Plof. Parmi les mythes que l’on nous raconte à l’adolescence, il y a celui du bad boy. Ce garçon ténébreux au passé trouble que l’on doit sauver de lui-même… Et c’est de la grosse merde. De façon générale, les histoires de princes charmants torturés et de “l’amour, ça fait mal et c’est normal” ne servent qu’à fournir des compagnes aux pires mecs de la Terre, on ne va pas se mentir. Et je pense qu’il est temps d’apprendre à nos filles que non, l’amour qui fait mal, ce n’est ni romantique ni même normal.
L'amour, ce n'est pas agresser sa meuf sur un quai de gare
Vendredi 15 juillet, petite gare de province sous la canicule. Mon mec et moi attendons le train, le retard ne cessant de se rallonger. Quelle idée de voyager avec la canicule, aussi… Alors que nous poireautons, mon mec m’indique discrètement un couple que je venais également de repérer car… Houston nous avons un problème. Elle : plutôt mims, jolie tenue, assez jeune. Lui en mode treillis, un peu plus vieux. Et il n’arrête pas de taper la table ou de donner des coups de pieds dans la chaise de sa copine qui ne réagit pas particulièrement. Indice : ce ne doit pas être la première fois que ça arrive. Un mec qui tape le mobilier étant un immense red flag, on passe en mode vigilance et on les suit quand ils se déplacent car lui est clairement en train de vriller. Le ton monte, il l’embrasse plusieurs fois de force, on est plusieurs à les séparer. J’échappe à la morsure de son chien qui, voulant me choper la cuisse, n’a attrapé que mon short très large et flottant. Un autre gars a eu moins de chance. Bref, on arrive à isoler la fille dans le bureau du chef de gare et l’une des employées SNCF (adorable, coeur sur toi) me lâche un “c’est pas la première fois”, partageant avec nous son envie de filer un bon coup à ce connard.
Et j'ai peur pour cette pauvre fille
La suite, je ne la connais pas. Je suis partie prendre mon train. Je ne sais pas ce qu’il est advenu. Lui avait fini par partir avec son chien (pauvre bête, au passage) mais il sait où elle habite et ce n’est pas la première fois. Je ne peux m’empêcher d’imaginer que ça n’en restera pas là. Ca sent le “couple terrible à plein nez” qui rompt et se rabiboche en permanence. Celui des sitcoms, des comédies romantiques. Vous savez, cet univers où le harcèlement est sexy, qu’un non ne veut pas forcément dire non et d’ailleurs, quand on insiste un peu, ça finit par passer. Car oui, nous sommes biberonnés à ces beeeelles histoires où le mec est un énorme forceur ou un rebelle écorché vif et tout ira mieux dans sa vie quand il aura la fille. Est-ce que tout ira mieux dans la vie de la fille ? Ca, on sait pas. On s’en fout, même, c’est pas le coeur de l’histoire. De toute façon, elle, son but, c’est de soigner l’homme, c’est dans son ADN, voyez. Le mythe du care chez les femmes est une pure catastrophe.
Mais pourquoi tu as choisi ce mec ?
Et c’est justement là où je veux en venir. Si je me réfère au couple des précédents paragraphes, je ne comprenais pas ce que cette fille faisait à ce gars. Je veux bien croire que l’amour est aveugle mais il avait sale allure et l’hygiène douteuse. Oui, j’ai l’odorat sensible et quand un mec se colle à 2 cm de mon visage pour me dire de me casser, je sens un peu sa sueur âcre. Ca faisait un peu le cliché de l’ado bourgeoise qui sort avec le gars en marge de la société de la société. Sauf que va sortir de ça après. Le mec n’arrêtait pas d’alterner accès de violence et chantage affectif et tant qu’il n’aura pas trouvé une nouvelle victime, il ne la lâchera pas. Et ne comptons pas sur la justice pour protéger la demoiselle. Les féminicides commis par des ex violents et reconnus comme tels par la justice, il y en a quasi tous les jours. Limite, y a plus qu’à espérer que notre cogneur de mobilier se lance dans un petit cambriolage et soit attrapé. Là, elle sera enfin débarrassée de lui. Ou alors il l’agressera. Encore et encore. Jusqu’où ? Non parce que les bousculades à quelques centimètres du bord du quai de la gare, comment dire ?
