Je tapote cet article dimanche matin alors que je ne sais pas encore qui a gagné les élections. Mais je ne vous cache pas que je n’ai aucun doute sur le visage qui s’affichera à 20h sur les écrans et le nom qui apparaîtra dans mon fil Twitter. Oui, j’ai pas la télé donc c’est via les réseaux sociaux que j’apprendrai qu’on en aura repris pour cinq à sept ans de Macron. Yay. Dès lundi ou mardi, selon l’état de fatigue, on parlera directement troisième tour. Et dans une semaine, plus personne ne parlera du fait que près de la moitié des Français ont voté extrême-droite. Personnellement, il me semble qu’ignorer un problème ne le résout pas.
Elle ne passera pas, mais...
Ca fait la deuxième fois en cinq ans qu’on a droit au même psychodrame : “oh non, Marine Le Pen au second Tour ! Y a quand même de chances qu’elle passe, déconnez pas.” Je vous cache pas que de lire ça depuis quinze jours, ça me lasse un peu. Je vais pas balayer tout ça d’un revers de main en disant qu’elle ne passera pas. Le travail de dédiabolisation a été énorme et je reste persuadée qu’elle ne passera pas essentiellement parce qu’elle est nulle. Elle a été nulle au débat de 2017, elle s’est vautrée en 2022 tout pareil. On ne se rend pas compte qu’elle est nulle en temps normal, je crois. Enfin, me concernant. Je ne l’écoute pas, je sais que le FN/RN a toujours eu des gestions de communes catastrophiques. Le seul à qui j’accorde de l’intelligence et donc un potentiel danger, c’est Ménard. Il sait très bien tapiner à "gauche" quand il le faut pour légèrement recentrer le parti. Du coup, je pense que les débats coûtent à Le Pen les voix qui pourraient faire bousculer. Les voix de la colère, ceux qui se disent “non mais stop Macron, votons Le Pen pour foutre le sbeul”. Et qui, au dernier moment, se disent que quand même, ils ne sont pas prêts à une telle compromission.
On tue la bête et on l'oublie
Evidemment, la présence du RN aussi haut pour une élection majeure dans notre monarchie parlementaire, ça fait mal. Mais… à quel moment ça a été une surprise ? Ca fait cinq ans que Macron sait que sa réélection passera par là et ça fait cinq ans qu’on nous dit qu’au second tour, on aura Le Pen/Macron. On est purement dans de la prophétie auto-réalisatrice. Lui ramasse les voix de ce qui sont bien contents de ce qu’ils ont et n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent. Elle récupère les voix des mécontents parce qu’on l’a totalement laissée faire. Le vote à deux tours est une illusion : le but est d’arriver à se qualifier pour le second tour face à elle et le reste n’est que formalité. Même si, quand on gagne à moins de 60% face à l’extrême-droite, va pas falloir parader au Louvre ou je ne sais où. Et tout le coeur du problème est là. Demain, on reprendra comme si ça n’était pas arrivé. Ouf, on a échappé aux griffes de la bête immonde, reprenons là où nous en étions.
On ne peut pas compter que sur leur nullité
Sauf qu’on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. Déjà parce que ça va finir par nous péter à la gueule. Marine est nulle, ok. Mais qui viendra derrière ? Il n’y a pas que des nullos au RN, ils vont bien finir par en trouver un qui saura tenir la dragée haute aux Macron et co. Parce que Macron est nul en débat, faut pas se leurrer. Il paraît brillant face à plus nulle que lui mais s’il a refusé tout débat au 1er tour, c’est parce qu’il savait qu’il allait se faire rouler dessus par Mélenchon et Poutou à minima. De toute façon, Macron, il voulait juste sortir ces punchlines en espérant rentrer dans l’histoire avec une petite phrase qu’on imprimera sur des T-shirts avec la photo de son torse velu. D’ailleurs, pardon mais… depuis quand il est poilu Macron ? Il a eu des poils de torse gratos avec la greffe de ses nouveaux cheveux ? Bref, on ne peut pas combattre le fascisme en se basant sur la nullité de ses ambassadeurs. Oui au pluriel parce qu’on va mettre dans le sac Zemmour et Marion Maréchal Le Pen qui n’a pour elle que son physique qui plaît beaucoup aux fafs. Et mettez moi Jordan Bardella dans le tas et sans doute, plein d’autres cadres RN. J’avoue, je les écoute pas.
