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Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Quoi ? Tu ne te tues pas à la tâche ? C’est intolérable !

Publié le 13 Septembre 2022 par Nina in Le travail, Le travail est une humiliation, Quiet quitting

Je m’étais fait une promesse avant l’été : arrêter d’avoir une vision très négative du monde du travail. Vraiment, je l’ai voulu mais… prendre cette décision pile l’été où les médias ont décidé de nous raconter qu’on n’était de mauvais employés si on ne se tuait pas à la tâche, c’est comme décider d’arrêter de boire juste avant de prendre un job de barmaid. C’est pas impossible mais ça complique bien la tâche. Faut dire qu’avec notre start-up nation, la sphère patrono-médiatique ne se cache même plus. Tu dois travailler et y mettre du coeur, en plus de ça. Tu dois bosser même en vacances, on s’en fout. Et si tu comptes tes heures, on te foutra la honte.

La honte en entreprise

Quoi, tu fais juste ton job ? C'est indigne !

Ainsi, après les tracances, voici le nouveau concept foutage de gueule : le quiet quitting. Traduit par “la démission silencieuse”, elle désigne les salariés qui se contentent de faire leur travail, ni plus, ni moins. Je… attends, j’ai dû mal lire un truc. Donc désormais, si tu fais juste ton job sans rab, on associe ça à une démission. Pardon ? Mais vous avez fumé quoi ? Je vais aller à l’université du Medef l’an prochain, ils ont l’air de dealer des psychotrophes surpuissants. Je me souviens, il y a quelques années, j’avais lu “Le blog de Max”, un petit roman rigolo où le héros expliquait être en démission silencieuse. Ce qu’il assimilait à “faire semblant d’être occupé mais ne pas en foutre une ramée”. Là, oui, ok, je comprends. Mais le fait d’être considéré démissionnaire juste parce qu’on ne se laisse pas ou plus bouffer par son taf ? C’est quoi ce délire, franchement ? 

Le quiet quitting, la nouvelle arnaque du patronat

Je m'implique trop pour rien

Lors de ma première séance chez la psy du travail, elle m’a conseillé de réfléchir activement à me mettre à mon propre compte, vu l’image déplorable que j’ai du monde du travail. Elle a raison. Je suis pas mal paralysée par la perspective administrative et je n’ai pas un réseau qui me permet de me lancer mais à terme, peut-être… Car je suis quelqu’un qui s’implique, souvent trop. Moi, le quiet quitting, c’était mon objectif dans mon dernier taf. Faire les heures et pas une seconde de plus. Surtout que je n’étais pas cadre donc j’aurais dû monnayer la moindre minute de dépassement. J’ai échoué. J’ai sacrifié des soirs et des week-ends entiers à ce taf. Tout ça pour qu’on me traite comme la pire des traîtres une fois ma démission annoncée. J’aurais su... Mais il n’est plus le temps de ressasser.

Epuisée par le travail

Tu dois faire plus, point.

Cette nouvelle notion de quiet quitting permet donc de mettre les choses au clair. Ni plus, ni moins.  On attend que tu fasses plus que ce pour quoi tu es payé, point. Il y a quelques années, je discutais avec une copine qui m’expliquait comment devait normalement fonctionner une boîte. Une boîte doit demander à ses employés d’être à 80% de leur capacité en temps normal. Pour pouvoir passer à 100% en cas de rush. Sauf que ça ne marche pas comme ça. Dans aucune des boîtes que j’ai côtoyées. Et je dois en être à une dizaine, j’ai arrêté de compter. Partout où je suis allée, tu dois être occupée durant tes huit heures et même un peu plus. 100% pendant les périodes calmes, tu passes à 120 voire 150% en période de rush. C’est pas pour rien que les burn-out se multiplient, hein. C’est pas un truc de feignasse. C’est juste mathématiques : pour éviter que tes salariés soient à 100% en période normale, il faut, il faut… embaucher, oui ! Mais non, pour les N++, le calcul n’est pas bon. Tant que je suis pas full, full, on n’aura pas un petit nouveau ou une petite nouvelle dans l’équipe. Je suis payée pour bosser 39, je bosserai 39. En vrai plus mais ça, ça n’apparaît pas dans les timesheets, hihi. Magie ! Et encore, on sera foutu de te reprocher que tu ne fais pas assez de veille.

Surcharge de travail

Des économies à la marge

En résumé, les patrons et autres gestionnaires des bourses nous demandent de faire plus pour grappiller un salaire ou deux. De sacrifier ta santé plutôt que leur marge. Et tu ne gagnes rien de rien dans l’affaire. Une vague reconnaissance de type tape dans le dos. Parfois, si tu t’en sors bien, une petite prime, une augmentation, une promotion. Mais ne crois pas que tu as chopé le collier d’immunité pour autant. Le jour où tu n’es plus à 120%, tu dégages. Et rarement proprement en plus. Tu auras beau t’investir corps et âme, tu restes une ligne sur l’excel des P&L. Le jour où tu n’es plus rentable, ciao ciao. Et tes soirées et week-end sacrifiés ne te seront jamais rendus. Mais après, c’est nous les méchants à ne plus vouloir se faire baiser. 

Crise de vocation

Les jeunes ne veulent plus bosser !

