Parfois, j’imagine que je vais écrire un one woman show sur le monde du travail. Et je commencerais par un sketch sur le plus grand mensonge du capitalisme ultra-libéral : les patrons valent mieux que nous. Ils seraient plus intelligents, plus stratèges, plus ci ou plus ça. Après tout, ils sont arrivés au sommet alors que nous, non. Et bien laissez-moi vous dire que c’est un énorme mensonge et nous allons décrypter ça ensemble.
Des trajectoires fulgurantes
Longtemps, je me suis comparée. Sur le plan professionnel, j’entends, c’est de ça dont on parle. LinkedIn me racontant régulièrement ce que deviennent des gens croisés dans ma carrière, j’avais l’impression que tout le monde grimpait vers le sommet. Alors que moi, je restais engluée, sautant de boîtes toxiques en boîtes toxiques. Je dois donc manquer de talent pour ne pas y arriver. Bon, dix ans plus tard, il est surtout manifeste que je manque d’ambition et j’ose enfin le dire : je n’ai pas envie de me tuer au travail. Ca ne m’intéresse pas et le travail ne m’épanouira jamais tout à fait. Déjà parce que j’ai une malchance monstrueuse mais aussi parce que le monde du travail est un jeu de dupes auquel je n’ai jamais pris plaisir à participer. Je veux dire, je sais ce que je devrais faire pour monter les échelons mais j’y arrive pas. Du coup, maintenant, je m’applique surtout à m’acheter une paix.
Bien naître pour réussir
Mais il y a autre chose que j’ai compris. Le monde du travail ne récompense pas les plus talentueux mais ceux les mieux nés. Ouais, plot twist, la méritocratie n’existe pas. C’est assez simple à expliquer. Point un : pour travailler, il faut des diplômes. Et plus tu viens de la bonne famille, plus tu as des chances d’intégrer les bonnes écoles. Parce que tu auras eu droit à du soutien scolaire pour préparer les concours, que tes parents peuvent te payer un logement, t’expédier dans une grande ville si tu n’y vivais déjà pas. Et évidemment, tu n’auras pas besoin de travailler pendant tes études pour payer ton loyer. 100% focus sur ton diplôme ! Avec Parcours sup, la différence est encore plus marquée. Avant, on te donnait l’illusion qu’on partait tous sur la même ligne de départ mais là, même plus. Il y a ceux qui sont bien nés et qui iront loin et les autres qui sont nés pour servir les premiers.
Pourquoi cette obsession de l'entrepreunariat ?
Arrive ensuite la brique entrepreunariale. Celle-là, j’ai mis du temps à l’identifier mais c’est un énorme indice sur les origines. Dans le monde du travail, tu vas croiser deux profils. Bon, je caricature mais vous allez saisir l’idée. D’un côté ceux en recherche de sécurité financière avant tout, rêvant du sacro-saint CDI avec la garantie d’une rentrée d’argent régulière. Je fais clairement partie de cette catégorie. Et ceux qui sont obsédés par l’idée de “monter leur boîte”. Après, y a une troisième catégorie de “je me suis mise à mon compte par manque d’opportunités dans mon secteur” ou qui bossent dans des métiers où l’entrepreunariat est la norme genre le commerce ou le médical libéral mais ce n’est pas d’eux dont je vais parler. Donc moi, en éternelle quête d’un CDI, j’entendais mes camarades me raconter leurs rêves de “monter leur boîte” et à chaque fois, j’étais là “mais pourquoi ?”. Surtout pour monter des agences social media ou d’influence comme il en existe 10 000.
Fonder sa boîte, un truc de gosse de riche ?
J’avance dans la vie et je vois ceux qui réussissent et ceux qui plantent leur boîte. A un moment, je ressentais une sorte d’admiration pour ceux qui réussissaient. Même si je ne comprenais pas comment ils avaient tiré leur épingle du jeu. Pas de jalousie, non. L’entrepreunariat ne me fait pas rêver du tout. Encore moins aujourd’hui où je veux vraiment cantonner le travail à 7h par jour, ni plus, ni moins. Enfin si, moins, en vérité, je glisse doucement vers du quiet quitting. On en reparlera. Et puis en remettant les pièces du puzzle en place, j’ai compris. Oui, je suis un peu lente parfois. Déjà, point un : le rêve d’entrepreunariat, c’est plutôt un rêve de gosse de riche. Je le vois actuellement dans ma boîte où j’ai deux alternants qui ont le même âge et font la même école. Un vient d’une famille aisée. Il te raconte ses jobs d’été en mode “j’ouvrais ma gueule parce que j’avais pas besoin de ce fric pour vivre”. Il ne rêve que de monter sa boîte même s’il ne sait pas dans quoi. L’autre, il veut juste un CDI. La condition préalable au rêve d’entrepreunariat, c’eeeeest… le manque de stress vis-à-vis de l’argent. En gros : c’est pas grave si tu te plantes, y a papa-maman derrière.
