Ou comment ça m’énerve la disqualification du “t’es trop subjectif·ve”. Et j’ai envie de démonter ça. Point avant de poursuivre : je ne vais pas évoquer ici l’actualité des derniers jours. Essentiellement parce que la seule façon que j’ai trouvé de traverser la tempête de haine que subit actuellement la France, c’est de tout couper. On en reparlera peut-être. En attendant, on va un peu revenir sur Flic de Valentin Gendrot et sans doute d’autres exemples. Donc pourquoi on a tendance à plus croire les non-concerné·e·s que les concerné·e·s ? Et pourquoi faut vraiment arrêter avec cette vision moisie.
Alors je saiiiis, on stigmatise la colère. Et j’ai déjà expliqué à quel point la disqualification d’un propos parce qu’il est proféré au nom de la colère est non recevable. Une malhonnêteté intellectuelle pur jus. Tout simplement parce que c’est facile de faire taire une vérité qu’on ne veut pas entendre juste en discutant du ton. Mais voilà, dans les hautes tours des éditorialistes qui pérorent toute la journée sur la société, il faut être objectif. Apparemment, depuis leur tour, ils trouvent légitimes de lancer que l’avis d’un mec qui n’a jamais été confronté au dit problème de près ou de loin a plus de vérité que celui des gens qui vivent le dit problème. Un avis reste subjectif par essence, que tu sois proche ou loin du sujet.
Il y a quelques semaines, Valentin Gendrot a donc sorti son livre Flic dans lequel il livre son témoignage dans les coulisses de la police. La promotion a beaucoup mis en avant le côté coup de poing, révélation… alors que les militant·e·s et activistes qui dénoncent les violences policières, notamment celles qu’ils ont vécu, ont arqué un sourcil, mi surpris·es, mi contrarié·e·s. Cela fait des années qui rapportent les mêmes histoires, les mêmes témoignages et à chaque fois, on les retoque. Trop victimaires, toujours les mêmes qui se plaignent, gna gna gna. Donc pour qu’on commence à envisager l’existence de violences policières, il faut qu’elles soient narrées par un Blanc propret ? Et encore, celui-ci est un gauchiste alors bon…
Je parlais il y a quelques temps d’allié·e vs militant·e et je vais donc aborder la question du féminisme. Evidemment. Je suis toujours un petit peu agacée quand la parole d’un homme sur le sujet semble avoir un peu plus de valeur et de crédibilité parce que “il est pas concerné, c’est pas dans son intérêt”, bla bla bla. Les mecs se contentent généralement de reprendre nos discours mais “c’est un homme, il est objectif”. Mmm. Alors je ne doute aaaaabsolument pas de sa probité morale et beaucoup d’alliés qui se déclarent féministes n’ont pas forcément conscience de prendre un peu trop de place. Je pense que la plupart ont lu, se sont documentés donc ne se contentent pas d’ânonner un discours tenu par des femmes féministes à qui on refuse la légitimité parce que trop impliquées. Mais les femmes féministes aussi ont bossé…
Parce que des fois, j’ai l’impression que l’expérience empirique d’un Blanc ou d’un homme a plus de valeur que des années de travail de documentation des militants. Vous savez, ce moment où l’on va grimer un Blanc en Noir, un homme en femme et qu’on va le faire témoigner “ohlala, je me rendais pas compte du racisme/sexisme ordinaire”. Alors oui, ok. Mais est-ce que dix minutes de déguisement valent des années d’études, d’interviews, de documentations diverses et variées. Non parce que l’expérience est souvent un point d’entrée dans le militantisme. Subir la violence policière ou le sexisme va nous interpeller et nous allons commencer à vouloir en savoir plus. En compulsant des dizaines et des dizaines de documents. En essayant de comprendre quels sont les mécanismes qui nous font subir ce que l’on subit. La fameuse colère est un carburant. Personne ne peut, en quelques minutes, heures, jours ou mois mesurer toute l’expérience d’une vie.
Alors je ne dis pas que le livre de Valentin Gendrot est à jeter aux ordures même s’il est problématique sur deux ou trois points. Ca reste un témoignage, ça reste un document. Mais sa vérité n’est pas plus légitime que celle de tous ceux qui subissent la violence policière au jour le jour. Arrêtez de croire que la parole d’un·e non-concerné·e a plus de valeur que celle des concerné·e·s car il y aurait une sorte d’objectivité. Déjà parce que l’objectivité n’existe pas. Et surtout parce que dénoncer un système n’apporte généralement rien donc ne cherchez pas le vice. Personne n’a envie d’être célèbre pour avoir été victime.