Je me suis renseigné.e, je sais de quoi je parle

Quand on "débat" avec quelqu'un sur le web (sous entendu quand on s'engueule avec quelqu'un qui n'est pas du même avis), il n'est pas rare que surgisse l'argument d'autorité. En fait, il surgit très rapidement. J'ai raison, donc tu as tort, car je m'intéresse de près au sujet depuis des années et je sais mieux que toi. Alors bon, félicitations pour ton intérêt suivi sur de nombreuses années et ton éveil à cette question mais s'intéresser de près à une question ne te donne pas forcément raison. Car souvent, on ne cherche pas à savoir mais à chercher des biais de confirmation. Bref, je me suis renseigné.e pour avoir des éléments à te jeter à la figure sans forcément faire un travail de remise en perspective.

Prenons le Coran. J'ai la sensation qu'il y a plus d'islamophobes que de musulmans qui ont lu le Coran, vraiment. Loin de moi l'idée de condamner la démarche mais si tu lis le Coran non pas dans une volonté d'apprendre, d'acquérir un savoir, mais juste pour confirmer que c'est une religion violente, le fait que tu aies lu ce livre sacré ne t'en rend pas expert. Bon et puis prends n'importe quel livre religieux, tu peux y trouver des appels à la guerre un peu partout, surtout si tu confonds guerre intérieure avec guerre tout court (exemple : le djihad). Un exemple concret : lors de notre voyage en Egypte où les Français ont brillé par leur racisme (pourquoi tu vas dans un pays arabe si tu ne les aimes pas, mystère... Au pire, ferme ta gueule, je sais pas), l'un d'eux s'est un peu énervé face à la guide en mode "oui bah vous avez 20% de Coptes en Egypte et pas un au gouvernement alors que nous, on a quatre Ministres musulmans depuis Macron !". On se regarde, interdits, avec Victor : mais de qui parle-t-il ? Alors en fait de ministres, ce sont plutôt des secrétaires d'Etat et je n'ai pas le temps de chercher de qui il s'agit (Mounir Mahjoubi et Leïla Slimani, ok, mais après ?). Mais comment savoir ça de façon si précise ? Je n'ai pour ma part aucune idée de la religion de notre gouvernement et c'est assez normal vu que c'est privé et que religion et Etat, on n'est pas censé mélanger. Un autre exemple, ceux qui brandissent leur incroyable érudition sur l'esclavage des Noirs par les Musulmans. Mais personne ne nie ça, en fait, juste que ce n'est pas un argument quand on fête la fin de l'esclavage et la reconnaissance que la France n'a pas toujours été clean par le passé.

Il y a aussi ceux qui cachent leur racisme sous une certaine culture. Du genre "je ne peux pas être raciste, je suis allé.e au dernier concert de Souad Massi et je sais dire "Salam", "choukran" et même que je suis allé.e à Djerba en vacances". Très bien mais ça n'empêche pas que tu dis de la merde par ailleurs. Moi, par exemple, j'ai adoré Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, j'ai passé quelques jours enchanteurs à New York, je consomme des séries américaines et je parle anglais, c'est pas pour autant que je n'ai pas une sorte d'anti-américanisme instinctif. Pire, certains se nourrissent de la culture pour laquelle ils ressentent de l'aversion pour venir t'expliquer ensuite que eux s'y connaissent, qu'ils ont une grande culture et que le bon Juif, il est comme ci, comme ça, pas comme ci ou comme ça. Comme ils se sont penchés sur la culture, ils ont le droit de juger. Du coup, à l'inverse, un étranger a-t-il le droit de me juger mauvaise Française parce que je ne suis pas à la lettre les préceptes du romantisme français ou que je ne mange pas de pain et de fromage à tous les repas ? Ca peut paraître exagéré mais franchement, qui n'a jamais entendu quelqu'un classer une ethnie étrangère par "bon" ou "mauvais" parce que eux, ils savent car ils connaissent cette culture.

Même avoir étudié un sujet dans le cadre d'une maîtrise ou d'une thèse est sujet à caution. Il faut en fait différencier les faits de leur interprétation. Je me souviens qu'en première année de fac, j'avais réalisé un exposé sur un penseur réactionnaire et m'était appuyée sur un mémoire (maîtrise ou thèse, je ne sais plus). Je me plonge dans la lecture en prenant quelques notes et je commence à tiquer un peu. Cette phrase, là, il a dû oublier les guillemets le jeune homme qui a pondu ce travail... Ah non, en fait, c'était un pur royaliste. La neutralité, on s'en fout ! Après, ne me lisez pas de travers : je pense qu'il est inévitable que l'on se penche sur un sujet sans des à prioris qu'on va avoir du mal à lâcher. Là, par exemple, j'ai l'ambition de faire quelques dossiers d'actualité sur ce blog. Je vais tenter de croiser les sources au mieux mais j'ai un système de pensées, certaines appétences. S'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, ça ne se fait pas non plus à la lecture de trois articles. Vous imaginez le truc ? "J'ouvre le journal, oh quel article intéressant... ah mais oui, j'étais dans le faux depuis 38 ans ! Merci journal !". Nous sommes tous pétris de biais de confirmation et s'il y a bien une chose que l'actualité peut nous apprendre (l'Histoire encore plus, il existe tellement de lectures d'un même événement), c'est qu'il n'existe jamais une interprétation universelle. Le fait est brut, les explications ne le sont pas. Nous avons tous des biais de confirmation.
 

Mais, puisque je parle de faits, puis-je clore cette mini série sans parler du fact checking ? Of course not ! A très vite pour la suite !

Edit : je rajoute au dossier la très bonne vidéo de Defakator (qui me servira de base pour un nouvel article sur le sujet auquel je n'avais pas pensé)