Ici, je parle pas mal boulot à travers le prisme de mon expérience qui, hélas, ne me paraît pas si exceptionnelle. Alors que mon activité s’est fortement ralentie ces dernières semaines, me faisant passer d’un quasi burn-out à un bon bored-out sans réelle transition, je réfléchis au monde du travail. Bon, je le fais depuis longtemps mais là, j’ai le temps de réellement observer. Notamment la pire des arnaques : la réussite.
La réussite, une arnaque ? Moi, je ne sais même pas ce que signifie la réussite. D’un côté, j’arrive toujours à prendre possession de nouveaux sujets que l’on me confie, rajoutant avec une certaine facilité des cordes à mon arc. Je bosse sans interruption (sauf intercontrats) depuis douze ans et demi et j’ai un salaire confortable en plus d’une plutôt bonne réputation. Mais je ne suis ni manager, ni directrice ou “head of” ou responsable… sauf sur la fiche de poste de mon alternant où je suis “responsable acquisition”. Du coup, ai-je réussi ou pas ? D’autres pourraient me dire qu’à quasi quarante ans, être salariée, avoir un salaire annuel qui ne commence pas par 5 ou juste le fait que je suis empêtrée dans un métier que je méprise, c’est l’exact opposé de la réussite. Bref, je laisse à chacun le soin de juger ma “réussite” ou mon “échec”. Mais pour moi, ça n’a aucun sens vu qu’en réalité, la réussite est à la fois carotte et bâton.
Quand j’étais jeune fille, il me paraissait important de réussir, d’être quelqu’un. Qui, la question reste posée. Et en un sens, le contrat est rempli puisque pour certains, le fait même que je travaille à Paris fait de moi quelqu’un d’accompli. Il fallait progresser dans la hiérarchie, ramasser du pez. A chaque changement de poste, quand je grattais quelques k€, je me sentais reine du pétrole. Sauf qu’à un moment, y a un truc qui a coincé un peu. Appliquée, je ramassais moults éloges mais point de promotion. A l’heure de faire progresser quelqu’un sur l’échelle de la hiérarchie, mon heure ne venait jamais. D’abord, je fus intriguée. Mais puisque je fais du bon travail, me dit-on, pourquoi je ne progresse pas ? Réponse assez simple : je ne joue pas bien le jeu de la lèche. De cul ou de bottes, à votre guise. Et c’est tout ?
Alors une bonne amie ex collègue m’expliqua un jour que c’était typiquement féminin. Nous, on se dit “ahah, je vais faire du bon taf et ce bon travail me servira de clé pour ouvrir toutes les portes”. Sauf que pendant qu’on bosse comme des tarées, y a des filous qui vont croiser les décisionnaires à la machine à café, vont placer deux ou trois trucs. Et à l’heure des décisions, choisira-t-on la bonne soldate dont on sait peu ou le mec malin de la machine à café ? Toute ma carrière me prouve que la connivence marche mieux que les performances mais… je n’y arrive pas. Essentiellement parce que je trouve ça un peu crade. Un exemple : en ce moment, je sens qu’il y a concurrence entre un collègue et moi pour le poste de responsable acquisition (le fameux). Mon N+1 m’a laissé comprendre que le poste, s’il devait être créé, m’était promis. Sauf qu’un de mes collègues semble le vouloir aussi et on est dans une situation un peu cheloue. Et du coup, j’ai presque envie de faire un sale coup pour un peu couper cette concurrence. Je sais très précisément quoi faire car j’ai un gros avantage sur mon “adversaire” : on est en phase un peu agressive vu qu’on n’a plus de clients et je suis meilleure à l’oral, de très loin. Du coup, il me suffirait de me former un peu sur le sujet de mon “concurrent” et expliquer à mon chef que débarquer en nombre à chaque fois n’a aucun sens et le jeu est plié. Mais même si cette concurrence (moi, je veux juste partir à Toulouse, en plus) m’exaspère, je ne peux pas faire ça.
Et c’est là que je me dis que “la réussite”, c’est vraiment de la merde. Déjà, les postes de direction, y en a pas 150 donc forcément, c’est Hunger Games aux échelons inférieurs. Entre ceux qui se butent à la tâche et les petites manipulations malsaines, tout ça pour une carotte qu’on n’arrivera peut-être jamais à saisir… non mais quelle arnaque ! Surtout qu’en avançant dans ma carrière, j’ai réalisé un truc incroyable. Je n’ai aucune envie d’être directrice ou manager ou appelez ça comme vous voulez. Moi, je veux venir, faire mes 8 heures, ramasser ma tune et développer mes projets à côté. Merci, au revoir. Et pourtant, cette course à la promotion, je l’ai faite aussi car il paraît inconcevable de ne pas avoir d’ambitions. D’abord parce que ça nous met en tête de liste en cas de licenciement économique ou de “réduction des coûts” (comprenez : on va virer des gens en trouvant des prétextes de merde) et parfois, ça n’arrange pas. Ensuite parce qu’une fois sur les rails d’une carrière, il me semblait obligé d’essayer d’aller le plus loin possible.
Bref, la réussite n’est qu’un outil d’asservissement en plus. Et le prix à payer est souvent bien trop élevé par rapport au réel bénéfice…