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Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Ne pas confondre accroissement de délits et renforcement de la couverture médiatique

Publié le 13 Février 2024 par Nina in Les médias, Effet loupe, Emballement médiatique

Il est souvent difficile de percevoir le monde à travers son petit bout de lorgnette. Heureusement, les médias sont là pour me parler de ce qu’il se passe en dehors de ma simple sphère d’information. Enfin, en théorie. En pratique, le quatrième pouvoir est malade. Pas que de ses connivences avec le pouvoir, non. Pas que de son manque de rigueur, parfois, dans la vérification de ses sources. Je parle de tendances, de course à l’audimat. De parler de ces “phénomènes de société qui intéressent”. Sauf que ce sont les journalistes qui décident ce qui intéresse les Français. Qui de l’oeuf ou de la poule…

Couverture médiatique

Il est impossible d'être exhaustif

Le journalisme holistique ne peut pas exister. C’est matériellement impossible. Si tu prends la somme de toutes les informations qui tombent dans la journée, même en te contentant d’une dépêche AFP de trois lignes, tu auras des trous dans la raquette. De fait, prétendre que le journaliste a un devoir d’objectivité me fait hurler de rire puisque même si tu t’appliques à écrire le plus objectivement possible, le fait que ton sujet existe vs un autre est un choix politique. Le journalisme, c’est un projecteur dirigé sur un sujet. Et allumer un projecteur sur un objet, c’est en plonger d’autres dans l’ombre. Ce qui est dans l’ombre ne l’est pas forcément par manipulation du pouvoir. Je me souviens d’une youtubeuse vivant au Brésil qui avait fait une vidéo sur les mégafeux qu’il y avait sur place. Dans ses abonnés, certains l’avaient interrogés en mode “mais pourquoi les médias français n’en parlent pas, hein ?”. Sa réponse : parce qu’avant un certain stade d’incendies, ce n’était pas particulièrement remarquable.

Megafeux

Phénomène de société ou coup de loupe ?

Sur les “simples” incendies de forêt, il y a eu 12 800 départs de feux de forêt en 2023. En avez-vous entendu parler ? Peut-être dans la PQR si vous n’étiez pas trop loin du foyer. Si on se fie aux médias et aux couvertures médiatiques, on a l’impression que toute la France a brûlé en 2022 mais qu’en 2023, il ne s’est rien passé. Autre exemple : le harcèlement scolaire. Hacking social (ex Horizon gull) en parle très bien dans sa dernière vidéo. On a l’impression que le harcèlement scolaire explose depuis quelques temps mais il n’y en a pas plus qu’avant. On est à la conjonction de deux phénomènes : le sujet médiatique et le fait que certaines victimes, réalisant qu’elles ne sont pas seules et découvrant des structures pouvant les aider, décident de parler. J’ai exactement la même avec Metoo. Tous les vieux cons et vieilles connes qui réagissent avec leur “ah ben c’est à la mode de se faire violer par un people”. Mais allez bouffer vos grands morts. Et pensez à vous acheter un peu d’humanité et beaucoup de décence aussi. La tendance, ce  n’est pas d’être victime de harcèlement ou de viol (vraiment, dire ça…), c’est d’oser en parler. Ce qui reste très courageux vu les tombereaux d’insultes qui te tombent dessus ensuite. Et le fait que plus personne ne te donne du travail, aussi. 

Victime isolée

Les fakes qui restent

L’emballement médiatique donne la sensation fausse de nouveauté. Ah, l’insécurité augmente, la France a peur. Sur le premier, c’est factuellement faux. Sur le second, par contre… A médiatiser à outrance le moindre fait divers, évidemment que tu as la pétoche. Surtout si le récit détone pas mal de la réalité. Cf le drame de Romans-sur-Isère qui était initialement une histoire d’attaque au couteau d’un bal de campagne et qui s’est finalement révélé être l’histoire d’une bagarre qui tourne mal sur fond de racisme. Curieusement, la rectification du récit initial, je l’ai très peu entendue. Tout comme l’histoire du café de Sevran. Un fake total qui n’a jamais été vraiment rectifié et que je vois encore sortir chez les plus racistes en guise d’argument. Les famoso “cafés interdits aux femmes”. Ou les viols qui ne seraient commis que par des hommes racisés. Celle-là, faut oser la faire mais si tu ne lis que des médias listant avec zèle les crimes et délits commis par des personnes racisées en ignorant l’ensemble du tableau, forcément…

Effet loupe

La vie est moins dangereuse aujourd'hui, mais...

