J’avais prévu de lancer ma série sur mon avant-dernier job de merde, aujourd’hui. Oui "avant-dernier" car si les jobs de merde étaient des Pokemons, je serais une chasseuse légendaire. Mais en écrivant mon article d’hier, j’ai eu une petite idée d’articles pour illustrer toute l’absurdité du monde du marketing. Ca va être un peu mordant mais ça me fait plaisir donc on y va. 2022 est une année de cauchemar pour les responsables acquisition et autres marketeux car… on va pas atteindre le CA prévisionnel. Pourquoi ? Parce que la vie. Mais aucun PDG ne veut entendre ça. Sans doute parce que ce sont des cons mais c’est pas le sujet.
Des années record avec le Covid
Octobre ou novembre 2021. Je suis assise dans une salle de réunion pour préparer le Forecast 2022. Le forecast, pour les non-initiés, c’est l’exercice qui consiste à projeter les résultats attendus sur l’année suivante. En général, ça part comme ça : ok, on vise les +X%, comment qu’on va faire ? La réponse un peu basique c’est d’investir éventuellement plus sur des leviers qui n’ont pas encore atteint tout leur potentiel, investiguer de nouveaux partenariats. Et aussi améliorer ton site, agrandir ton catalogue, trouver un moyen pour que les gens achètent plus régulièrement, etc. Sauf qu’il y a un premier hic : on sort de deux années de confinements épisodiques et clairement, le gouvernement a décidé que ça coûtait moins cher de soigner les gens que de les protéger. A mon avis, les calculs sont pas bons mais il semble meilleur pour les gens de pouvoir aller au resto que d’être en bonne santé. Je travaillais pour un site e-commerce donc le calcul était pourtant simple : on a fait deux années record parce que le Covid. Il faudrait donc repartir des résultats de 2019 pour être juste. Mais apparemment, j’étais la seule à percuter un peu ça.
C'est la panique, ça baisse !
Je parle de mon avant-dernière boîte mais c’est un peu partout comme ça. Sur le premier semestre 2022, j’ai dû faire des claquettes auprès de tous mes clients pour leur rappeler que, hé, en 2021, il y a eu une sorte de confinement. Un “confinement” qui consistait juste à fermer les boutiques non-essentielles mais tu pouvais aller au bureau et à l’école par contre. Genre c’était moins risqué de passer la journée dans un open-space mal ventilé plutôt que dans des centre commerciaux toujours à moitié vides. Bref, les clients chouinent “oui mais je suis à -10% versus l’année dernière alors que ça faisait deux ans que j’étais en croissance !”. Et évidemment, tu peux pas comparer avec 2019 car trois ans, en marketing digital, c’est une éternité. Surtout avec Google qui nous sort une nouvelle règle tous les trois matins. J’ai tellement pas aimé bosser sur le SEA, ciel. Cependant, la baisse était prévisible.
Croître à l'infini et au-delà !
Prévisible mais inaudible. On fait du +%, c’est la règle. On grossit chaque année, jusqu’à… jusqu’à éclater ? Mmm, ça me rappelle une fable, tiens. Sur ça, on rajoute du contexte particulier de cette année 2022. Une sorte de retour de karma presque : l’e-commerce a fait un énorme boom pendant deux ans parce que les gens pouvaient pas bouger de chez eux. On rajoute un handicap : inflation, guerre, panique. Parce que oui, les prix grimpent très vite et faut faire des choix. Alors perso, je rêve d’un monde où entre un plein d’essence et des légumes frais ou un livre, les gens choisissent la bonne nourriture ou la culture mais y a des impondérables. Oui, en tant que citadine, je suis exaspérée du tout bagnole, surtout quand on sait que la voiture est utilisée pour des trajets souvent courts, à peine une dizaine de minutes. Mais y a pas toujours d’alternative, en fait. Pour les trajets courts, clairement, le vélo. Mais la voiture reste indispensable pour pas mal de gens. Moi-même, j’ai super peur de devoir bosser à Mérignac pour mon prochain job. 1h de vélo, 1h30 de transport. J’ai pas quitté Paris pour me manger 1h30 de transport, hein. Et en voiture ? Une vingtaine de minutes. Donc les gens ont des besoins. Manger et aller travailler passe avant le loisir. C’est peut-être triste mais c’est comme ça.
Il faut inverser la courbe... par la magie ?