Le patronat a un grand ennemi : la génération Z. Ah, tout ces petits cons qui ne veulent plus bosser, je vous jure. Moi, la génération Z, ce sont juste mes idoles. Ils ont capté un truc essentiel : le travail n’est pas le coeur de ta vie. Surtout quand c’est pas ta boîte. Quand j’ai commencé à côtoyer cette génération, arrivée dans des stages, j’étais un peu décontenancée. Ah mais c’est quoi ces jeunes qui ne veulent rien foutre ? Moi, à leur âge, je montrais ma rage en stage, j’étais impliquée… Oui et on voit le résultat : je suis totalement traumatisée par le monde du travail. Ce que j’ai donné en temps, je ne l’ai jamais récupéré. En rien du tout. Plein de tapes sur l’épaule et des médailles en chocolat, super. A côté de ça, mes rêves de carrière annexe (écrivaine) se sont évanouis. Moi, je voulais bosser le jour, écrire le soir. Et dormir la nuit. Résultat : je bossais le jour et même un peu plus. Je végétais le soir, incapable du moindre effort intellectuel… et je dormais même pas correctement la nuit. Sur mon dernier taf, j’étais tellement surchargée que je me réveillais la nuit en panique en pensant à tout ce que j’avais à faire le lendemain. Nice. 

Insomnie de stress

On vit avant de taffer

La génération Z, elle, elle a compris que tout ça, c’était du flan. La vie avant le travail. Et ils ont tellement raison. Surtout que pardon mais, une fois de plus, mon métier ne sauve pas des vies. Il pollue et fait reluire l’égo de gens pas forcément très chouettes, humainement parlant. Moins de pub ne nuirait à personne, bien au contraire. Une présentation nulle, ça serait grave pour qui, en vrai ? Un client qui se sent mal considéré ? Mais on s’en fout, en vrai. C’est tellement absurde de se cramer la santé pour une diffusion d’annonce sur Google, un réel Instagram ou trois ventes d’un produit dont personne n’a vraiment besoin en réalité. Quelqu’un est-il mort dans cette histoire ? Non. Est-ce que j’ai changé la vie de quelqu’un en lui poussant une annonce pour un soutif ou une crème hydratante ? Non. Le quiet quitting, c’est juste prendre conscience de ça. On ne fait pas couler une boîte avec une annonce Google diffusée un peu tard. Ou un statut Facebook discutable. La société est de toute façon tellement polarisée que si tu fais un statut aux relents sexiste ou raciste, tu vas avoir tous les anti-wokes qui vont acheter ton produit juste pour faire chier les wokes qui annoncent ton boycott. Les ventes montent et descendent indépendamment de ton travail, en vrai. Là, je suis partie en plein marasme. 2022, c’est l’année de la soupe à la grimace pour les e-commerçants. Chute du CA vs 2020 et 2021 car… bah y a pas de confinement et de boutiques physiques fermées cette année. Plus l’inflation. Hé ou, triste à dire mais entre un livre, une fringue… et un plein d’essence ou juste un peu de nourriture, c’est pas le bien de consommation non essentiel que les gens vont choisir. C’est évident mais malgré tout, ça s’agite car tu comprends, les objectifs étaient en croissance vs 2021… Bah oui mais arrêtez de faire des projections irréalistes, pour commencer ?

Objectif de croissance

Il est criminel de juste faire son job

Bref, à de rares exceptions près, le travail ne sauve ni des vies ni des arbres. C’est même tout le contraire au vu de la hausse des accidents de travail mortels, burn-out et pollution engendrée par un secteur tertiaire qui nous hurle de consommer du matin au soir, du soir au matin. Achète, achète ! La vie est belle quand on fait chauffer la CB, ahahah. C’est vraiment le symptôme d’une société malade, ça, de faire culpabiliser ceux qui font “juste leur job”, comme si c’était le pire des crimes. Mais où tu as vu que j’allais crever pour ta boîte à la con, Jean-Patron ? Surtout que je sais très bien que mon implication ne me sauvera de rien. Si je fais une merde parce que je bosse 14h/jour, je doute que ça soit un argument dans mon entretien préalable au licenciement. Le souci, c’est que tu as un appétit de marge insatiable et si tu ne peux pas le satisfaire dans le CA, tu vas taper dans ta masse salariale. Virer des gros salaires pour les remplacer par des gens qui te coûteront moins. Et qui bosseront plus pour compenser l’expérience de celui qui est parti. Voire le temps de travail de celui qui est parti car tu ne le remplaceras pas. Ou tu prendras un.e alternant.e à la place. Oui, iel n’est là que trois jours par semaine mais ça va aller, roh. 

Profit & loss

On boira les larmes des patrons

Je me réjouis. Un peu mesquinement certes, mais il se dessine quelque chose qui me plaît. La génération qui arrive a compris que se tuer à la tâche ne lui rapporterait jamais rien. Alors elle ne le fait pas. Elle se contente de faire son job. Elle suit son contrat à la lettre alors que nous, on nous a appris que ces gens-là étaient des feignasses. Le fameux “tu as pris ton après-midi” quand tu pars à une heure décente. Les métiers mal payés et épuisants commencent à ne plus trouver preneurs. De plus en plus de jeunes démissionnent plutôt que de rester dans un boulot peu épanouissant. La jeunesse a beaucoup à nous apprendre, notamment ça. Applaudissons là en sirotant un verre de Larmes de patron 2022. Le millésime s’annonce excellent. 

 

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