Titre alternatif : la croyance en une herbe plus verte ailleurs, work edition. Je suis désormais à la fin de mon bilan de compétences et j’ai choisi une voie. Une voie qui me titillait depuis bien cinq ans donc peu de surprise. Je ne suis qu’au début de mon périple de nouvelle vie… Enfin au début comme “bon, j’ai une formation en septembre et j’interviewe plein de gens”. Je reste cependant à observer les messages qui passent dans le groupe Facebook des inscrits au bilan de compétence et je vois passer un article des Echos sur les reconversions compliquées. Et là, ça fait un peu tilt dans ma tête. Une fois de plus, le souci, ce n’est pas ton job en particulier mais le monde du travail en général.
Ma vie pro est nulle, j'en peux plus !
J’ai un plan d’action en grandes lignes J’estime qu’au sortir de ma formation, je vais retrouver un emploi sous trois mois. Une hypothèse raisonnable si on considère que je pars sur un métier qui fonctionne bien et que je suis disponible immédiatement. Après, il y a une grosse inconnue : ça embauche mais sur la partie du métier qui m’intéresse le moins. La partie que je veux rejoindre de toutes les fibres de mon âme, c’est quand même très parisien. Bref, si tout se passe selon mon plan, je devrais retourner à l’emploi aux alentours du printemps. Et je suis déjà déprimée à cette perspective. Oui, il faut que je reprenne rendez-vous avec ma psy du travail, on n’a pas du tout craqué le truc. En me lançant dans le bilan de compétences, je me rêvais une vie de travail moins pénible. Avoir un peu plus envie de me lever le matin, moins la rage en rentrant le soir car mon métier, c’est de la merde. Oui, si je réussis mon coup, ce sera le cas mais ce ne sera pas le paradis non plus. Car le travail rend souvent malheureux.
Un besoin d'authenticité, loin des bureaux
L’article raconte d’abord des histoires de cadres partis élever des chèvres dans le Larzac et revenus la queue entre les jambes. Ah bah oui, après une décennie passée dans des bureaux à jargonner n’importe comment et nourrir des dramas ineptes, on a envie d’authenticité. Moi même, au tout début du process, je me suis imaginée dans un atelier de bricole, à créer des dioramas ou des maisons de poupée. Indépendamment d’une relative maladresse qui peut être mienne. Ce projet me faisait rêver essentiellement car il impliquait de travailler tranquillement dans un coin. Sans téléphone ni réunion. Il faut que je refasse un article sur la réunionite, tiens. C’est doux, cette vision d’un petit artisanat dans un modeste atelier avec une boutique attenante. J’avais même repéré un vieil atelier en vente à cinq minutes à pied de chez moi. C’est beau mais j’ai pas la tune pour ça. Mes quelques deniers de côté, je vais un peu les garder pour mes vieux jours. Mon rêve d’atelier des fées, on s’y penchera le jour où je serai autrice d’un best seller qui me fera gagner des millions. Jamais, donc. Car oui, les rêves, c’est doux et joli mais la réalité est aussi piquante qu’un jus de poubelle faisandé. Car l’herbe n’est pas plus verte ailleurs.
Le travail comme contrat social, le projet semblait sympa
J’aime l’idée du travail. Dans son essence, je veux dire. J’aime imaginer une société dont nous sommes tous les artisans, chacun venant mettre sa pierre à l’édifice. Ma société idéale, c’est le village de Oui-Oui où chacun a une fonction claire, définie… et utile, surtout. C’est pourquoi je déteste la sphère travail telle qu’elle existe dans le capitalisme. Le travail que je viens de quitter est globalement inutile. Il entretient un consumérisme mortifère en dépensant une énergie folle. Mon futur job ne sera pas forcément bien plus utile mais il aura au moins le mérite de me nourrir intellectuellement, si je parviens à mes fins. Une sorte de sociologie 2.0. Toujours plus intéressant que les Ctrl C/Ctrl V de ces six derniers mois. Mais j’anticipe : je ne serai pas parfaitement épanouie. Parce qu’aujourd’hui, on ne travaille pas pour participer à la société mais pour tenter de survivre. Et on vient de passer au niveau supérieur entre l’inflation galopante et les catastrophes écolo-sanitaires qui s’enchaînent à un rythme toujours plus soutenu. Garde la cadence, personne n’ira te ramasser si tu tombes. Je vous jure, je fréquente Pôle Emploi depuis peu et je mesure à quel point l’Etat ne veut pas vous aider. Contrairement aux conseillers que je trouve très sympas et à l’écoute. Coeur sur eux.
Tu dois être rentable et vite !
La pression sociale est de plus en plus forte, la situation de plus en plus tendue. Tu veux aller élever des chèvres dans le Larzac, te lancer dans la permaculture ou ouvrir ton cabinet de sophrologie ? Up to you mais dépêche-toi, le train est déjà parti. On a beau s’éloigner des ordinateurs et de la vie intense des centre-villes, l’impératif reste le même : sois rentable et vite. Je reste hallucinée que le mirage des start-ups tienne encore. Enfin, je dis start-up mais rangeons toutes les micro-entreprises là-dedans. Déjà, en France, je trouve que tout est d’un compliqué. Parlons auto-entreprise cinq minutes. Parmi mes projets moyen-terme, y a l’ouverture d’une petite e-shop déco où je vendrai quelques créations Powerpoint, des perles hamas, peut-être… De la pure bricole en somme. Pourquoi pas ? Après tout, une ancienne collègue m’avait parlé d’une amie à elle qui bossait dans le marketing et qui a tout plaqué pour ouvrir une boutique de créations Playmobil. Le rêve ! Sauf que moi, je ne vois ça que comme un complément de revenu. Si je génère un CA de 200 EUROS mensuels à terme, je me considèrerai comme la reine du pétrole. Sauf que la dernière fois que j’ai créé une auto-entreprise, ça ne fonctionnait pas car j’en avais eu une avant qui avait fermé pour inactivité et ça me bloquait, bla bla bla. Par contre, les 100 balles de taxe foncière, là, ça n’a pas bloqué. Pourquoi tant de complexité ? Je veux bien être honnête et déclarer ce que je gagne mais me mettez pas une forêt entière dans les roues. En France, entreprendre tient parfois du parcours du combattant, surtout si tu n’as pas le bon réseau pour te supporter.