Revenons sur la phrase, “la France a peur”, prononcée par Roger Gicquel en 76. Alors déjà, ce n’était pas tant ce qu’il voulait dire puisqu’il y a une suite. Mais surtout ça fait référence à l’arrestation de Patrick Henry, soupçonné d’avoir kidnappé un petit garçon à la sortie d’une école. Pendant quinze jours, la police enquête et arrête une première fois Patrick Henry et Gicquel prononce cette phrase en mode “ok, on est tous dans une émotion forte mais restons calme et ne cherchons pas la vengeance à tout prix”. On utilise cette phrase, depuis, pour appuyer un sentiment de panique des citoyens face à des phénomènes violents qu’ils imaginent exponentiels. Les kidnappings d’enfants qui font suffoquer chaque parent alors qu’on vit bien plus en sécurité aujourd’hui qu’hier. J’avais pourtant plus de liberté que mes neveux ou nièces, j’ai l’impression. Petite, ma mère nous laissait, ma soeur et moi, au rayon jouet du supermarché pendant qu’elle faisait les courses. On la rejoignait une fois qu’on avait tout regardé. Qui ferait ça aujourd’hui ? Moi aussi, ça me paraît insensé actuellement alors que ma mère n’était pas du genre particulièrement laxiste. Y a la France “orange mécanique”, pur délire extrême-droitard. N’empêche que ma belle-mère, abonnée à Boulevard Voltaire ou autres conneries, te raconte qu’elle ne va pas au cinéma de peur de se faire agresser. Et bah.

Quand on arrive en ville
Quand on arrive en ville

Passion faits divers

Ce que l’on perçoit comme un emballement des violences et des comportements, c’est surtout un emballement médiatique et un projecteur à la lumière toujours plus crue balancé sur un fait divers monté en épingle. Evidemment, il faut que la victime soit blanche. Un jardinier quasi égorgé par un vieux croûton raciste, bof. Sauf que la médiatisation du fait divers brouille les lectures systémiques. On confond cause, conséquence et on nourrit certains délires. Genre, l’autre jour, je vois une femme chialer que si les gosses s’envoient des dick pics à 12 ans, c’est la faute des cours d’éducation sexuelle au primaire. Quand quelqu’un en rajoute une couche sur “c’est la faute aux smartphones et aux réseaux sociaux”, elle lui rétorque “mais trop pas, les gamins se sont toujours isolés pour faire des cochonneries”. Donc tu dis que les “cochonneries” ont toujours existé mais c’est la faute de cours promulgués bien après la démocratisation des smartphones et des réseaux sociaux ? Et bah, t’es pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, toi.

Vieille réac pas futée

Visibilité ne veut pas dire nouveauté

Le fait qu’un phénomène soit plus visible ne veut pas dire qu’il est plus important ou nouveau. A mon époque, déjà, il y avait du harcèlement à l’école. Je me souviens même d’une session “obligatoire” sur le respect à l’école qui avait été imposé suite à une histoire de harcèlement, quelque part vers 96 ou 97. Je me souviens d’une discussion en classe quand j’étais en 4e (93-94) où il y avait eu un drama autour d’une boom où les populaires avaient fait pression sur la fille qui organisait pour que telle personne ne soit pas invitée. Je me souviens d’un garçon quand j’étais en 6e (91-92) dont tout le monde se moquait, y compris les profs, parce qu’il était pas fûté. Et cet autre, disparu durant l’été 95 ou 96 parce qu’il était parti se promener avec son fusil et qu’il s’était tué par accident “car son fusil s’était pris dans une branche”. A l’époque, j’avais pris cette info au premier degré mais avec le recul... C’était un gars un peu bizarre, toujours un peu mal fagoté, mal peigné, un peu à part. Voyez ce qui a pu se passer… Et à l’époque, pas de smartphone, pas de réseaux sociaux. 

Le vilain petit canard

Agiter nos émotions

Bref, les médias se nourrissent de nos émotions. Les chaînes d’info en continu peuvent plonger dans une réelle angoisse, peindre un monde terrifiant… mais qui n’a pas tant la réalité qu’on veut bien lui donner. Oui, des ordures, il y en a et pas qu’un peu. Oui, l’humain est un loup pour l’humain, si tu veux. Oui, le risque que je me fasse harceler, agresser, voler, violer n’est pas nul. Je peux même me faire tuer. Mais attention à l’effet de loupe. Surtout qu’il n’est jamais hasardeux, cet effet de loupe. 

 

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