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Citizen Bartoldi

Blog d'une citoyenne qui rêve d'une société solidaire et égalitaire mais qui voit ce rêve s'éloigner chaque jour un peu plus

Etre de gauche n’est pas un totem d’immunité

Publié le 15 Avril 2025 par Nina

Je devrais dire “se dire de gauche” mais on ne va pas chipoter. Cet article est plus ou moins une suite de mon précédent sur l’antisémitisme car il y a un phénomène que j’observe régulièrement, celui de “non mais ellui, iel peut pas être raciste/ sexiste/ homophobe/transphobe… , il est de gauche”. Ah bah, s’il est de gauche, c’est sûr, son coeur est pur comme de l’eau de source. Spoiler : non. 

Un coeur pur

Avant, je croyais que les gauchos étaient déconstruits

Longtemps, j’ai été naïve. Dans mes représentations manichéennes du monde, il y avait quelques vérités. Par exemple, quand on est de gauche, on a une conscience des inégalités de ce monde qui nous préserve des opinions racistes, sexistes, anti-LBGT. Insistons sur le T ici car ça pue pas mal à gauche, justement, sur ce sujet. Dans ma représentation du monde, être de gauche, c’était d’abord être éduqué à de nombreux faits de société qui déconstruisent les clichés dans lesquels on baigne H24. C’était adorable comme vision du monde, j’en conviens. Comment je percevais les gens de droite ? Comme des individualistes qui s’en foutent et qui considèrent que leur vécu ou leur opinion a plus de valeur que n’importe quelle étude sociologique ou n’importe quelle statistique. Ca, j’avoue que je le pense encore. Bref.

Bisounours

L'observation n'est pas objective

Premier point, tiens, la déconstruction. Je vais peut-être vous étonner mais on vit dans une saucisse société. Même les moins sociables d’entre nous ont des interactions. Des interactions qui peuvent un peu biaiser nos jugements alors qu’on considère notre observation comme absolument objective. Par exemple, à un moment, j’avais un peu d’agacement vis-à-vis… des vieux. J’ai un rapport un peu paradoxal avec les vieux parce que j’attends avec impatience d’être la tantine excentrique qu’on peut être passé un certain âge mais je trouve globalement les vieux impolis et peu prompts à faire des efforts pour une vie collective harmonieuse. Quand j’étais au chômage, je vivais avec les vieux. Quand j’allais au supermarché faire les courses en matinée ou au milieu de l’après-midi, il n’y avait qu’eux. Je les retrouvais au lac tous les matins. J’en étais venue à me dire que les vieux, c’étaient des plaies.

Des vieux font les fous au supermarché
Bon, là, ce sont des vieux cools,on veut tous finir comme ça

Par la magie des biais de confirmation

Sauf que je peux dire la même chose de n’importe quel groupe que j’ai pris en grippe et que j’observe. Ah, les vieux, c’est carrément des mal éduqués qui se pensent seuls au monde. Vous remplacez vieux par “ados” et la phrase marche très bien. Par exemple, je suis souvent agacée par les groupes d’ados mâles parce qu’ils sont tout le temps en train de se gueuler dessus et de se taper. Je passe à côté et je suis là “ok, je dois les séparer ou ils sont juste en train de s’amuser ?”. Sauf que : pas mal de mecs adultes font pareil. Cette semaine encore, j’ai vu un groupe de mecs trentenaires ou quadra passer en se collant des bourrades bien “viriles” sur les épaules. Moi, tu me fais ça, je te tape le scandale de l’année. De deux, je ne remarque que les groupes d’ados mâles qui confirment mon cliché. De la même façon, je partirais du principe que les groupes d’ados filles sont superficielles et sentent trop fort le parfum sucré, je noterais toutes celles qui confirment mes préjugés. Et je ne calculerais même pas celles qui sont dans leur coin et ne demandent rien à personne. 

Adolescente calme

Le travail de déconstruction est ardu

Selon qui on est, où l’on vit et nos habitudes, on est perclus de préjugés. C’est, je suppose, une sorte de réflexe. Je m’agace des vieux et des jeunes. Quand je serai vieille, je m’agacerai des jeunes et des quadra. Quand j’étais piétonne, je trouvais que les vélos faisaient n’importe quoi. Maintenant que je fais du vélo, je trouve que les voitures font n’importe quoi. Prenez un “débat” sur la sécurité routière, ça va systématiquement tourner au “c’est qui qui brûle le plus les feux”. Bon, en gros, de façon individuelle, on a tendance à considérer que nous, on fait bien et les autres, ils font mal. Je caricature à peine. Sur cette base de gênoise, tu vas rajouter des tonnes de crèmes de “l’avis des autres” et des fraises de “les médias traitent de faits divers selon certains prismes” et tu recouvres de chantilly “les éditorialistes pensent que”. Et tu obtiens un magnifique gâteau de préjugés misanthropes. Tu as la version raciste, sexiste, LGBTphobe, etc. A partir de là, on peut comprendre aisément que le travail de déconstruction va être long, fastidieux. Et, n’en déplaise aux partisans de la pureté militante, je pense qu’il ne sera jamais terminé.

