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Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Doit-on s’exposer dans des médias en recherche de buzz

Publié le 17 Octobre 2023 par Nina in Les médias, La représentation, Haine en ligne

Suite de mon précédent article, en quelques sortes. J’avais rapidement parlé des médias pure players qui doivent susciter de l’engagement pour engranger vues et tunes et qu’un de leurs ressorts, c’est de susciter l’indignation. Mon réflexe premier : et bah boycott et puis c’est tout. Sauf qu’à y regarder de plus près, ce sont aussi des médias qui tendent le micro à des personnes qui ont peu ou pas d’espaces médiatiques et qui ont donc la possibilité de donner une visibilité à un message, une personne… Du coup, c’est un peu compliqué, cette histoire.

Quand tu doutes

Doit-on prendre la parole partout ?

Il y a quelques temps, j’écoutais un live d’Usul qui parlait, notamment, de la présence de Jonluk sur TPMP. Ah non, beurk, TPMP, télé poubelle, vivement qu’Hanouna nous fasse une petite OD. Mais Usul était plus mesuré, expliquant que beaucoup de gens regardaient ces émissions-là et qu’il ne fallait pas céder ces espaces de parole à la droite voire l’extrême-droite. J’entends bien. Je ne sais pas si, aujourd’hui, une parole un tant soit peu à gauche soit encore audible sur ce plateau où les chroniqueurs sont payés pour éructer leur contre-vérités douteuses. Alors même que l’histoire de l’émission te prouve bien qu’être le laquais zélé du système ne te protège même pas. Bref, je vois l’argument d’Usul mais je me demande si c’est encore d’actualité. Et bien ce débat, on peut les transposer à Brut, KoNbini, Loopsider et je ne sais plus qui. Est-il sain et souhaitable de continuer à aller dans ces médias, sachant que eux sont prêts à vous jeter en patûre pour l’amour du like ?

Filmer avec un téléphone

Dès que tu portes un discours un peu détonant, c'est le shitstorm

Et plus je pense à cette question, plus je suis partagée. Je pense d’abord à la santé mentale des intervenants. On ne se rend pas toujours compte de la méchanceté que l’on peut se ramasser. Cf la dure histoire d’Hoshi qui a juste eu le malheur d’embrasser une de ses danseuses à la fin d’une prestation. Moi, à mon époque, un baiser lesbien en pleine prestation scénique, ça excitait surtout la presse people qui y voyait un moment iconique. Evidemment, aucune des pop stars impliquées n’était lesbienne, ça doit jouer. Toujours est-il qu’aujourd’hui, tenter de porter un autre message, donner de la visibilité à des gens qui n’en ont pas, c’est déclencher un shitstorm de folie. Regardez Muriel Robin. Elle dit sur un plateau télé qu’elle n’a jamais eu beaucoup de rôles au cinéma car lesbienne, elle se prend une tonne de crachats à la gueule car “elle joue trop mal”. Ouais, la meuf a été récompensée pour des rôles à l’international, notamment un Emmy awards, ça doit juste être un coup de chance. Alors oui, elle était effroyable dans Les visiteurs 2, comme l’ensemble du cast, d’ailleurs. Mais merde, même Muriel Robin, qui me semble bénéficier d’une large sympathie dans l’opinion publique, ne peut pas évoquer ce sujet sans qu’elle s’en prenne immédiatement plein la gueule. Idem pour Omar Sy, d’ailleurs. 

Muriel Robin remporte un Emmy awards

Pourquoi ça vous énerve ?

Y a des paroles qui dérangent alors que… c’est quoi le souci, finalement ? Que des lambdas semblent vexés par un propos qui ne les implique pas, j’ai jamais compris. “Gna gna gna, personne ne donne de rôle à Muriel Robin parce qu’elle est nuuuulle”. Mais tu lui as toi-même refusé un rôle ou comment ça se passe ? Pourquoi tu parles alors que ton avis n’est pas éclairé ? Non parce que je la trouve quand même créditée sur une quinzaine de films, une vingtaine de téléfilms, une demi-douzaine de pièce de théâtre… Donc juger son talent sur un film, c’est léger. Et d’ailleurs, le talent de comédien et comédienne varie aussi selon la direction d’acteur et d’actrice et si le fait de mal jouer était éliminatoire, depuis le temps, ça se saurait. Bref, j’ai souvent du mal à comprendre les gens qui donnent leur avis sur un sujet qui maîtrisent mal, surtout pour être blessants. Enfin, si, je situe le grand projet derrière. Faire taire toutes les voix qui oseraient prétendre que la société est inégalitaire ou qui aimeraient rappeler que leur orientation sexuelle ou leur changement de genre existe. Par exemple. Oui, je sais que pour beaucoup, rappeler qu’ils ont des privilèges, ça les agace. "Non, c’est par pur talent que j’en suis là où j’en suis, la société n’a joué aucun rôle dans cette affaire". Au moins.

un mec très fier de lui

Vous pourrissez tout le monde gratos

Du coup, est-ce que quelqu’un vient prendre la parole dans un média un peu mainstream sur des sujets un peu “clivants”, ce n’est pas prendre des risques un peu exagérés ? Mais surtout, est-ce que ces vidéos ne sont pas l’occasion d’ouvrir les vannes à boues puantes ? Prenez n’importe quelle vidéo de média mainstream mettant en scène des personnes voulant porter un discours différenciant. Des histoires de GPA/PMA homosexuels, des féministes. Même une meuf qui dit qu’elle ne veut pas d’enfants va se faire insulter. Mais pourquoi ? C’est son corps, son choix. C’est pas juste un slogan, ça a un sens. Même si vous vous dites “ouais, à 23 ans, elle est bien jeune pour penser ça”, bah, vous n’êtes pas obligé de l’écrire en fait. En attendant, il y a peut-être une jeune femme qui n’est pas à l’aise avec le fait qu’elle ne veut pas d’enfants et voir qu’elle n’est pas toute seule. Ca fait du bien.