Il faut éduquer sur les red flags...
Alors il faudrait changer nos narratifs. Attention, en aucun cas, je ne fais du victim blaming en disant qu’elle est tombée amoureuse de la mauvaise personne. Surtout que certains mecs savent très bien se montrer adorables tant que la personne n’est pas 100% sous emprise. Ca prend du temps pour repérer les red flags. Surtout que plus ce sont des ordures, plus ils ont un talent pour repérer leurs futures victimes. Des femmes en manque de confiance, fragiles, un peu soumises… Enfin, je ne suis pas douée pour ça, moi, donc je vais avoir du mal à établir un portrait robot de la victime parfaite mais ils connaissent les failles et les exploitent à fond. C’est fou de se dire que pour certains, leur talent dans la vie, c’est de faire du mal. Mais je pense qu’il y a aussi un narratif à casser. Ok, le prince charmant n’existe pas mais il n’existe pas un gentil garçon derrière le mec ténébreux et violent. Un mec violent le restera. S’il commence à taper les murs ou les distributeurs des gares, il faut fuir à tout prix. Je ne doute pas que ce garçon soit malheureux mais s’il a des soucis, c’est un.e psy qui doit aller voir. J’avais hurlé en lisant After, une rom com young adult qui tapait pile là-dedans. Une héroïne niaise, un mec effroyable “mais il a souffert tu comprends”. Ah oui donc parce qu’il a souffert, il peut te faire du mal, physiquement ou psychologiquement ? Te mentir, te trahir ? Bousiller tes amitiés, ton boulot, ta vie ? Désolée mais on va arrêter de jouer les Mère Teresa (le care dont je parlais plus haut). On n’a rien à sacrifier à l’amour. Si le mec va mal mais n’essaie pas de s’en sortir, ce n’est pas toi qui le fera. Il se servira juste de son mal-être comme excuse à chaque fois qu’il te fera du mal. Relisez l’enquête de Médiapart sur Léo Grasset et son comportement, surtout avec Manon Bril. Le “Ca me flingue de voir le mal que te fait notre histoire”. Dire ça à une meuf en dépression juste pour le garder sous sa coupe, on est à quel niveau de monstruosité ?
Et désacraliser l'amour
Bref, il va falloir désacraliser l’amour et notre besoin irrépressible de faire de ce bad boy un mec bien. La seule personne qui pourra changer une personne, c’est elle-même. Si le mec est incapable de changer seul, qu’il vous fait du chantage en mode “sans toi, je suis une merde”, c’est littéralement un mensonge. Ce n’est pas à vous de faire le travail. Oui, une relation amoureuse peut faire évoluer en bien. Je suis la première à mesurer ce que mon mec m’a apporté et réciproquement. Mais ce ne fut pas une lutte. Ce ne fut pas violent. On s’est juste rencontrés à un moment où on avait envie de plus de calme, de stabilité et les choses se sont mises en place toute seule. Il faut arrêter de rendre sexy de parfaits connards problématiques, de fantasmer le mec mal dans sa peau qu’on va changer. La fable de la grenouille et de la princesse, c’est pas une vraie histoire. Et franchement, quand je vois la gueule des productions culturelles actuelles, on a encore du boulot. Même si on réalise aujourd’hui que les nice guys des séries des 90s, 2000s sont d’effroyables connards toxiques et forceurs dont on ne veut pas dans nos vies. Genre Ross ou Ted.
Et peut-être qu'il est là, mon engagement militant
En attendant, cette histoire sur le quai de la gare m’a un peu minée et je me dis que peut-être que mon engagement militant que je cherche depuis des années, il est là. Dans une asso qui aide les femmes en difficulté. Parce que ce n’est pas juste de payer de sa santé mentale et physique d’avoir eu un coup de coeur pour le mauvais mec.