Une bonne femme battue doit rester passive

J’aurais souhaité appeler cet article “Mauvaise victime” mais j’avais déjà utilisé cette formule pour Emily Spanton, il y a quelques années. Mais puisque les choses n’évoluent pas, on va se répéter. Encore et encore. Même si certain.e.s n’écouteront pas, on le sait. Pire, ils seraient capables de pondre un comm pour me dire que j’ai tort alors qu’ils n’auront même pas lu l’article. Juste à cause du sujet. Car on va parler d’Amber Heard et son ex violent. Ah oui, puisque vous considérez que seule la justice sait reconnaître les bourreaux, Johnny Depp a été reconnu coupable de violence conjugale. La justice britannique a considéré que le Sun avait le droit de le traiter de frappeur de femme vu… que les faits prouvent que c’est vrai. Mais bon, apparemment, pour vous, le fait qu’il ait été condamné pour violences ne compte pas parce que… elle, c’est une connasse. Vous êtes sérieux ?

Un avis neutre sur deux personnes que je ne connais pas

Alors je n’ai, dans l’absolu, aucun avis sur Amber Heard. Je l’ai trouvée fort jolie dans Aquaman mais euh… j’ai pas un énorme souvenir de ce film. J’ai trouvé que c’était le plus valable du DC universe sauce Zack Snyder parce que c’est juste un film d’aventure qui ne prétend pas être autre chose. Un peu comme le premier Wonder woman. Nonobstant les ratés d’écriture cependant. On n’est pas là pour le scénario, ok, mais n’abuse pas trop non plus. Bref, voilà, Amber Heard, je l’ai vue dans Aquaman. Johnny Depp, forcément, c’est le crush d’adolescence dans 21 Jumpstreet. Oui, je suis vieille à ce point, oui. Puis quelques films Burton de la grande époque. Jusqu’à Sleepy Hollow, après, il est devenu la caricature de lui-même. Puis Pirate des caraïbes, j’avais bien aimé le premier, pour les mêmes raisons qu’Aquaman. Le 2 fut un gigantesque “meh”. Quant au 3, j’ai abandonné dès la scène des crabes. Oui, ok, Depp aime cabotiner mais j’aimerais qu’on me raconte une histoire… Bref, je ne suis pas une grande fan ni de l’un ni de l’autre. Et si on parle de leur vie via les rumeurs de tabloïds… Et bien je ne sais pas trop ce qu’on dit d’eux.

Saint Johnny de la rédemption... ou pas

Arrive donc ce fameux procès pour diffamation où les avocats de Depp ont décidé d’en faire le procès de la rédemption. Et ils ont fait un travail impeccable, on ne va pas se mentir. Ils ont joué sur deux tableaux : la fin de la carrière de Johnny Depp et le fait qu’elle soit une menteuse hautaine et antipathique. Et ça a marché. Dès qu’elle pleurait, l’armée virtuelle de Johnny éructait “non mais ça veut rien dire, c’est son métier de jouer la comédie”. Ah parce que lui est peintre en bâtiment ? La haine pour Amber est si forte que les pro-Johnny ne voient aucun souci à lui cracher à la gueule en permanence, l’accusant de mentir à la perfection tout en défonçant sa carrière car elle est nulle. Je. Je ?? Bon, je sais qu’on n’a pas trop à faire au haut du panier ici mais quand même, respectez-vous un minimum ? Surtout que… on s’en fout de qui est la victime, en vérité. Et j’insiste sur le mot victime. C’est reconnu par la justice. Mais le récit médiatique vous raconte que Johnny est sauvé, innocenté, il va reprendre sa carrière comme avant. Alors non, non et non. La justice britannique l'a reconnu coupable d’avoir frappé à de nombreuses reprises son ex-femme. Et sa carrière est en berne parce que c’est un connard alcoolique et incapable de faire son métier correctement. Mais la rumeur s'est amplifiée : s'il a perdu le rôle de Jack Sparrow, c'est à cause d'elle.

Tout est de la faute d'Amber

On touche ici un point essentiel. La victime coupable. Point un du récit médiatique Deppien : c’est quand même bizarre qu’il ait été si violent avec elle alors qu’il était adorable avec Vanessa Paradis. Ou avec Wynona Rider. Ok, très bien. Alors je sors la carte Kate Moss. Oui, c’est assez curieux, je n’ai vu son nom nulle part à elle dans toute cette histoire. Pour les plus jeunes, Johnny Depp et Kate Moss ont eu une relation pour le moins sulfureuse à base de chambres d’hôtel régulièrement ravagées. Ah oui, on sent le mec tout à fait sain et sans aucun problème. Alors elle a certes témoigné pour dire qu'il ne l'avait pas poussée dans les escaliers à l'époque... Comme la chambre d'hôtel détruite. Ils se disputaient pas, ils chassaient un tatou fantôme... D’ailleurs quand il a commencé à fréquenter Vanessa Paradis, il y avait tout un storytelling autour du fait qu’elle l’avait sauvé de ses démons. Quoi ? Comment ? Mais je croyais que c'était un doux agneau et que c’était juste Amber qui l’avait cherché et que jamais ô grand jamais il n’avait été violent jusque là. Oh oui, vous la voyez la belle histoire médiatique vendue pour sauver un riche homme blanc ?

