Je suis un peu fatiguée, sociétalement parlant, en ce moment. Déjà que l’actu me rend rarement jouasse, là, on atteint des sommets d’ignominie. Le drame d’Annecy nous rappelle à quel point certains se délectent de ce genre de faits. Un réfugié qui commet un crime, quel bonheur pour l’agenda politique ! Faudra un jour qu’on parle de la complicité des journalistes qui laissent les Zemmour, Le Pen, Bardella, les rescapés des Républicains… déballer leur rhétorique nauséabonde. Et une fois de plus, on le voit. Ces gens-là se repaissent de nos drames, c’est leur fond de commerce. Mais encore s’il n’y avait qu’eux…
Un fait divers qui pourrait faire un objet d'étude
Je suppose que ce drame d’Annecy pourra faire l’objet d’un mémoire d’études tant le narratif est intense. Un agresseur réfugié, un sauveur passionné de cathédrales, des politiques en roue libre. Et les quidams au milieu qui en appellent au meurtre, à la peine de mort. “Ce sont nos enfants”. Ah, oui, les enfants, faut pas y toucher. Je suis tout à fait d’accord avec ça. Rien ne me bouleverse plus que le malheur d’un enfant. D’ailleurs, souvenez-vous comme les SUV ont été interdits en ville après qu’un enfant qui marchait sur le trottoir a été écrasé par l’un d’eux. Souvenez-vous du drame national quand on a appris la terrible histoire de la petite Noelanie, jeune tahitienne morte car on l’a étranglée dans la cour de récré puis qu’elle a fait une crise d’épilepsie mais les secours pensaient qu’elle simulait. La remise en question du droit de garde des pères violents après un énième infanticide d’un père ne supportant pas la séparation. L’inceste, aussi, grande cause nationale, bien sûr. Un enfant sur dix est concerné. Et je… ah ? On me souffle dans l’oreille que pas du tout. Le sort des enfants, ça n’intéresse que si y a moyen de caler ça dans un agenda politique bien rance. La petite Lola et les enfants d’Annecy, c’est oui. Eventuellement, si la famille est pauvre, on prend, comme pour Fiona. Les infanticides perpétrés par la mère, ça peut faire un sujet. Par contre, la petite Chloé, égorgée par son père, non. Drame de la séparation, merci, passons à autre chose.
Nos SDF d'abord !
Je me moque souvent de nos fafs qui adorent expliquer qu’on ne doit pas aider les migrants car “nos SDF d’abord”. Avant d’aller cramer un centre d’accueil pour les-dits SDF. Dans l’absolu, bien sûr que les SDF méritent notre compassion. Surtout les femmes. Mais on ne dresse pas une “cause” contre une autre, pour commencer. Tu trouves qu’on n’aide pas assez nos SDF ? Pars en maraude. Personne ne t’en empêche. Le souci, c’est bien que ceux qui arguent qu’il faut gérer nos SDF d’abord s’en foutent, en réalité. Migrants ou SDF, c’est le même combat. Des gens qui sont responsables de leur misère. Les SDF, ils sont tox et alcooliques, normal de finir dans le caniveau, hein. Quant aux migrants, zont qu’à se battre pour leur pays. Bla bla bla. Le fait est que dans cette histoire, il n’y a aucune compassion. Les SDF servent ici pour hiérarchiser les malheurs et justifier son racisme crasse. Comme “nos enfants”. Tout le monde s’en fout des enfants concernés. La famille de Lola a expressément demandé à ce que le drame ne soit pas récupéré, les fafs n’ont rien écouté, n’ont pas voulu entendre. Il n’y a aucune compassion ici. Juste le fait de pouvoir exprimer sa haine en toute détente.
Prendre du temps pour insulter les gens
Au départ, j’avais prévu un article pour souligner mon inquiétude quant à la dépréciation de l’empathie. Vous savez, ce côté “fragile”, là. Je suis régulièrement sidérée de voir la méchanceté gratuite et souvent violente dans les comms Internet. Au-delà même des histoires de harcèlement. Longtemps, j’ai cru à de la pure stupidité. Exemple récent. Elliott Page vient de sortir un livre sur sa transition. Un livre qui explique notamment que pour lui, c’était la transition pour se sortir d'une lourde dépression donc on n’est pas vraiment dans le registre léger. Et là, tu as tout un tas de comms, posté généralement par des hommes, qui viennent mégenrer volontairement Elliot et l’appeler par son dead name. Alors déjà, point 1 : qu’est-ce que ça peut vous foutre ? Elliot Page ne fait pas partie de votre vie, ce n’est pas un de vos proches ou à peu près donc laissez-le tranquille ? Surtout que y a quand même quelqu’un qui voit passer un article (qu’il n’a pas lu, très certainement) et se dit “ahah, je vais prendre un peu de mon temps pour signaler que je refuse de reconnaître la transition de cette personne”. Allez-vous faire soigner, je sais pas ? Alors oui, on peut pérorer pendant une heure à base de “ces gens sont cons, laisse tomber”. Sauf que déjà, laisser tomber, vous êtes gentils mais il y a d’autres personnes qui peuvent être concernés et se sentir blessés en constatant que dans la société, des gens les détestent pour ce qu’ils sont.
