Déjeuner avec un ancien collègue samedi. On discute de nos carrières et il me parle à un moment d’une de ses amies à qui on a proposé un poste de management qu’elle a refusé car le pôle à diriger était essentiellement composé d’alternants. Aaaaaaah, les alternants ! La pire arnaque du monde du travail. Je ne parle pas des alternants eux-mêmes. Souvent, ce sont des pipous que j’adore et qui me permettent de remettre mon logiciel culturel à jour. Genre là, je n’ai plus d’alternants et je vire un peu vieille conne en mode “c’est débile leur quoicoubeh, là” et “mais c’est quoi crampté ?”.
Avant, on faisait des stages pas rémunérés
A mon époque, l’alternance n’existait pas. On faisait des stages. Non rémunérés la plupart du temps. Allez, on te rembourse la moitié de ta carte orange. J’ai aussi eu droit à une gratification pour un stage en journalisme car certaines de mes photos avaient été publiées dans le journal et des tickets restos dans un autre stage. Et si je parle de carte orange, vous imaginez bien que je ne suis plus si jeune. En 2006, ils ont quand même fait une loi pour rendre la rémunération des stages de plus de 3 mois obligatoirement rémunérés mais vous voyez la douille venir. Beauuuuuuucoup de stages limités à 2,5 mois. Dans les faits, je trouvais ça assez cool, les stages. Quelle bonne façon de découvrir un métier sans trop s’engager. J’ai un souvenir assez ému d’un stage en radio. Une petite semaine mais j’ai parfois la sensation d’avoir eu tort de ne pas poursuivre là. Ah ben oui mais moi, mon média c’est l’écrit. Pfff.
Ca a l'air sympa l'alternance
Puis vers 2009, j’ai commencé à avoir des alternants dans mon équipe. Et j’avais un peu d’envie, on ne va pas se mentir. Dans le sens où, pour moi, tu n’apprends pas un métier dans un amphi mais sur le terrain. La théorie, c’est bien joli mais rien ne vaut la pratique. Ah oui, ces bac +5 qui arrivent dans le monde du travail avec une première expérience significative et un petit réseau, c’est du win-win. Oui, j’ai pas toujours été une vilaine gauchiste qui déteste le monde du travail, j’ai été naïve, aussi. Car ce que je voyais comme une façon proactive d’apprendre un métier, c’est surtout… de l’exploitation. Car oui, le côté apprentissage, on s’en fout. Les alternants, ils sont là pour faire le même taf que les autres, un point c’est tout.
Tu travailles comme les autres
Car oui, en capitalocène, faut pas croire à du win-win, jamais. Tout est fait pour que les plus puissants nous bouffent la laine sur le dos. En avançant dans ma carrière, j’ai donc eu de plus en plus d’alternants dans mon équipe. Et en vrai, la vie d’alternant, elle est chaude patate. Tu dois faire le même taf que les titulaires plus gérer tes cours et examens et la rédaction de ton mémoire. Et t’es mal payé en plus car “t’es là pour apprendre”. Alors pardon ? De mon expérience, l’apprentissage, c’est la première semaine, on te montre “comment ça marche” et demerden sie sich. “Tu viens me voir si tu as des questions”. J’ai quand même eu le cas chez Sunlight où dans l’équipe, l’alternante était la plus expérimentée de l’équipe sur le search. D’ailleurs, elle avait tenté un bon move. Quand on avait été connecté à Lyon pour des “cours de soutien”, on va dire, elle avait demandé à en avoir plus car elle était alternante donc là pour apprendre. Evidemment, elle s’est fait jeter. T’es là pour bosser, prends tes mille balles par mois et tais-toi.
