Sortir de l’actu “fait divers”

Oh, tiens, un article que j’avais prévu d’écrire à l’époque des élections européennes et puis l’actualité est devenue un peu folle, depuis. D’ailleurs, je ne vais toujours pas parler frontalement de tout ce qu’il se passe, je n’en ai actuellement pas la force. Je suis dans un grand renoncement, que faire d’autre ? Intro écrite il y a trois semaines, il s'est encore passé plein de trucs depuis, c'est fou. Bref, aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de faits divers ou plutôt de leur traitement médiatique car je vous le dis : c’est le pire ennemi de la gauche. Environ.

Les faits divers, alliés de l'extrême droite

Je vais pas revenir en détail sur les faits divers qui ont eu une incidence particulière en France. La fameuse histoire du Papy Voise, pour le plus connu. Je vous renvoie à une vieille vidéo de “Ouvrez les guillemets” sur Mediapart qui analysait tout ça. Aujourd’hui, on sait très bien qui instrumente les faits divers : l’extrême droite. Je pense à l’affaire Lola, le meurtre de Philippine ou le viol barbare à Cherbourg. Trois faits divers qui ont un dénominateur commun : l’auteurice du crime était étranger. Par contre, quand un Blanc renverse une petite fille de 7 ans en faisant le con dans une cité... On va nous faire pleurer sur le fait que c'est un mec "sans histoire", il ne fait même pas de détention provisoire et personne ne dit rien. Dans un pays où tu prends de la ferme pour une canette de Red Bull. Dans un pays où, quand un Arabe se fait abattre pour “refus d’obtempérer”, un délit au contour plus que flou, là, ils sont nombreux à dire qu'il l'avait bien cherché. Le tueur devient même millionnaire. Et je relance avec la tuerie de Dunkerque qui a eu lieu ce week-end mais vu que le tueur est blanc et deux victimes sont des migrants, tout le monde s'en branle.

Collecter des faits divers pour confirmer nos biais

Vous connaissez FdeSouche ? Un site qui se définit comme une revue de presse de faits divers… commis par des personnes racisées. Le projet est ultra clair : analyser les faits divers avec un biais de confirmation totalement assumé pour vous donner l’impression que le problème, ce sont les bougnoules. Je choisis ce terme exprès pour souligner le racisme du site. Bien sûr qu’il y a des Arabo-Musulmans qui font de la merde, je n’irai pas dire le contraire. Surtout que je n’essentialise pas les personnes selon leurs origines… Et bien sûr que les crimes précités sur le paragraphe précédent sont atroces. Personne ne niera ça. Sauf qu’on pourrait tous s’amuser à collecter les faits divers selon nos biais. Ceux commis par des personnes psychologiquement instables (au moins deux des précités), me permettant de rappeler que le secteur de la santé en France va très mal. Et que ce genre de faits divers va se multiplier puisque les gens qui ont besoin de soin n’en reçoivent pas. Ou ceux commis par des hommes indépendamment de leur origines et religion. Là, facile, c’est la grande majorité des crimes et délits. Ou celles commises par des hommes blancs “bien sous tout rapport”. Plus compliqué. Pas parce qu’ils commettent moins de crimes, juste que c’est moins médiatisé. Faut atteindre un niveau de l'affaire Mazan et encore, on peut supposer que la volonté de Gisèle Mazan de refuser le huis-clos a dû aider.

Ne pas confondre fait divers et systémisme

J’entends arriver le contre-kems du recensement des féminicides. Très bon exemple, merci. Le fait divers peut dire quelque chose de la société. Quand, chaque année, on compte plus d’une centaine de femmes tuées parce que femmes, on n’est plus dans le simple fait divers mais dans le systémisme. Il y a une violence systémique faite aux femmes, un permis de tuer passionnel. Comme le chantait Johnny, “pour la garder, je l’ai tuée”. D’ailleurs, au XIXe siècle, le mari avait le droit de tuer sa femme adultère s'il la prenait sur le fait. Cependant, il y a une différence majeure entre comptabiliser les femmes tuées parce que femmes, souvent par leur conjoint ou ex, et la montée en épingle d’un drame qui ne dit rien de notre société. Oui, la mort de Lola ou le viol de Cherbourg sont des faits atroces. La lecture des actes subies par ces deux victimes est éprouvante. Même si attention au voyeurisme malsain. Bien sûr que je suis furieuse que des personnes aient subi ça. Mais des histoires atroces, il y en a tous les jours. Celles qui sont particulièrement couvertes par les médias ont un autre sens. Une volonté de vous faire peur, notamment.