Ce n'est pas que par stupidité
La stupidité n’explique pas tout. Déjà parce que tu auras beau vouloir éduquer ces personnes pour leur faire comprendre que la transition de genre n’est certainement pas un caprice ni une façon d’accéder aux toilettes pour femmes pour les agresser, ça ne changera rien. J’ai longtemps voulu croire que les Xphobies sociétales s’expliquaient par de la pure méconnaissance car, quand même, les gens ont un bon fond. Ils ont de la compassion pour leur voisin. Vous savez, ce type de personnes pataugeant dans le racisme ordinaire ou l’homophobie conservatrice mais qui n’ont pas de problème en soit avec leur voisin Nabil “car il est gentil” ou le cousin Jérémy qui a fait son coming-out. Que tout n’était pas perdu. Qu’il suffisait d’expliquer que les LGBTQIA+ ne demandent qu’à pouvoir vivre tranquillement comme n’importe quel couple hétéro. Soit sortir dans la rue et se tenir la main sans risquer une agression, par exemple. Et ceux qui chialeraient sur les pédés exhibs de la Gay pride, allez dans n’importe quelle soirée déguisée pour adultes, ça s’exhibe bien comme il faut aussi, hein. C’est pas parce qu’un torse masculin est homo qu’il est plus indécent qu’un torse hétéro, je vous promets. On pourrait aussi sortir les stats sur l’immigration pour montrer que, déjà, la France est très loin de faire face à un flux migratoire massif, prenant bien moins que sa part mais que, aussi… bah un Arabe ou un Noir est souvent tout aussi Français que nous. On reste accrochés à l’immigration des années 60 mais on a dû entamer la quatrième génération sur cette population-là. Ils ne sont pas Maghrébins. Même s’ils retournent au bled pour l’été. Je connais pas mal de descendants de Portugais, aussi de la 4e voire 5e génération qui descendent au pays chaque été, ça ne les stigmatise pas.
Garde ton énergie, va
Mais on perd du temps et de l’énergie à expliquer, illustrer. Parce que les gens en face, ils s’en foutent. C’est pas dans leur logiciel de pensée. Il faut un ennemi, quelqu’un à détester. Les Arabes et les Noirs sont des cibles faciles car on les voit. Littéralement. A la limite, on acceptera les plus clairs. Comme les LGBTQIA+ : tant qu’ils restent discrets, on accepte. L’exubérance, c’est accepté que pour les hétéros. Et encore, les hétéros plutôt mâles, blancs, cis et bourgeois. J’ai toujours eu du mal à percuter le pourquoi des Xphobies, partant du principe que chacun fait ce qu’il veut. Un queer exubérant, au pire, il peut me fatiguer. Enfin, c’est le côté exubérant qui me fatigue, pas le côté queer. Mais si lui est heureux comme ça, c’est quoi le souci ? Au pire, je ne le vois que quand je suis en possession de toute mon énergie sociale.
Oui, y a de la méchanceté
En vérité, c’est juste que non seulement les gens ne sont pas gentils mais certains jouissent même de se montrer méchant. La cruauté n’est pas si rare. Les bullies du lycée ne naissent pas du néant pour y retourner une fois le bac en poche. On pourrait essayer de psychologiser ça, décréter d’un ton docte que tout ça, c’est à cause de failles narcissiques… En vrai, je m’en fous. J’ai des failles, comme nous tous, je suis pas cruelle pour autant. Ca va aller à un moment. Mais du coup, admettre que les gens peuvent être juste mauvais, ça change tout le logiciel politique. Ca casse le “ils sont intolérants car ils ne savent pas”. Certains savent très bien. Surtout ceux qui inventent des histoires pour servir leur cause. Sur ceux-là, inutile de “travailler”. Mais admettre que certains ont juste un mauvais fond…
C’est dur. Ca tue l’espoir. Déjà qu’il m’en reste peu…