On va parler travail et salariat mais ce sujet pourrait s’appliquer à plein de domaines. Le travail est un sujet qui tend, globalement. Il rend malheureux la plupart d'entre nous mais dès que quelqu'un s'échappe un peu de cet enfer absurde, on le critique, on le méprise, on le dénonce. Mais ce ne sont pas les chômeurs que vous détestez, c'est votre travail. Evidemment, on rêve tous d'une vie la plus oisive possible, loin de tous ces cons. Bien sûr que ça déprime de mesurer toute l'énergie consacrée à produire du vent. Et ceux qui ont un taf qui sert à quelque chose le font quasi gratos. Dans cette logique toxique, la haine d'un autre, réel ou fantasmé, arrive très vite. Comme ce collègue ou cet ami qui n'en fout pas une rame.
Ah, ces feignasses de fonctionnaires
Dans la famille des “travailleurs qui n'en foutent pas une”, on va avoir trois catégories. D'abord les fantasmés. Puisque ceux qui foutent rien, ce sont toujours les autres. Ici, on va plutôt désigner les corps de métier autre. J'ai grandi avec des blagues sur les fonctionnaires genre “personne ne peut piquer l'horloge des fonctionnaires car tout le monde la regarde”. Ma mère parlait toujours de ces feignasses de fonctionnaires aussi. Alors qu’elle l'était elle-même mais c'était pas pareil. On a toujours cette image de fonctionnaires ternes et paresseux qui travaillent derrière un comptoir vitré et ont pour objectif d'en faire le moins possible. Des personnes naturellement lentes, à l'image du paresseux dans Zootopia. Cliché international.
Faire un boulot chiant avec enthousiasme ? Personne, jamais
Ça fait très longtemps que je n'ai pas été en guichet mais si mes souvenirs me racontent une histoire similaire à ces clichés, changeons un peu de perspectives. Vous pensez pouvoir exécuter des tâches répétitives et peu valorisantes toute la journée avec enthousiasme et dynamisme et ce pendant 40 ans ? Et pour ceux qui commenceraient à sortir le couplet du “ils ont qu'à faire autre chose si ça leur plaît pas”, je vous rappelle que tout le monde n'a pas le luxe de choisir son métier. Sinon, beaucoup de postes ne seraient pas pourvus. Et quitter son job pour rester au chômage dans une société qui déteste les oisifs… Je parle des fonctionnaires mais aujourd'hui, on pourrait sortir le même discours avec les influenceurs qui me semblent assez unanimement détestés. Alors que bon, dans la vraie vie, des influenceurs qui génèrent un revenu confortable, ils sont pas légion et sont contraints à une production intensive de contenus. Et quand je dis tout le monde déteste les influenceurs, ce sont surtout les influenceuses qui en prennent plein la gueule. Y a qu'à voir comme les histoires de prostitution humiliante à Dubaï fait ricaner.
Ceux payés à ne rien faire vs ceux qui sont occupés
Ensuite, on a le salarié ou la salariée qui ne fout rien.. car il n'a rien à faire. Le fameux bore-out qui est un poison. Moi-même je sais. Dans l'absolu, on rêve tous d'être payé à ne rien faire. Le problème est que l’on percute toute l’absurdité de notre société où tout le monde doit travailler alors qu’il n’y a plus de travail pour tout le monde. Pour les entreprises, la masse salariale est un argument, un peu comme la belle maison ou la belle voiture. Robert avait pour ambition d’atteindre les 1000 salariés d’ici deux ou trois ans. Sauf que : on n’a pas de force commerciale, la seule croissance enregistrée est due à des rachats. Dans les boîtes rachetées, 50% des effectifs se barrent dans les premiers mois et ne sont pas remplacés. Moins plus moins, ça fait toujours moins. Et puis, chez Robert comme chez Vinyl, on ouvre des services via des rachats qu’on ne sait pas staffer. On se retrouve donc avec des équipes désoeuvrées qui doivent quand même venir au taf. Je me souviens d’une époque où je débarquais chez Vinyl après une heure de transports pour regarder des séries Netflix. Le souci, c’est qu’une équipe désoeuvrée, ça peut vite un peu tendre l’ambiance. Chez Vinyl, par exemple, j’avais, au début, des clients contrairement à la plupart des autres. Du coup, ils arrivaient tous entre 10h30 et midi et faisaient souvent la foire. Ce que je ne leur reproche pas en soi vu qu’une journée à ne rien faire, ça peut vite être très long. Mais ça peut vite nourrir de la rancoeur parce qu’on peut trouver intolérable que certains s’amusent quand d’autres triment. Alors que personne n’est responsable de cette situation.
Il faut faire plus que payé si tu veux réussir !