La France Orange mécanique n'existe pas

Car l’insécurité baisse, quoi qu’on en dise. Je me souviens d’un podcast de mamans où deux femmes expliquaient qu’elles étaient incapables de laisser leurs enfants jouer seuls dans la rue… alors que c’est précisément ce que nous faisions, nous, gamins. Je me souviens que je jouais avec mes voisines petites et qu’on allait d’un appart à l’autre sans chaperon adulte. Quand ma mère allait au supermarché avec ma soeur et moi, enfants, elle nous laissait regarder le rayon jouet et on la rejoignait quand on avait fini de regarder. Qui ferait ça aujourd’hui ? Pourtant, les enlèvements d’enfants sont plutôt en baisse. Même si c’est, quoi qu’il en soit, un phénomène plutôt marginal. La plupart des enlèvements d’enfants sont perpétrés par un de ses parents. Et je vous rappelle que je suis née en 80 donc pendant mon enfance, y a eu le petit Grégory, l’affaire Dils. J’avais 11 ans quand il y a eu l’histoire des deux petites filles enlevées à Elne, village que je connaissais puisque je passais toutes mes vacances juste à côté. Je suis née quatre ans après le fameux “La France a peur”. Et pourtant, j’allais à l’école à pied. Je vais me répéter mais vous avez beaucoup plus de risque d’être victime d’un accident de voiture que d’une agression. Et pourtant, je n’ai jamais entendu personne refuser de prendre sa voiture par peur.

Vous faire peur pour renoncer à vos libertés individuelles

Le fait divers est, tel que traité aujourd’hui, l’ennemi de la gauche car il donne l’impression que nos rues sont des coupe-gorges. Alors que beaucoup d’agressions sont liées à des règlements de compte. La violence aveugle terrorise, elle sert de terreau à de nombreuses fictions. Orange Mécanique ou Starmania “on agit sans mobile, ça vous paraît bizarre. C’est peut-être qu’on est débile, c’est peut-être par désespoir”. Sauf que la violence sans mobile, dans la vraie vie, c'est souvent perpétré par des personnes au trouble psychiatrique et on en revient à ce que je disais plus haut. Ce qui nous menace, ce n’est pas l’immigration mais l’état de délabrement avancé du secteur de santé en France. Même si ça sonne un peu psychophobe dis comme ça. Mais faire monter le sentiment d’insécurité, c’est faire accepter aux gens des reculs de liberté. La vidéosurveillance, par exemple, alors que son efficacité reste toujours à démontrer. L’écoute des conversations téléphoniques. “Oh bah moi, j’ai rien à cacher”. Certes mais si je m’assois à ta table pour écouter ta conversation, curieusement, ça va pas te mettre à l’aise. Surtout que des politiques violemment répressives au nom de la sécurité sont vite détournées pour faire taire des opposants mais on en parlera une prochaine fois.

Un tableau qui grossit les délits et crimes

Bref, l’actualité par le fait divers déforme la réalité, peint un tableau monstrueux de notre société. A tort. Pour redescendre d’un niveau sur la gravité : l’histoire de squats. On va de temps en temps ressortir ce marronnier en nous racontant une histoire larmoyante de gens qui ont leur domicile squatté et qui ne peuvent rien faire. Histoire parfois plus que douteuse, souvenons-nous. Alors oui, le squat peut créer des problèmes. Surtout des risques d’incendie. Mais si je m’en réfère au traitement médiatique, je ne vais limite plus oser partir en week-end de peur que mon domicile soit squatté à mon retour. Et en plus, les histoires de squat permettent de remettre une couche sur “mais en plus, si tu fais quoi que ce soit, les squatteurs vont porter plainte contre toi. Pauvres honnêtes français que nous sommes”. Je suis persuadée que si on étudie le traitement des faits divers sur les dix dernières années, on verra immédiatement émerger le calendrier politique du Ministère de l’intérieur.

"Le centre-ville, il craint"

Bref, les médias de gauche doivent proposer une autre grille de lecture et ne pas tomber dans ce piège abscons. Les médias en ligne arrivent déjà à le faire mais maintenant, va falloir apprendre à Tatie Jackie qu’elle prend plus de risque en faisant ses trajets en voiture qu’en allant se balader en centre-ville “qui craint”. Je lis ça régulièrement de Bordeaux et j’ai toujours pas compris quel coin du centre-ville était censé être un coupe-gorge.