Gâteau dégueu

Chacun ses combats

Etre de gauche, c’est souvent s’intéresser aux systèmes de domination donc comprendre l’origine de certains de ces préjugés délétères et tenter de les combattre. On ne peut pas rêver d’une société égalitaire sans comprendre puis démonter les rouages de nos sociétés profondément inégalitaires actuelles. Sauf qu’il n’existe pas une gauche mais de nombreux courants qui ne sont pas d’accord entre eux sur la façon de mener le combat, notamment dans la hiérarchisation des luttes. Si on prend Ruffin qui est (était ?) le hérault d’une certaine gauche, le seul combat valable était celui contre la pauvreté et donc contre les patrons ultra-riches. Son travail de journaliste et documentariste tourne autour de ça. Et c’est très bien, je ne remets pas en question son travail. Mais dès qu’on aborde des sujets trop sociétaux, on sent bien que c’est pas son truc. Lui, il veut juste aider les travailleurs. La cause LGBT, ça l’ennuie. Soit parce qu’il n’est pas convaincu, soit parce qu’il pense que ça “refroidit” les “fâchés pas fachos”. Soit les deux. 

François ruffin

Tout le monde n'est pas éduqué sur tous les sujets

Comme tous les gauchos ne sont pas intersectionnels et calés voire aware sur tous les sujets d’inégalité, le fait d’être de gauche ne vous rend pas magiquement ouvert et tolérant à tout. Il y a, par exemple, pas mal de transphobie à gauche. Pas forcément une transphobie ouvertement hostile aux trans en mode “ça n’existe pas, c’est un truc de mec pour infiltrer les combats féministes et aller agresser les femmes dans les toilettes pour femmes”. Spoiler 1 : les hommes qui infiltrent les combats féministes, on appelle ça les profem et y en a quelques uns notoirement connus pour être très problématiques avec les femmes. Et spoiler 2 : les hommes n’ont jamais eu besoin de se “déguiser en femmes” pour aller les agresser, dans les toilettes ou ailleurs. On est plus sur un manque de solidarité, ce côté “y a plus urgent” doublé d’un “ils nous saoulent les trans à toujours vouloir ramener la couverture à eux”. Je pense que ce dernier point, ça peut s’étendre à toutes les voix émergentes. On a dû dire pareil des féministes ou des activistes racisés fut un temps.

Intersectionnalité

Se dire de gauche ne veut pas dire être safe

De la même façon, attention à ne pas donner un certificat de pureté à tous ceux qui se disent de gauche. Ou profem, par exemple. De temps en temps, je vois passer des call-out de certains influenceurs de gauche profem qui ont profité de leur aura pour… se révéler totalement toxiques avec les femmes. Oh gosh. La famoso “moi, je suis trop au courant des combats féministes et je suis avec toi”. Ce qui peut être vrai, sur la maîtrise du combat, hein. Mais la manoeuvre cachée est bien de gagner la confiance d’une femme et de la gazlighter petit à petit. Se dire de gauche ne veut pas dire qu’on est automatiquement safe, très loin de là.

Manipulateur

Une étiquette de gauche n'est pas un contre-argument

Pour aller plus loin, se dire de gauche n’est pas un contre-argument quand on nous accuse de certains maux. Comme au hasard l’antisémitisme. Oui, je boucle, il était temps. La séquence sur l’affiche d’Hanouna jugée antisémite a été catastrophique. J’aurais souhaité qu’elle ouvre une réflexion au sein de LFI sur leur communication parfois désastreuse. Mais vu que tout le monde a levé les mains en mode “C’est pas nous, c’est Grok” et “Les antisémites, ce sont les autres”, je doute. Alors oui, l’antisémitisme, c’est quand même plus ancré à la droite et l’extrême-droite MAIS ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas à gauche. Je ne vois même pas comment on pourrait prétendre ça. C’est trop infusé dans la société pour qu’on puisse s’affirmer totalement purs, loin de tout cliché raciste. Ah, et l’argument du manque de culture sur l’imagerie antisémite, please ? J’ai appris ça au collège, moi. Avec les affiches antisémites des années 30-40 dans mes livres d’histoire. Et revu ça au lycée. Dire qu’à gauche, on peut pas être raciste car de gauche, justement, c’est pas un argument. C’est un voeu pieu. 

Voeu pieux

Une étiquette ne vaut rien

Moralité : méfiez-vous des étiquettes, surtout celles auto-proclamées. Et on se rappelle qu’on a beau avoir une conscience de gauche, on n’est pas à l’abri des préjugés. C’est impossible de l’être. Et j’aime à croire que c’est plus sain d’avoir conscience de cette limite-là plutôt que de se déclarer pur et parfait en toute circonstance. 

 

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