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Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Ce n’est pas qu’une question de retraite

Publié le 2 Février 2023 par Nina in Retraites, Mouvements sociaux, Le travail est une humiliation

Longtemps, j’ai été très naïve. Retour en 2003 où une proposition de réforme de retraites avait mis la France dans la rue. A cette époque, j’avais 23 ans, j’avais un peu travaillé pour gagner de l’argent de poche. Des emplois de bureau à chaque fois. Et j’étais là “oh, c’est triste quand même, j’ai l’impression que personne n’aime son travail”. Meuf, si tu savais que quelques années plus tard, tu serais la première à grimper sur la barricade en hurlant que le travail est une souffrance… Bref. C’est reparti pour une réforme des retraites inutile, manifestations, débats télé mais on oublie l’essentiel. Ce n’est pas tant de retraite que l’on parle que de travail de plus en plus insupportable.

Manif contre les retraites

Vivement la retraite, évidemment

Balayons d’abord le sujet de la retraite. Franchement, moi, j’attends que ça. Parce que cet été, j’ai caressé du doigt cette vie. J’ai pu aller au lac tous les jours pour me baigner, manger des mûres. Ca fait six mois que je ne travaille plus mais je ne me sens pas libre. Cet été, j’ai eu des angoisses administratives qui m’ont rendue aigrie. Plus le fait que je savais que l’été prochain, si je travaille, je ne vivrai pas la même belle vie. Pendant trois mois, j’ai eu ma formation mais ça, ok, c’était cool. Et depuis, j’organise mes journées pour réviser, histoire de ne pas perdre mon savoir. J’ai une horloge qui s’est déclenchée, je dois vite trouver du taf pour ne pas perdre ce que j’ai appris. Tic tac tic tac tic. Bref, je profite pas trop de mon “oisiveté”. Et quand j’aurai retrouvé un job, je chouinerai car j’ai pas eu le temps de lancer ma petite boutique, de faire un diorama, des perles hama, d’écrire un roman ou deux, etc. La retraite, c’est donc une vie où je fais ce que je veux de mes journées sans cette pression de vite trouver un emploi, vite trouver une solution. Et profiter sans cette petite voix qui te susurre que cette belle parenthèse ne va pas durer.

Joyeuse retraite

Une vie de repos méritée

Evidemment, on a tous de beaux projets pour la retraite. Quand on y sera, on voyagera, on fera de la peinture et de la confiture, on s’inscrira à des associations pour aider les enfants. Ce sera enfin la belle vie. Une belle vie méritée car on aura apporté notre pierre à l’édifice de la société. Et on continuera via des associations, donc. Je ne délire pas. En septembre, on avait discuté avec une association de soutien scolaire car on voulait participer mais les horaires… souvent des soutiens le mercredi après-midi ou à 17h. Et la dame nous avait dit “oui, nous sommes surtout des retraités”. Moi-même, je suis actuellement suivie par l’EGEE, un organisme où des cadres retraités viennent en aide à des cadres en recherche d’emploi. Curieusement, je n’ai pas entendu parler de cette solidarité-là dans tous les débats mais on sait pourquoi : tout ça ne concerne pas nos élites. 

Des retraités et des jeunes

Seuls ceux qui ne foutent rien ne veulent pas partir à la retraite

Parce que ce qui me fait halluciner dans ce “débat” sur les retraites, ce sont les vérités qui suppurent à travers les propos. On a une élite qui vient t’expliquer qu’à 64 ans, on est en pleine forme. D’ailleurs, eux, ils ne lâcheront le pouvoir que les pieds devant, à 80 et quelques années. On a aussi quelques droitards qui viennent juger en mode “mais moi, je pourrais, je ne partirais jamais à la retraite”. Et bah tant mieux pour toi, j’ai envie de dire. Mais c’est pas le sujet. Surtout que bon, j’en ai vu un comme ça en mode “mon travail, c’est ma vie bande de petites feignasses qui voulez ne pas bosser” puis le mec te sort deux tweets plus loin qu’il a huit semaines de congés payés. Ah oui mais ça change pas mal la donne, ça, Alfred. J’en viens presque à sortir le théorème : plus t’es opposé à la réforme des retraites, plus t’es un gros planqué payé très cher à ne rien foutre. Ou tu es mon père. Mon père, il est parti à la retraite à 70 ans alors qu’il était à taux plein depuis quelques années et cotisait dans le vide. Il n’était pas payé à rien foutre (médecin)... juste qu’il était terrifié par la retraite car il n’a jamais eu d’autres occupations que son travail. Et j’avoue que le voir assis, des fois, sur le canapé familial à regarder le mur sans rien faire à quelque chose de flippant. Et évidemment, ma mère et lui ont des problèmes de santé qui font qu’ils ne profitent pas tant que ça de la retraite. 

Les retraités en mauvaise santé

Les retraités ne sont pas oisifs

Quand on se bat pour notre retraite, ce n’est pas juste pour le goût de l’oisiveté. D’abord parce que les retraités ne sont pas oisifs. Il y a les associations solidaires dont je parlais, la garde des petits-enfants, aussi. Evidemment, ils profitent aussi de la vie. Je me souviens de mon anniversaire, l’an dernier, où nous avions pris un RTT avec mon copain pour faire un tour sur le bassin d’Arcachon avec excursion sur l’île aux oiseaux. Enfin excursion autour de l'île aux oiseaux, pardon. Sur le bateau, il n’y avait quasiment que des vieux. Ouais, je comprends que les vieux, ils veulent qu’on bosse plus longtemps : ils partageront moins les navettes pour le Cap-Ferret. En vrai, on va pas commencer à reprocher aux retraités de profiter de la vie, c’est mon voeu pieux pour chacun d’entre nous. Et quand je constate, à 42 ans 5/6e, que ma santé commence à ne plus être celle de mes 20 ans, je suis pas sereine quant à l’état de ma personne à 64 ans, voyez. Mais bref, il y a un dynamisme chez les retraités dont on ne parle absolument pas et ça m’agace un petit peu. A minima, ce sont des gens qui consomment, qui voyagent et rien que ça, ça devrait un peu préoccuper notre cher Ministre de l’économie. Surtout après deux ans de Covid qui ont fortement impacté ces secteurs. Et quand je dis deux ans de Covid, je parle des restrictions parce qu’il est toujours là, hein. 