C’est là qu’entre en scène la machine à broyer. Ce que je viens de vous dire, ça vous paraît sans doute tomber sous le sens. Ah oui, Nina Bartoldi, la blogueuse qui écrit des trucs qu’on sait tous, merci, hein. Sauf que les N++, eux, ils n’ont pas l’air de capter. On avait dit +10% et là, on n’y est pas. C’est quoi ton plan pour corriger ça ? Mon plan ? Mon plan à moi, simple marketeuse, pour éliminer l’inflation et donner plus d’argent aux gens pour qu’ils achètent tes merdes ? Alors j’ai voté à gauche pour un SMIC revalorisé et je parle tout le temps du salaire universel mais après… Je suis censée aller voir Poutine pour lui dire qu’il fait de la merde et que mon boss n’est pas content ? Je veux dire à un moment, je veux bien corriger des trucs à la marge. Mais la meilleure annonce Google ou le meilleur ciblage en programmatique ne va pas changer un fait : y a plus d’argent. Les gens ne vont pas se nourrir de tartines au kiri pendant un mois pour acheter un truc dont ils n’ont pas besoin, tu vois. On sait déjà pas dans quel état on va passer l’hiver, on investit dans les bouillotes parce qu’on n’aura pas les moyens de se chauffer. Donc non, acheter du loisirs, ça va pas le faire. C’est même pas une question de calcul. Ton produit n’est même pas dans l’équation.
Tu peux pas vendre un stock infini de produits
Macron l’a dit, c’est la fin de l’abondance. Au-delà de la punchline dont on a tous bien rigolé, il y a un point essentiel : la (sur)consommation ne peut pas être un plan viable en fait. Les patrons attendent que leur chiffre d’affaires gonfle année après année mais forcément, à un moment, tu vas atteindre un plafond. Une fois que tu auras optimisé au mieux ton acquisition et ta rétention, il faudra admettre un fait. Tu ne peux plus faire plus. Les ressources ne sont pas infinies, surtout les ressources financières des gens. T’as beau réduire la durée d’utilisation des produits via l’obsolescence programmée, ça ne peut pas marcher ad eternam. Même si l’Iphone me donne tort à chaque fois là-dessus. Mon Dieu mais qui est assez con pour cramer à minima 1000 boules dans un téléphone qui ne sera plus hype dans un an ? Vraiment, si vous savez pas quoi faire de votre argent, donnez-le au lieu de vous faire pigeonner de la sorte. Je sais bien que CNews nous raconte chaque année que les pauvres achètent des écrans plats avec les allocations de rentrée. Mais en vérité, personne ne change de télé chaque année. Oui, il y a bien les étudiants qui prennent leur premier appart et veulent une télé mais je pense qu’on va plus être sur un petit écran qu’un 4K qui prend tout le mur. Et aujourd’hui, je suis à peu près persuadée que les étudiants matent tout en streaming sur leur ordinateur portable et n’ont plus d’écran chez eux.
Les habitudes de consommation changent
On ne peut pas attendre une consommation infinie. Parce que le contexte, déjà, mais aussi l’évolution des moeurs. Les médias ont beau nous faire croire que les écolos déraisonnent, plusieurs personnes m’ont confiée ne plus se sentir à l’aise à l’idée de prendre l’avion et réfléchissent à une autre façon de se déplacer. On fait plus attention à ce que l’on mange et ce que l’on consomme. C’est un fait. Pour la culture, on réfléchit à d’autres moyens. Les e-books, les boîtes à livres et ça m’étonnerait pas d’apprendre que les fréquentations des bibliothèques ont augmenté. Moi-même, je me suis enfin inscrite et je pense ne plus acheter de livres papier avant… pfiou. Le livre papier va devenir pour moi plus un objet de décoration qu’un consommable, je crois.
C'était parfaitement prévisible
Bref, à un moment, ton responsable acquisition, ton account manager, ton agence marketing n'est pas responsable du contexte. Contexte qu'on pouvait déjà deviner fin 2021 au moins sur la partie "plus de confinement". Le pire, c'est que pendant qu'on faisait nos maths, le "responsable projets transverses" aka le fils du patron ricanait en mode "de toute façon, on parviendra jamais à ses résultats". Je souris froidement. Je m'en fous, j'étais démissionnaire. Mais fin 2020, on a fait le même sketch "on met de gros chiffres pour faire plaisir aux investisseurs mais on sait qu'on les fera pas". Ok alors pourquoi vous m'avez foutu la pression toute l'année pour coller à cet objectif irréaliste ? Et surtout... on les a écrit avec notre sang, ces chiffres, pour qu'on refuse de revenir dessus ? Voyez, elle est là la machine à broyer. On te colle des objectifs qu'on sait peu réalistes mais on refuse de t'écouter quand tu expliques que ce n'est pas raisonnable. On fait la moue quand tu expliques que la conjoncture n'est pas ouf. Pire, on va te balayer d'un "ce sont des excuses, ça !". Oui, j'avoue, la guerre en Ukraine, c'est moi. Mes chiffres étaient pas top alors j'ai mis le feu partout.
Arrêtez de saouler vos salariés avec l'impossible
Bref, la croissance infinie du CA n'existe pas, les guerres et l'inflation sont réelles. Donc arrêtez de broyer vos salariés en leur demandant de faire des miracles. De toute façon, l'effondrement n'est plus très loin et tout ça n'aura bientôt plus grande importance. Oui, je ne savais pas trop comment conclure...