On ne déconne pas avec le 1er mai !

Ou comment on sait plus quoi faire pour grignoter les droits des travailleurs. La semaine dernière, c’était le 1er mai. Ah, ces vendeurs de muguet à chaque coin de rue, ses manifs, ses batucadas. Evidemment que j’y étais. Et évidemment que maintenant, je me dis qu’il faudrait que je me trouve une batucada pour taper de la caisse claire en rythme. Mais cette année, on a eu droit à une nouvelle chanson un peu absurde : “c’est pas juste que les boulangeries soient fermées, comment les Français vont-ils manger du pain ?”. Heu, vraiment ?

On peut acheter du pain en avance...

Alors déjà, Sur le pain, on va aller très vite. Il existe des tas de façon de conserver du pain si votre boulangerie pref’ est fermée. Je pense que les 12 millions de Français qui achètent du pain quotidiennement ne sont pas si cons, merci pour eux. Je veux dire : les boulangeries ferment une fois par semaine et le 1er mai est chômé depuis un moment donc il y a quelques réflexes qui ont été pris, je pense. Je ne fais pas partie du gang qui mange du pain tous les jours. Je ne me souviens pas la dernière fois que j’ai acheté une baguette, même. Mais étant une personne qui refuse farouchement de faire mes courses le dimanche, je m’organise, je prévois. Fin du débat là-dessus.

C'est comme quand on voulait ouvrir les magasins le dimanche

Alors on pourrait considérer que cette “polémique” n’a aucun intérêt. Tout le monde s’en fout. Sauf que cette saillie médiatique ne sort pas de nulle part. C’est une nouvelle attaque contre le droit du travail. Vous vous souvenez des débats sur le travail du dimanche ? Moi, oui. Argument 1 : “c’est pas juste, certains magasins ont le droit d’ouvrir le dimanche, la règle devrait être la même pour tout le monde.” Argument 2 : “Mais les gens sont mieux payés le dimanche et c’est sur la base du volontariat, laissez les gens qui veulent bosser faire.” Vous reprenez les arguments du 1er mai et… oh bah, ce sont les mêmes. Et regardez les horaires d’ouverture de vos supermarchés… Ah ben tiens, y en a de plus en plus ouverts le dimanche, surtout dans les grandes villes.

Y a des gens qui aimeraient bien un surplus de salaire

Alors évidemment, sur le papier, pourquoi on empêcherait des gens volontaires de travailler ? Il m’est arrivé, pour ma part, de prendre des side jobs en plus du mien pour arrondir les fins de mois, par exemple. De la même façon, ma mère comme la soeur de ma besta du sud, infirmières, ont pris un maximum de créneau de nuit dans leur jeunes années pour se constituer des petites réserves. Travailler le dimanche et les jours fériés, c’est payé double. Comme dirait l’ex-Président sponsorisé par un dictateur Libyen sanguinaire : “travailler plus pour gagner plus”. Tu comprends, il y a des gens, ils ont besoin de cet argent. Est-ce vraiment de gauche de mettre des bâtons dans les roues des prolos, hein ?

Quand le volontariat devient obligation

Oui, c’est vrai. Mais. Hé oui, le plot twist, il y a un mais. Parlons d’abord du volontariat. Le travail du dimanche nous a d’abord été vendu sur la base du volontariat. Sauf qu’avez-vous déjà vu un supermarché fermé le dimanche matin de façon aléatoire parce que personne n’a voulu venir bosser ? A partir du moment où le travail le dimanche a été autorisé hors zones touristiques, je n’ai pas souvenir d’avoir vu une seule fois le Monoprix à côté de chez moi quand je vivais à Paris fermé. Il n’était certes ouvert “que” le matin mais il restait ouvert tout de même. Quand je clique sur les horaires des supermarchés autour de moi, je vois qu’ils sont ouverts le dimanche matin. Sans condition. Il y a tant de volontaires que ça ? Parce que pour en revenir à ma mère, si dans ses jeunes années, elle était très volontaire pour faire les nuits, plus tard, dans sa carrière, elle les faisait par obligation. Mais son métier est vital. Faire les courses un dimanche ne l’est pas. Et commencez pas à pleurer sur ceux qui peuvent pas faire les courses à un autre moment. Parce qu’avant, ils se débrouillaient autrement et qu’en plus, avec les drive et les livraisons, il existe d’autres solutions. Même si le drive, c’est pas le top de l’épanouissement professionnel non plus.

Non, les dimanches et jours fériés ne sont pas obligatoirement mieux payés

Et puis parlons salaires. Le dimanche et les jours fériés, c’est mieux payé, trop bien. Oui alors ça dépend des conventions collectives, pour commencer. Déjà, sachez que légalement, seul le 1er mai est payé double s’il est travaillé. Pour les autres jours fériés travaillés, ça dépend des conventions collectives.  Idem pour le travail du dimanche, la loi n’impose aucune majoration de salaire. Et pour certains métiers, le travail du dimanche est obligatoire. Voilà. 

Pourquoi, soudain, ça pose problème ?

Donc revenons à cette histoire du 1er mai où 12 millions de Français n’ont pas pu acheter de baguette fraîche. Comme les années d’avant. C’est marrant comme le sort des boulangeries, ça tracasse quand ça empêche de faire tourner la machine capitaliste, moins quand elles se cassent la gueule à cause d’un boom de leur facture d’électricité. Ou quand elles sont incendiées parce que l’apprenti est ivoirien. Jamais personne n’a cherché à polémiquer sur cette fermeture le 1er mai. Nous-mêmes, avec mon adoré, nous nous sommes prévus un petit pique-nique pour casser la croûte après la manif sans devoir dépendre d’un quelconque commerce de bouche. J’ai fait un délicieux cake courgette-saumon fumé, un bon match. Mais dans une période où les différents gouvernements français prennent les salariés à la gorge, cette saillie n’est pas anodine.

Encore une attaque sur un de nos conquis sociaux

Parce que le 1er mai est le seul jour férié qui est obligatoirement payé double. Parce que c’est le seul jour férié qui célèbre une victoire syndicale. A l’heure où tous nos conquis sociaux sautent les uns après les autres, cette attaque médiatique n’est pas anodine. Plutôt que de célébrer une victoire syndicale, on a dû “débattre” de l’ouverture des boulangeries. Alors non, on ne parle pas ici d’empêcher des gens de travailler pour avoir un petit bonus en fin de mois. On ne parle pas de “s’ils ont envie de bosser, pourquoi les empêcher ?”. On parle d’une attaque en règle sur nos droits. Sur nos conquis. On a déjà perdu un jour férié par “solidarité” avec nos vieux. C’est rigolo parce que le fait que je bosse précisément ce jour-là, ça aide plus mon (connard de) patron que les personnes âgées. Oui, ok, mon salaire va dans une caisse particulière, bla bla bla. Mais ma force de travail, elle, elle nourrit exclusivement mon PDG, voyez…

On ne cèdera pas pour une baguette

Bref, on dit non au travail du 1er mai. On a été capable pendant des années de ne pas aller à la boulangerie s’acheter sa petite baguette ce jour-là, on devrait continuer à survivre. En tout cas, cette histoire m’aura appris qu’il y a encore 12 millions de gens qui achètent du pain tous les jours. J’aurais pas cru.