Un voyage de seniors

On veut pas crever dans nos bullshit jobs

Mais surtout, la forte opposition de la population à la retraite nous dessine une masse travailleuse qui n’en peut plus. Faut dire qu’on arrive à une ère de l’absurde, niveau boulot. On n’a jamais eu si peu besoin de main d’oeuvre, avec de nombreux métiers qui ont été automatisés ou des savoirs peu valorisés et peu à peu perdus. Je pense que si on menait une étude sur le nombre de cordonniers, par exemple, la chute serait drastique. Idem pour les serruriers, remplacés par des clés minutes dans la galerie marchande de ton Leclerc. Je pense que les menuisiers ont perdu pas mal d’activité sur la branche meuble avec l’avènement des Ikea et co. Donc objectivement, on a besoin de moins en moins de main d’oeuvre mais on est de plus en plus nombreux donc il faut bien nous occuper. Et nous voici tous dans des bullshits jobs qui n’ont aucun sens. Le tertiaire a explosé, que des métiers de type “s’il disparaissait demain, personne ne s’en rendrait compte”. Voire je pourrais enfin regarder une vidéo Youtube sans être régulièrement interrompue par des pubs horribles comme celle qui fait “wok-wok-ramen-ramen”. Non seulement elle m’irrite l’oreille mais en plus… je sais même pas qui a pondu ça, pour quelle marque c’est. A part me mettre de mauvaise humeur, ça sert à rien. Remarque, si je savais, je boycotterais la marque. J’ai pas mangé de yaourts Velouté pendant des années à cause de leur pub à la con que je haïssais avec un mec à moitié mort qui chantait “Velouté, où sont donc les veloutés”. Bon, ok, je ne mange pas de yaourt, sauf les grecs, mais quand même…

Senior au travail

Produire du vide jusqu'à nos vieux jours

On déteste le travail parce que c’est devenu une fourmilière folle. On navigue entre bore-out et burn-out sans aucune logique. Les métiers réellement indispensables n’ont plus de moyens. Ceux qui souffrent physiquement ne sont plus considérés. On continue à diaboliser les “arrêts maladie de complaisance” sans admettre que si on est autant à craquer, c’est parce que plus rien n’a de sens. Je me suis tapée des burn-outs pour rien. Littéralement. Des pressions moisies qui font aussi de moi une mauvaise salariée car je ne trouve jamais que tout ça est grave. Parce que ça ne l’est pas. Oh non, les annonces soldes n’étaient pas live à 7h du matin, quelle catastrophe ! On va couleeeeeeer. Mais… les soldes, les gens que ça intéresse, ils sont au courant des dates. Y a pas de “ah mais y avait pas d’annonce Google, ils savaient pas”. Quand je vous dis que c’est absurde. Mais on valorise les cadres du tertiaire, ceux qui bossent jusqu’à pas d’heure dans les tours glauques de la Défense ou dans des bureaux cossus du VIIIe. Pour produire du vide, pour l’essentiel. Et là, il y a grosso modo deux camps : ceux qui ont compris le petit théâtre dans lequel ils jouaient et essaient de se barrer de la scène au plus vite et les drogués à la lumière. Pourquoi les bilans de compétence et les désirs de reconversion explosent ? Des reconversions régulièrement dans des univers un peu ésotériques. Parce que souvent, on choisit une reconversion dans ce qui nous paraît nous faire du bien. J’ai écrit un article là-dessus, on peut être tenté de confondre besoin et envie. Et on barbote tellement dans l’absurde qu’on cherche une réponse ailleurs. Dans des voies un peu plus mystiques. Moi même, longtemps, j’ai cherché mon épiphanie. Alors que la vérité, c’est juste que j’arrive pas à jouer correctement sur ce petit théâtre de dupe et que je n’en ai plus envie du tout. 

Le quiet quitting

Le travail n'épanouit pas

Bref, derrière ce rejet massif de la réforme des retraites, il y a une colère et une souffrance dont la plupart des éditorialistes et macronards refusent de voir. Ce n’est pas par feignantise qu’on ne veut plus travailler jusque tard. Surtout que les retraités se dépêchent de trouver des activités. Non, c’est parce que le travail nous rend profondément malheureux, nous casse. Parfois même physiquement. Qu’aujourd’hui, tout le monde dénigre des métiers comme prof qui nécessite quand même pas mal d’études. Je comprends pas comment on peut s’en branler autant de l’avenir de ses gosses. Moi qui n’en ai pas, je suis horrifiée de ce qu’il se passe dans les établissements aujourd’hui. Car la société que Macron dessine est assez claire : les pauvres doivent se mettre au service des riches au plus tôt, trimer pour trois deniers et demi. Et s’ils crèvent avant la retraite, peu importe. Y a encore toutes les pensions des riches “qui vivent plus longtemps” à payer.                                  

 

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