Même si ça ne vous plaît pas. Je n'avais pas prévu cet article mais finalement, il sonne bien avec mes deux derniers articles sur les peu impliqués et surtout avec l'actualité. Car, drame, la grande fête du cinéma a été entachée d'un discours politique. De gauche, hein. Quand le discours politique consiste à dire qu'on peut faire une standing ovation à un mec qui frappe sa femme, remis en lumière par une femme qui frappe un journaliste, c'est OK car il faut séparer l'homme de l'artiste. Un discours éminemment politique dans une industrie qui valorise les hommes délinquants et criminels mais bannissent les femmes à la moindre incartade. Voire quand elles ont refusé de coucher avec un producteur violeur ou sont juste les ex compagnes d'hommes abusifs. Oui, je vais le répéter mais Amber Heard est doublement victime dans l'histoire : non seulement elle a vécu un cauchemar avec Depp, violences reconnues par la justice, mais sa carrière est terminée. Double peine. Bref, rien n'est gratuit, surtout pas la rédemption des violent·es bourgeois.
Il y a le bon et le mauvais discours politique
C'est amusant tous ces anges nés de la dernière pluie qui se sont offusqué du discours de Justine Triet. Les Macronistes étaient tellement en roue libre que certains sont allés inventer que Jane Fonda avait jeté le rouleau de récompense à Triet dans un geste rageur. Fonda, l'une des plus grandes gauchistes d'Hollywood ? Inutile d'étaler votre inculture comme ça. Ni de répandre une fake news branlante. Quoi, la politique dans un festival de cinéma ? Hérésie ! Vous voulez dire le même festival où deux femmes se sont mises en scène sur le tapis rouge pour dénoncer l'invasion russe en Ukraine ? Où une mannequin iranienne est apparue dans une robe nouée par un nœud coulant pour dénoncer les assassinats politiques dans son pays ? Où Harrison Ford a dénonce l'inaction climatique. Alors oui mais eux, c'est bien. Ah, ce qui vous fait chier, c'est juste qu'elle s'en est prise au gouvernement français ? Ah et qu'elle a parlé peut-être vu que les autres femmes sont restées silencieuses.
L'art est politique par essence
Evidemment que l’art est politique. Vous dormiez pendant vos cours d’histoire ou bien ? Beaucoup d’œuvres sont des critiques d’un système en place, une dénonciation de l’horreur vécue, pour ne pas oublier. De Nous d’Evgeni Zamiatine à Guernica de Picasso, de Liberté d’Eluard à la quasi totalité des dystopies. Tous les films sur la seconde guerre mondiale pour rappeler l’horreur, y compris les films japonais comme Le tombeau des Lucioles ou encore Hiroshima mon amour. Et vous avez également tout un cinéma propagandaire comme le cinéma nazi avec le fameux Juif Süss, le Cuirassé Potemkine ou même Independence Day. Il faudrait que j’écrive un article sur le sujet, tiens. Je le dis souvent sur Raconte moi des histoires, ce que tu choisis de raconter n’est pas gratuit. Chaque détail a une signification pour toi. Chaque thème également. Quelqu’un qui va faire un film sur la Seconde guerre mondiale, choisir un angle et ce n’est pas anodin. Evidemment, on peut balayer ça d’un cynique “ça rapporte de l’argent”. Mais rarement une histoire vous est racontée sans arrière-pensée. Sans volonté de vous donner un regard sur une situation, de façon frontale ou plus ou moins détournée. Je veux dire, faut pas être un génie de la métaphore pour comprendre que la prélogie Star Wars narre une montée du fascisme.
Un artiste vit dans une société
Même quand ça n’en a pas l’air, les tendances racontent beaucoup sur la société. Par exemple, fin 90s, début 2000, les dystopies tournaient pas mal autour des clones, un sujet qui paniquait un peu tout le monde. On a eu des séries, des films, sans doute des romans sur le sujet et puis plus rien. La menace s’est éloignée, ce n’est plus un sujet. A l’inverse, on a énormément de productions sur le péril écologique, de plus en plus. Ce sont des airs du temps oui mais sur des sujets éminemment politiques. Je veux dire la bioéthique ou la protection de l’environnement, c’est pas de jolies bluettes. Même des comédies peuvent être politiques. Rematez le cinéma de Bacri-Jaoui ou toutes les comédies de droite à base “‘oui on est racistes mais on a raison quand même” (A bras ouverts) ou “oui, on est racistes mais eux aussi, alors” voire “oui, on est racistes mais tous ces étrangers se comportent exactement comme les clichés qu’on a sur eux, alors…” (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour l’ensemble de son oeuvre). Aucune histoire ne naît de l’éther. Elles naissent de l’imagination d’un·e auteurice situé dans une époque particulière, traversé par les questionnements de son temps. Je suis une angoissée sociétale, je lis des dystopies à foison et j’en écris. On peut bien entendu ne pas vouloir voir le message, ne pas vouloir voir la big picture en restant collé au narratif. Mais ce n’est pas parce qu’on refuse de voir un truc que ça n’existe pas, en fait.
Tout ça, c'est la faute à qui ?
En vrai, le souci n’est pas tant que tout est politique mais bien qui est coupable dans l’histoire. Qui se sent visé. Quand Harrison Ford gueule sur l’état général de la planète, ok, c’est un monsieur honorable et il n’accuse personne. Que n’importe quel député ou activiste écologiste français tienne exactement le même discours et iel s’en prend plein la gueule. Parce qu’iel parle de son pays et que la conscience se fait mauvaise. Dire que le monde va mal, ok, mais va pas distribuer les mauvais points, hein ! Et surtout, il y a la perception de ce qui est politique ou non. Sauver les loutres et les petits oiseaux, c'est oui. Sauver les Bangladais déjà, mmm… Faudrait voir parce que nos SDF d'abord. Même si on les laissera crever pareil, hein. Par contre, des qu'il s'agit de faire des efforts, ouhla, non. Calmez-vous les Khmers verts ! Et quand je parle d'effort, je parle pas de trier ses déchets ou faire pipi sous la douche. Tut tut. Je parle de réduire sa consommation de viande par exemple. Un pas grand chose qui fait déjà péter un câble. Quant à l'adoption des mobilités douces… Donc les discours politiques c'est oui mais sans culpabilisation, merci.
La bourgeoisie n'aime pas qu'on critique les gentilles démocraties
Et puis y a les discours ouvertement politiques, ceux qui interpellent les gouvernements sur un sujet fâcheux. Genre la réforme des retraites pour Justine Triet. Alors certes, les autres femmes sus-citées ont critiqué des gouvernements aussi (russe et iranien) maiiiis… Eux, ce sont les méchants. Y a des régimes, comme ça, on peut leur cracher dessus, c'est limite de bon ton. Mais pas nos gentilles démocraties. Nous on ne tue pas les opposant au régime, on ne les mutile que par accident…Sur la réforme de la retraite, la démocratie a été bafouée à plusieurs reprises, l’Assemblée transformée en simple chambre d’enregistrement mais vraiment chut. Faut pas gâcher la fête. Evidemment, le grand axe de différenciation, c’est ce que la bourgeoisie reconnaît comme lutte noble et acceptable. Les petits oiseaux et dénoncer les dictateurs, c’est oui. Surtout si les femmes sont belles. Parce que Corinne Masiero, par exemple, c’est non. Mais taper sur la République, vous n’y pensez pas, bande de gauchos décérébrés.
Mais ne vous en déplaise, tout est politique. Et on n’a pas fini de vous gâcher la fête.