Planter des boîtes comme d'autres des carottes
C’est l’histoire de mon PDG bordelais actuel, aussi. Il a hérité la boîte de papa. En attendant de récupérer le jackpot, il a lancé deux boîtes. Toutes les deux plantées. Yay. Mais il n’y a pas que le manque de stress vis-à-vis de l’argent, il y a aussi… le réseau. Dans mon feed LinkedIn, je vois des gens qui montent des agences qui marchent et vite. D’où, comment, pourquoi ? Le réseau. C’est presque ce qui a failli sauver les fesses de Pubilon. Ma pire expérience pro encore aujourd’hui. Je vous présente rapidement la boîte : le fils PDG, le père DG. Boîte créée par Papa car fiston s’est retrouvé sans emploi. La boîte a tenu environ 5 ans, ce qui est beaucoup quand on le mesure à l’aune de la totale incompétence du fils. Des clients venus du réseau du père, des investisseurs venus de là aussi. Un pur château de cartes monté sur du sable mais si le fils n’avait pas pris d’aussi mauvaises décisions, ça aurait pu tenir. C’est peu ou prou la même histoire que ma boîte actuelle, d’ailleurs. Sauf que le plan de sauvetage, cette fois-ci, c’est d’avoir été rachetés par une boîte dirigée par Trou du cul 3000.
Une incompétence compensée par des salariés sachants
Et c’est vraiment cette dernière expérience qui m’a convaincue de le dire et de l’écrire : les patrons sont des incompétents. Ils ne valent pas mieux que nous. Bien au contraire : leur boîte tient essentiellement grâce à nous. J’en ferai un article à part entière. On fait partie de cette nouvelle boîte depuis trois mois et je ne compte même plus les décisions insensées. Déjà, ils ont une passion débordante pour le licenciement. Sérieusement, en trois mois, on en est à trois directeurices partis dont deux virés. Dans mon équipe de six, une a demandé une rupture co, une autre devait recevoir une proposition. Trois mois. Là, leur nouveau délire, c’est de vendre des prestations à l’étranger qui seront réalisées en France. Quand je dis l’étranger, comprenez “l’autre bout du monde”. Qui serait assez con pour accepter de bosser avec une agence qui a environ zéro heure de travail en commun avec lui ? Ni la même langue, d’ailleurs. Surtout que le coût n’en serait pas réduit. Il faut arrêter de lécher la peinture au plomb sur les murs, là !
La romantisation du self made man
On aime glorifier les successes stories de ces mecs qui se sont faits tout seul. Mecs, oui, je choisis le mot à dessein. Mais c’est un mensonge. Double mensonge même. Le premier, c’est la romantisation d’une prise de risque; Elle est quand même limitée. Quand tu en es à gratter le moindre euro pour manger deux repas par jour, tu vas pas monter ta boîte. Et d’ailleurs, y a aussi un jeté de paillettes assez fou sur le monde entrepreunarial comme un paradis où la liberté est totale. Beaucoup d’entrepreneur·ses galèrent à se dégager un salaire. Notamment sur tout l’univers de l’influence hyper glamorisé où tu réalises bien souvent que soit la personne vit à peine avec un smic, soit qu’il y a une douce moitié qui gagne bien sa vie et permet à notre star du web de continuer son activité.
Un capitaine infaillible
Et le second, c’est évidemment que les patrons seraient les meilleurs d’entre nous. Des capitaines de bateau infaillibles qui ne perdent jamais le nord. Ouais ou alors des capitaines façon Titanic ou Costa Concordia, on sait pas… Très clairement, les patrons ne sont pas plus brillants ou stratèges que nous, non. Sans doute ont-ils même moins d’empathie que l’humain lambda vu qu’ils ne voient leurs troupes que comme des lignes excels à supprimer en un clic. Peu importent les petits drames humains que ça peut générer. Parce que oui, un patron qui plante sa boîte s’en sortira potentiellement mieux qu’un salarié qui n’a rien demandé. Parce que, typiquement, le fils Pubilon, il a à peine jeté la clé sous la porte qu’il s’est envolé en Nouvelle-Zélande se trouver un poste de directeur de je sais pas quoi. Les boîtes coulées par mon PDG bordelais, ça ne lui a rien coûté, à lui. Facile de rebondir quand tu n’es pas pris à la gorge. Vous avez même le petit con de chez Cheffing là, qui te raconte tranquille qu’il a planté ses premières boîtes. C’est pas grave, papa a pleiiiin d’argent.
Pas besoin d'être compétent pour diriger
En résumé : le classico. N’adulez pas vos patrons, ils ne sont pas plus intelligents ou visionnaires que vous. Ils sont juste mieux nés. Regardez le fils Lagardère. Ce mec a été le PDG de je ne sais combien de personnes alors que c’est un abruti fini. Voyez bien que diriger n’est pas une preuve d’intelligence. Pas même de compétence.