La fable du travail qui rend heureux
Et puis le bilan de compétences chante une fable. J’ai adoré mon bilan de compétences, j’ai appris pas mal de choses sur moi, sur ce que j’avais envie de faire au quotidien. Vraiment, je pense que l’Etat devrait nous offrir un bilan de compétence à partir de 40 ans, à tous. Car le bilan de compétence n’aboutit pas nécessairement sur une reconversion. Assez rarement, même, moins d’un cas sur deux. Mais prendre le temps de reposer un peu son projet, sa carrière, pour y penser, voir le chemin parcouru et ce qui reste à faire permettrait d’éviter quelques burn-outs. Surtout s’il permet de réaliser que le souci, c’est pas tant votre taf que la boîte toxique as fuck dans laquelle vous pataugez. Certes, c’est pas le mood de notre gouvernement actuel. Déjà parce qu’ils trouvent méprisable de prendre le temps de savoir ce que l’on veut faire de sa vie mais surtout, ils ont besoin de bras qui ne discutent pas. Puisque les saisonniers fuient la restauration, on va y envoyer l’armée des RSistes. Tu m’étonnes que tout le monde déteste le monde du travail : à la fin, tu te fais toujours bouffer par les grands patrons. L’entrepreunariat, quand t’as pas Papa derrière pour te permettre de te péter la gueule, c’est plus souvent un générateur de dette qu’autre chose. Et le salariat, c’est de l’exploitation pure. Sauf que le bilan de compétences, il ne va pas te raconter ça.
On voudrait tous suivre notre vocation
Le bilan de compétences, il va te parler de ta vocation. Sauf que la vocation, souvent, elle nourrit pas son Humain. Dans un bilan de compétences, tu fais souvent une enquête métier. Comme j’ai choisi un organisme qui a toute un arsenal online dont une communauté Facebook, je vois régulièrement passer des gens qui recherchent des professionnels. Et combien de sophrologues, naturopathes ou art thérapeutes je vois passer ? Métiers qui m’ont aussi été proposés par un algorithme, avec hypnothérapeuthe, aussi. Alors pourquoi pas, me direz-vous ? Indépendamment de toute considération pratique, je veux dire. Je ne suis pas très branchée Fake med même si, dans ces métiers, je vois aussi des gens qui vont voir ces praticiens là car ils ne se sentent pas légitimes d’aller voir un psy. Ce fut mon cas. Mais ce ne sont pas des secteurs qui marchent tant que ça. Il y a une très forte concurrence. J’ai le souvenir d’un épisode de Meta de choc où ils parlaient d’une femme qui était partie faire ce genre de métier et qui échouait car elle n’était pas capable de créer des contenus aussi pimp que d’autres sur les réseaux sociaux et n’attirait pas l’attention. Moi, je bosserais dans ma vocation, je serai écrivaine, c’est tout. Et artiste visuelle dans le Powerpoint, les dioramas, etc. Mais mon mec va pas m’entretenir 107 ans non plus.
La vocation, c'est pour ceux qui sont bien nés. Encore.
La vérité est là. La vocation, c’est bon pour quelques élus. Souvent des gens qui n’ont pas réellement besoin de bosser pour gagner leur vie vu qu’ils sont nés dans une piscine de billets. J’en ai connus, des CEOs totalement flingués tout juste bons à planter leur boîte en ravageant au passage toute la confiance en eux de ses salariés. J’ai été moi-même broyée par un mec comme ça. Je lis des histoires similaires sur Balance ton agency ou Balance ta start-up. Pour ces gens-là, leur boîte est limite un hobby, une distraction. Une sorte de partie de Monopoly où, au pire, s’ils perdent, ils relanceront la partie demain avec de nouveaux fonds. Les autres joueurs, eux, par contre… Et c’est là tout le mensonge du monde du travail. Faire ce que l’on veut, ce n’est pas pour nous. Il faut bien “gagner sa vie”. J’aimerais être écrivaine mais même si j’avais du succès, je n’en vivrais pas forcément. Les profs de yoga que j’ai connues, y avait souvent un petit job d’appoint à côté pour compléter les revenus. La vocation est un doux rêve. Même dans le village de Oui-oui, de toute façon, on ne peut pas laisser les gens faire ce qu’ils veulent. Y a bien que dans les fictions que les jobs pénibles sont faits par des robots tandis que les Humains vivent leur meilleure vie. Et même là, les robots, clones ou androïdes finissent par se rebeller car c’est pas une vie. Cf Blade Runner ou l’étrange Junk Head. Ou Real Humans mais j’ai pas encore écrit mon article dessus.
Bref, si vous ne faites pas partie de l’élite (économique) et que vous voulez vivre de votre vocation… Soit vous adoptez un mode de vie minimaliste, soit commencez à jouer au loto. On ne sait jamais.