Un vote peu condamné, un univers politique mal connu
Il va falloir recentrer les débats. Recentrer en les tirant bien à gauche. Le souci étant que mes gauchistes sûrs essaient tant bien que mal de faire ce travail. Quand je disais en octobre que la gauche avait déjà perdu parce que ses thèmes n’apparaissent pas dans le débat public, ce n’était pas une révélation. Et je n’ai malheureusement pas la solution. Il y a eu des erreurs, de grosses erreurs. De la part des partis de gauche qui ont essayé de récupérer les gilets jaunes ou les antivax et qui ont refusé de voir que ces mouvements étaient beaucoup plus acquis au RN qu’à la FI. De très loin. Ca me fait rire (...) les fachos “padamalgam” qui viennent t’expliquer qu’on peut pas dire du mal des Arabes parce que les gauchos leur trouvent toujours des excuses. “Oh non, dites pas que les Arabes sont des tueurs, ils le sont parce qu’ils sont pauvres, padamalgam”. Voyez le genre de débilités. Alors que vous savez sur quel sujet on ne condamne que très peu ? Le vote RN et assimilés. Je ne me souviens pas d’avoir vu une vraie lecture critique de cet électorat là qu’on va souvent excuser parce que c’est un vote de colère. Un vote pour dire non à la Bourgeoisie qui accroît la précarité des plus pauvres. Alors c’est sûr qu’il ne fait pas bon être précaire dans les années Macron. C’est indiscutable. Mais le vote RN ce n’est pas que ça. Il y a certes du racisme et du rejet de l’autre, sujet qu’il va vraiment falloir aborder frontalement à un moment, mais aussi une grande méconnaissance de la politique et de ce que représente chaque parti.
Epiphénomène à vite oublier
Mais on préfère faire comme si tout ça n’existait pas. Comme si le racisme latent des électeurs RN n’était qu’un épiphénomène. Et ça se pourrait puisqu’on ne connaît pas bien ce vote-là, finalement. Mais dans un pays où on ne parle que de la mauvaise intégration des Arabo-musulmans en les pointant du doigt parce qu’ils mangent pas de saucisson et ne boivent pas de vin, j’ai du mal à croire que le vote raciste soit anecdotique, voyez. Tellement pas anecdotique que tous les partis vont un peu tapiner sur le sujet. Ce qui rend les candidats totalement incrédibles, d’ailleurs : quand t’as un Macron qui dit le lundi que le voile est contraire à la laïcité et qui va féliciter une femme voilée le mardi parce qu’elle est féministe, je veux dire… Evidemment qu’il y a une crise de confiance envers le personnel politique. Même Jean-Claude Van Damme, il fait pas un aussi grand écart. Mais on a une “pudeur de gazelle” de fou sur le sujet. J’ai l’impression qu’on parle du racisme comme s’il s’agissait d’un fantôme qui fait peur. Une espèce d’entité ectoplasmique que certains affirment avoir confronté mais bon, on sait pas… Alors que le racisme, c’est comme les créatures fantastiques de Scoobidou, tu réalises à la fin que c’était bien une vraie personne derrière tout ça. Je me perds dans mes métaphores mais…
Maintenant, on arrête le déni
Si on veut confronter la bête immonde, il va falloir reconnaître son existence. Quand on se tape pour la deuxième fois consécutive un parti d’extrême-droite en finale de l’élection présidentielle qui est considérée comme l’élection star, on ne peut plus balayer la poussière sous le tapis. Surtout que quoi qu’il arrive, Le Pen fera plus de voix qu’en 2017 et que le RN va forcément récupérer quelques députés en plus. Mais pour ça, il va aussi nous falloir une classe politique courageuse. Une classe politique qui commence déjà à admettre que la voix des racistes, elle ne l’aura pas donc autant appeler un chat, un chat. Le RN grossit parce qu’il profite que chaque parti essaie de disqualifier les autres. Il profite de la lutte contre la cancel culture et les woke. Elle profite de tous les tapinages pour aller récupérer les voix des “en colère”. On aura beau militer à notre petit niveau, tant que la sphère visible au niveau médiatique ne mettra pas les bons mots au coeur du débat, on n’avancera pas. Et j’ai écrit tout cet article sans réellement entrevoir de solution.