Et évidemment, le troisième cas, celui de la personne qui fait juste ce qu’on lui demande, ni plus, ni moins, et qui plie les gaules à l’heure dite. Vous allez me demander en quoi c’est un problème de faire “juste” son taf, c’est même très bien dans l’absolu. Sauf que le monde du travail ne fonctionne pas comme ça. Enfin, n’est pas censé fonctionner comme ça, devrais-je dire parce qu’en vérité… On attendra toujours d’un salarié qu’il en fasse plus. Qu’il ne compte pas ses heures, qu’il aille au bout de ses tâches du jour. Tout ça pour… des médailles en chocolat, bien souvent. Bah oui, on demande souvent aux salariés de donner plus mais la promesse d’augmentation, de promotion, est souvent peu suivie des faits. Déjà parce que niveau promotion, les places au-dessus sont déjà prises. Quant à l’augmentation, tu sais, c’est la crise. Par exemple, lors de sa dernière prise de parole, Robert s’est beaucoup énervé quant à l’implication des salariés, a décidé de retirer un jour de télétravail à tout le monde. Puis a annoncé qu’il n’y aurait pas d’augmentation car les clients nous demandent déjà de revoir nos tarifs à la baisse. Je suis pas une experte en psychologie mais il me semble que le management de la carotte et du bâton inclut une carotte, quand même. Là, j’ai juste envie de remettre mon CV à jour et de me barrer fissa. Surtout que je trouve que j’en fais déjà beaucoup alors que je n’ai que trois clients, hein… M’inventer des tâches, ça va aller deux secondes.
Se tuer à la tâche ne sert à rien
Mais on aime valoriser ceux qui respectent cet engagement sacré. Ceux qui en font toujours plus, jusqu’à ce qu’ils en fassent trop. Et croyez bien qu’à ce moment-là de l’histoire, l’investissement passé n’aura aucun poids dans la décision de vous faire sortir ou de vous placardiser. Et j’ai tenu ces discours, j’ai été de celles qui regardaient un peu mal ceux qui “partaient à l’heure”, gros lâcheurs devant l’Eternel. Sauf que les heures que l’on fait en plus, surtout quand on est cadre, ce n’est pas à vous que cela profite. Pas du tout. Tuez vous à la tâche et je vous garantis que personne n’ira graver sur une pierre tombale “mort jeune mais ne comptait pas ses heures”. Par contre, peut-être que vos gamins vous en voudront de ne pas avoir passé plus de temps avec eux. Et pour la team no kids, peut-être que vous regretterez les heures sacrifiées sur un dossier merdique qui n’a abouti à rien. A part à un éventuel ulcère ou de l’eczéma.
Les mauvais élèves, ceux qui font juste ce qu'ils sont payés à faire ?
Le patron a intérêt à montrer du doigt les mauvais élèves. Mais entendons-nous bien sur la définition de mauvais élève parce qu’une personne qui fait “juste” son taf et ses heures, ce n’est pas un mauvais élève. Surtout dans une boite où on lui fait clairement comprendre qu’il n’y a rien à gagner, littéralement, à faire plus. On nous fait croire que c’est à cause de ceux-là que les autres sont punis. Qu’on enlève un jour de télétravail parce que tout le monde ne joue pas le jeu. J’ai pas bien compris quel jeu et je n’ai jamais compris en quoi on travaille mieux au bureau. Pour ma part, c’est l’exact inverse. Je commence plus tard, je finis plus tôt et je parle beaucoup avec mon collègue. Et si l’obligation de venir quatre fois par semaine arrive jusqu’à Bordeaux, je peux vous garantir que les jours de présentiel seront dédiés à mes loisirs avant tout. Je ne fais certes pas les règles mais je peux, moi aussi, ne plus jouer “selon les règles”, peu importe ce que ça signifie. La boite n’est pas en péril parce que les gens ne se défoncent pas. La boite est en récession parce que Robert est un con et qu’il trouve chaque jour moyen de démotiver les troupes. Parce qu’il se mêle de tout car il se croit indispensable alors qu’il ne maîtrise rien. Que tout le monde lui dit de lever le pied parce qu’il est contre-productif mais il n'écoute personne. Alors, oui, dans une boîte maltraitante, comme il en existe beaucoup, y a aucune raison de faire plus que demandé.
Ne vous laissez pas diviser
Alors oui, dans chaque boite, dans chaque entourage, il y a ce salarié qui n’en fout pas une rame, un paresseux avec un poil dans la main qui lui permettrait de devenir champion de javelot. Mais c’est une minorité et croyez bien qu’en temps de crise, ce sont les premiers à sauter. J’ai vécu des plans sociaux et le Covid, je l’ai vu de mes yeux vu. Pour le reste, ne tombez pas dans le piège du diviser pour mieux régner. Et partez à l’heure. Si une journée ne vous suffit pas pour tout faire alors que vous travaillez avec sérieux, c’est que vos taches sont trop importantes pour une seule personne. Et enfin, relativisez l’effort qui est demandé individuellement. Si la boite traverse une crise, y en a qui sont toujours prompts à conserver leur salaire bien gras.