Une équipe pas toujours présente
Sauf que les calculs ne sont pas bons. Du moins dès que tu sors des hautes sphères. J’ai été dans une souffrance pas possible chez Sunlight car un client extrêmement chronophage était géré par Lisa et moi. Lisa l’alternante qui avait une semaine de cours une fois par mois. Donc une semaine par mois, je ne pouvais pas faire autre chose que de m’occuper de mon client. Sauf qu’au-dessus, ça m’était reproché. Pourquoi tu n’as pas bossé pour tel ou tel client ? Heu, parce que j’aimerais dormir la nuit ? Et la plupart des boîtes embauchent un volume conséquent d’alternants. Chez Epicea, Claire était contrariée d’avoir quasi la moitié de l’équipe en alternance. Même s’ils étaient tous très bons, une fois de plus, ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est qu’on doit travailler avec des personnes absentes 2 jours par semaine et que ça, la direction s’en fout. Ce qu’elle voit, c’est que la moitié de l’équipe lui coûte carrément moins cher qu’un salarié lambda.
Exploiter les jeunes en bonne conscience
Il y a quelques années, un droitard travaillant dans les assurances me pleurait dessus parce qu’une manif avait cassé sa vitrine. Je n’étais pas responsable de la casse, hein. Le seul verre que je casse, c’est celui que je fais parfois tomber. Mais il s’emportait, m’expliquant que les gauchistes étaient irresponsables car “lui donnait sa chance à la jeunesse”. Oh oui, voyons ça ? Ah, tu prends des alternants. Oh bah oui, avoir un salariat à bas coût et leur faire peser la même pression qu’un salarié payé normalement, effectivement, quelle chance tu leur donnes. C’est plutôt lui qui te brades sa force de production, tu ne crois pas ? Parce qu’un truc qui m’a toujours fumée avec les alternants, c’est qu’on ne leur fait aucun cadeau. Alors j’ai toujours fait en sorte de protéger mes alternants parce que je suis consciente du pied d’inégalité mais ce n’est pas toujours le cas. Chez Sunlight, Lisa était balancée en front client au même titre que nous, devait produire autant que nous et n’a pas eu droit à plus de sessions de soutien parce que “être là pour apprendre”, c’est surtout apprendre à produire et se taire, apparemment. On accorde peu de droit à l’erreur aux alternants, on ne calibre pas leur charge de travail en fonction de leur temps effectif dans la boîte. Tu bosses comme les autres et quand tu es en cours, ton N+1 se démerdera pour prendre le relais. Tu parles d’une organisation en château de cartes.
Rajeunir la main d'oeuvre pas chère ?
Et encore, les alternants, ce n’était que la première étape du vaste plan de “filons de la main d’œuvre pas chère aux patrons”. On y va à fond les manettes. Tu veux continuer à toucher ton RSA ? Bosse gratos. Le .Les collégiens, filez en apprentissage. Macron veut ouvrir l’école aux entreprises dès la 5e, pour "les aider à s'orienter". Avec Parcours Sup, les études supérieures deviennent un privilège. Alors oui, j’ai dit moi-même en début d’article que je trouvais qu’on n’apprenait jamais aussi bien qu’en pratiquant. Mais si j’ai acquis pas mal de savoirs durant mes études qui ne me sont pas pragmatiquement utiles, ça a forgé ma pensée critique. Ca m’a appris à écrire, réfléchir, penser. Ah oui, peut-être que des têtes bien faites, ça n’intéresse plus trop aujourd’hui. Faut que les enfants aillent le plus vite possible vers le travail.
Prendre les plus jeunes pas chers et dégager les vieux
Bref, l’alternance, autant c’est bien pour les jeunes pour découvrir un métier, autant ce ne sont ni eux ni le reste de l’équipe le grand gagnant. Non, non, non. On sait qui aime exploiter les jeunes qui n’ont d’autres choix que de jouer le jeu. Et oui, pas d’alternance, pas de diplôme. C’est bien, plus ils sont jeunes, plus ils sont souples et courbent l’échine. Et on ne va pas se pencher pendant des heures mais si l’afflux de jeunes pousses peu chères et corvéables à merci arrivent sur le marché, on sait au dépend de qui ça va se faire. Tellement hâte d’expérimenter le chômage de fin de carrière. Bref, arrêtez de dire que vous donnez une chance à un jeune alternant ou apprenti en le prenant dans votre équipe. Vous ne faites que l’exploiter en le payant mal.