Artoise s'est fait ligaturer les trompes

Découvrir qu'on n'est pas anormales

C’est précisément tout le nœud du problème. Oui, les représentations sont importantes et avoir de la visibilité dans des médias généralistes, c’est éventuellement toucher des personnes concernées qui ne l’auraient pas été autrement. Parce qu’elles n’ont pas entamé de recherches par exemple. Parce qu’elles se croient juste anormales et culpabilisent sans penser à se renseigner. Le poids de la normativité, surtout quand tu es jeune, hein… Et franchement, y a tout un tas de trucs sur lesquels je ne m’interrogeais pas que j’ai vus traiter dans ce genre de médias et m’ont fait réfléchir. J’ai réalisé que je n’étais pas anormale en bien des points mais que c’était plutôt le modèle que l’on m’imposait qui n’était pas réaliste. Surtout en tant que femme, les injonctions comptent triple. J’ai toujours couru après ce modèle de femme qui allie sans sourciller vie de femme, vie de business woman et même vie de mère, même si ce dernier point ne m’a jamais séduite. Elle arrive à tout faire. Son travail, du sport, de la cuisine équilibrée, avoir une maison parfaite et décorée avec goût, s’adonner à ses loisirs et satisfaire son homme au lit. Et puis, grâce à ces médias, j’ai pu entendre des voix discordantes, m’expliquant que ce modèle là n’était pas atteignable. Que cette frustration que j’avais en moi depuis des années était normale vu qu’on me faisait croire qu’il était facile d’être cette fille que je ne serai jamais. Mazette ! Et encore, moi, je suis juste une femme hétéro cis blanche issue d’un milieu CSP+ qui rentre dans la plupart des cases normatives. 

La fille des magazines

Se rassurer et s'éduquer

Donc je trouve ces représentations importantes, oui. Ces choix de vie qui sortent du modèle de la success woman des magasines. Cette possibilité de découvrir aussi la réalité de personnes différentes aussi. Des trans, par exemple. Je n’ai pas de personnes trans dans mon entourage et j’ai longtemps été mal éduquée sur le sujet. Par exemple, je croyais qu’il fallait genrer la personne en fonction de la période évoquée. Plus clairement : j’ai parlé de Cloud Atlas comme un film du frère et de la soeur Wachowski car au moment de sa production, Lily n’avait pas entamé sa transition. Parlant de ce film, je trouvais logique d’utiliser son dead name puisque que c’était le sien à ce moment-là. Et je pensais aussi qu’on ne pouvait être trans qu’après des opérations de transformation, notamment génitales. Sans reportages et témoignages sur le sujet, je serais restée ignare. Peut-être même un peu connasse à base “oh oui, pffff, changer de sexe, c’est à la mode”. Bah oui, qui ne prendrait pas un grand shoot d’hormones quotidien et essuierait des agressions verbales voire physiques juste pour être à la mode. Hein ?

Sense8 Aminata et Nomi

Impossible de se préserver des trous du cul

Mais reste la question de la modération, de ce que cela déclenche. Oui, ça fait du bien de voir quelqu’un qui nous ressemble, qui porte notre voix, dans les médias. Mais ça fait aussi du mal de voir les commentaires volontairement violents et offensants nous répéter inlassablement que nous sommes des monstres. Et que tout est de notre faute. Oui, la méchanceté existe et il est difficile quoi qu’il en soit de s’en préserver. Je ne peux pas empêcher un crétin de me crier des insultes dans la rue s’il avait un problème avec ce que je suis, par exemple. Mais dans les médias, ça exacerbe.  Un exemple hyper prosaïque : le vélo. Oui, on redescend de 10 étages, je sais. Je fais du vélo quasi quotidiennement et je stresse. Parce que dès qu’on parle de vélo, piste cyclable dans les médias, je vois des tas de commentaires haineux sur les cyclistes qui “brûlent des feux”. Alors oui, je brûle des feux, essentiellement pour arrêter de manquer de me faire renverser par des voitures qui refusent de respecter ma priorité et me tournent dessus, par exemple… Entre le cycliste et l’automobiliste, y en a qu’un qui pilote un engin mortel de plusieurs tonnes, voyez… Quand je vois les tombereaux d’insultes gratuites sur les cyclistes dans les commentaires, j’ai peur que Jean-Mich’ “j’aime pas les vélos” croise ma route et se conduise comme un trou du cul. Et moi, je suis juste cycliste. Pas homo, trans, “féministe à cheveux roses”, j’ai pas un “look woke”, ce qui ne veut rien dire, etc. Je suis juste une meuf qui gagne 15 mn de trajet en prenant un vélo plutôt que les transports et qui demande à pouvoir circuler tranquillement. 

L'agression des cyclistes

Je ne peux choisir mon camp

Bref, la conclusion de ce trop long article va être un peu pétée mais… je ne sais toujours pas quelle ligne adopter sur le sujet. On a besoin de représentations, oui, mais le retour de bâton fait peur. Parce que les derniers cas de harcèlement en ligne nous l’ont prouvé : on est un peu seuls sur le front. Et que même si ces médias en ligne avaient une modération rapide et radicale, les médias, ça se partage et ça se commente sur d’autres espaces, hors de contrôle. Evidemment, le plus simple serait d’éduquer à la tolérance et au respect d’autrui, même si on ne comprend pas ses choix. Mais ça, c’est même plus de l’utopie, c’est carrément du délire. 

 

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