
Petite anecdote de comment m’est venu cette métaphore. Un matin, je cheminais gaiement sur un trottoir de banlieue parisienne pour aller au travail quand j’arrive à un carrefour. Le feu piéton est vert, un mec traverse un peu devant moi quand soudain, une voiture sortie de nulle part prend un virage serré et engueule le piéton… pourtant sur la voie qui lui est dédié avec un feu l’autorisant à passer. A aucun moment la voiture était prioritaire. Et pourtant, la conductrice (puisqu’il s’agissait d’une femme) s’est permis une remontrance car si elle n’a pas la loi de son côté, elle a la puissance. Un autre exemple qui m’a été donné par Zeno qui s’est mise au vélo récemment “qu’est-ce que je gueule sur les voitures et scooters, c’est fou. Alors que moi, je m’applique à suivre strictement le code de la route, ce qui m’autorise à leur crier dessus”. Bref, le privilège, c’est ce qui fait que même quand tu suis pas les règles, tu peux quand même gagner par K.O.
Evidemment, nous ne sommes pas tous égaux sur la route, même quand on est véhiculés. Par exemple, si je prends mon cas, je suppose que je dois être une petite citadine. Je suis blanche CSP+ en bonne santé. Mais je reste une femme donc je peux pas être un SUV. Je n’aurais jamais pensé écrire cette phrase un jour. Avec ma citadine, je pourrais renverser des vélos et des piétons et m’en sortir sans trop de dégâts, même des scooters. Je ne suis pas censée faire ça mais ma masse de citadine fait que même si la loi n’est pas de mon côté, je peux quand même “gagner” la confrontation. Bon si je tue quelqu’un ou que je le blesse salement, il est certain que je vais pas bien m’en sortir mais si je ne respecte pas la priorité, que je pose mes privilèges un peu partout, neuf fois sur dix, il ne m’arrivera rien. La conduite crade étant le sanctuaire absolu du “pas vu, pas pris”, doublé d’une tolérance du fait qu’on s’est habitués à ce que les automobilistes se torchent avec le code de la route. J’ai beau essayer de m’imposer crânement sur les passages piétons où JE suis prioritaire, je reste prudente. Essentiellement parce que faire valoir mes droits est quand même moins important que de rester en vie. Mais surtout parce que je sais que très rarement, l’automobiliste sera ravi de me céder le passage, alors que je suis dans mon droit. Car si j’ai le code de la route, lui, a le pouvoir de la machine. Je ne ferai jamais le poids.
Bref, la prochaine fois qu’on vous parlera d’une lutte pour une égalité quelle qu’elle soit, ne commencez pas par balayer la discussion d’un “non mais la loi assure l’égalité, arrêtez de gueuler”. L’inégalité salariale n’est pas un fantasme. L’adoption pour les couples d’un même sexe reste très compliquée. Une grossesse est un frein à la carrière des femmes. Les lois empêchent tout ça en théorie mais en pratique… Avoir un SUV te garantit la priorité au passage piéton, même quand tu ne l’as pas.