Votre héros est un connard

“Ah oui mais elle aussi, elle a été violente”. No shit Sherlock. Alors j’avoue avoir eu la grande chance de ne pas avoir subi de violences conjugales mais il me semble que si on me frappe avec violence de façon répétée, je peux rendre les coups. Surtout qu’une fois de plus, certains faits ont été travestis. “Elle lui a coupé le doigt”. Non, il a été jugé qu’il s’était fait ça tout seul. Et je vais même pas parler du caca dans le lit qui a fortement fait ricaner contre elle. Ca encore, un coup de Johnny pour humilier son ex. Bref, les avocats de Depp ont réussi à faire de ce procès ce qu’il n’est pas. Non, votre héros reste un connard reconnu coupable de treize faits de violence conjugale. Treize. Et au passage, lui aussi a été condamné à lui verser deux millions pour diffamation. Mais ça, curieusement, personne n’en parle.

Le backlash que l'on craignait est arrivé

Ce procès est un énorme retour en arrière. Le backlash attendu de Metoo. Pour un porc tombé, combien ont depuis été sacralisés par un patriarcat revanchard ? Genre Polanski, Casey Affleck ou Depp. Y a que les hommes noirs qui n’ont pas trop le droit de déraper. Ce procès est une magistrale claque donnée à toutes celles qui défendent la cause des femmes. Y a qu’à voir tous les débilos qui se réjouissaient de voir toutes les “féminazies” se scandaliser du verdict. Oui, je me scandalise, Jean-Connard. Je me scandalise de voir qu’en 2022, on condamne une femme qui a osé prendre la parole en tant que victime de violence conjugale. Elle a été condamnée pour diffamation pour une tribune où elle ne citait pas Johnny Depp. Evidemment, on sait de qui elle parlait mais ce n’était pas le sujet. D’ailleurs, savez-vous de quoi parlait l’article en question ?  Des abus qu’elle a subies en tant que femme à Hollywood. Parce que c’st un système extrêmement favorable aux Hommes, surtout puissants. Et en tant que victime de violences conjugales, elle a perdu de nombreux contrats et a été menacée de mort. Elle dénonçait ce système violemment patriarcal et la justice lui a dit qu’elle avait eu tort de parler et qu’elle n’avait plus le droit de le faire. Sa souffrance n’est rien comparé à la carrière d’un homme soit-disant canceled. Le mec a tourné dans quatorze films depuis son divorce dont Les animaux fantastiques II, ce qui avait fait un tollé. Il est toujours l’égérie de Sauvage de Dior. Oui, la marque n’a pas vu le souci de garder un acteur reconnu coupable de violences conjugales pour un parfum qui s’appelle Sauvage. Tout le monde chiale sur le sort de Johnny mais la seule chose qui l’a canceled, ce sont ses addictions. Pas son divorce. Contrairement à elle.

Tu peux pas te dire féministe et te réjouir de ce verdict

Et ce qui me rend folle, vraiment, ce sont certaines qui se prétendent féministes se réjouir du verdict. Je parle pas de féministes à la Némésis. Non merci les pick me. Je parle de celles qui se réjouissent parce qu’Amber est une connasse prétentieuse. Je ? Alors peut-être qu’Amber est une connasse prétentieuse mais on s’en fout complètement ici. On ne choisit pas qui on soutient en fonction de leur personnalité. Il faut être attentif au message derrière. Il faut faire attention aux relations de pouvoir. Ce n’est pas juste Amber Heard qui a perdu un procès. C’est clairement la fin de l’épisode Me too. Vous avez bien balancé, les femmes ? Et bien, c’est fini. Pourquoi les médias ont autant chargé cette femme ? Parce qu’elle a ouvert sa gueule en dehors de la vague Me too. Y a qu’à voir le peu de soutien dont elle a bénéficié. Peu importe qu’elle soit sympa ou non. La justice a dit à une femme qu’elle n’avait pas le droit de parler publiquement de ce qu’elle avait vécu. Qu’elle n’avait pas le droit de mettre sa notoriété et son vécu au service de la cause féministe. C’est dramatique.  

Se repaître des femmes victimes

Bref, le plus difficile quand on tente de se déconstruire, c’est de se défaire des récits médiatiques. Le patriarcat s’est régalé à dépecer une femme qui avait osé l’ouvrir. Une femme victime de violences conjugales qu’on n’a pas hésité à jeter sur la place publique pour qu’elle soit lapidée. Cette affaire n’est ni plus ni moins que ça. On en revient toujours au même point : la victime doit être parfaite et pure sinon, ça ne compte pas. Cf Alexia Daval. Ok, son mec l’a tuée et a brûlé son corps mais elle n’était pas très gentille quand même. Je n’écris pas pour convaincre les mascus pur jus qui vont sans doute me dire que je rage et que c’est bien fait pour Amber… Déjà le “bien fait”, ça vous situe le niveau. Ce sont ceux prêts à réfléchir à la question que je tente de faire réagir. Car on va revenir. Une vague encore plus forte. Réfléchissez juste à qui vous donnez votre soutien. Réfléchissez quelle décision de justice vous réjouit alors qu’elle devrait heurter vos valeurs. Vous l’avez ? Alors prenez votre clavier, votre micro, votre caméra et allumez un petit contre-feu. Même si vous touchez dix personnes, dans le lot, il suffit qu’une prenne conscience de l’arnaque de cette histoire pour qu’on avance. Pas à pas. 

Le backlash est actuellement violent. On ne doit pas céder, rien. Même si on trouve la victime antipathique. Ce n’est pas elle, le sujet. C’est nous.