Pendant longtemps, je n’ai pas été cinéphile. Je me suis longtemps étendue dessus, je m’excusais à chaque fois que je parlais ciné. Mais j’avais une petite triche pour rattraper un peu ma grande inculture ciné : les Youtubeurs ciné. Karim Debbache, le goat, quelques autres qui sont plus dans l’humour comme La suite de trop ou Not seriou's. Intercut même s’il y a parfois un côté un peu “je regarde des films russo-azerbaidjan, tu vas faire quoi ?" En vrac aussi : Ecran large, Clara Runaway,La demoiselle d’horreur, Cinéma et politique. Monsieur Bobine, Versus, Bolchegeek même si, là, on est plus dans la pop culture. Et puis il y en a eu d’autres qui me faisaient un peu sourire et puis… vas-y que je dis des horreurs en mode “ahah, je suis un gros beauf qui objectifie les femmes” ou celui qui profitait de chaque vidéo pour dire que la diversité “imposée” par Disney, c'était de la merde. Ou encore celui qui répète à longueur de temps que le cinéma, c'est fait pour divertir et faut pas chercher plus loin. Ménage, ménage.
Le cinéma est politique par essence
Déjà, dire que la politique n'a pas sa place au cinéma, c'est juste admettre qu'on ne connaît pas le cinéma. Le cinéma est un outil de propagande ou d’appel à résistance majeur. C’est pas pour rien qu’Hitler a pas mal investi dessus, par exemple. Ou que la fameuse Cinecittà a été construite par Mussolini qui y voyait une puissante machine de propagande. Le cuirassé Potemkine est connu pour deux choses :la scène des escaliers mille fois reprise et son caractère de propagande soviétique. Consultez la liste de films interdits selon les pays. Même si vous enlevez de la liste les films à caractère torride, il reste une bonne liste de films qui sont interdits pour des raisons politiques. Même un film de pur divertissement de type Independence Day reprend la rhétorique des Néo-cons au pouvoir à ce moment-là aux Etats-Unis et nous arrose d’un patriotisme à la limite du ridicule. Même si certains pensent voir de l’intelligence derrière ce gigantesque spot publicitaire sur les Américains, camp du bien qui sauve le Monde. Je partage parce que je trouve ça intéressant, pas pour me moquer.
Une bulle pure, vraiment ?
Le cinéma est vu comme une bulle pure où la politique ne devrait pas avoir sa place parce qu'on veut juste se détendre. Cf la polémique sur les déclarations de Justine Triet au Festival de Cannes. Je vous renvoie d'ailleurs à la vidéo de Bolchegeek sur la politique au Festival de Cannes. D'ailleurs, Anatomie d'une chute a pu permettre aux Ouins-Ouins de s'exprimer “Ah, on n'a même pas le droit de dire du mal de ce film bobo-gauchiasse”. J'ai réellement vu ce commentaire. Tu sais Ouin-Ouin, tu peux tout à fait ne pas apprécier un film et en faire une critique négative. Le souci, c'est que pas mal des commentaires de ce type que j’ai pu lire venaient de gens qui n’avaient pas vu le film ou s’étaient endormi devant, je ne sais pas. Un peu comme les automobilistes qui postent des comms de type “Moi, je suis cycliste et ceux qui ne laissent pas passer les voitures alors qu’ils ont la priorité, ils cherchent les accidents”. Ca aussi, je l’ai lu.
Les minorités doivent-elles être cantonnés à des rôles limités ?
Donc OK, pas de politique quand on parle cinéma. Alors pourquoi vous le faites tout le temps ? Parlons wokisme. Enfin, je rappelle que le wokisme, c'est du même niveau que l'islamo-gauchisme : une pure menace fantôme. Et ça me fait une transition toute trouvée pour l’ennemi désormais absolu des chroniqueur ciné “neutres qui veulent juste se divertir et pas se faire envahir par la politique” : Disney. J’ai déjà parlé de La petite sirène noire, entre le petit incel qui faisait un cours de biologie pour expliquer qu’une sirène à la peau noire ne pourrait pas exister alors que… De un, les sirènes n’existent pas, tout court. Et de deux, si elles existaient, elles ne pourraient pas avoir le même épiderme que nous puisqu’une peau humaine plongée plusieurs jours dans l’eau s’irrite et se déchire donc… Mais surtout, un Zet’ qui se croit plus intelligent que les autres a lâché un “non mais c’est un coup marketing sinon, ils auraient pris une actrice normale”. Oh, chaud, la normalité, c’est donc les acteurices blanc·hes ? Intéressant ce point de vue, ça ne dit rien du tout de toi, vraiment… Mais voilà, dès qu’on voit un·e acteurice de couleur chez Disney, ou même Netflix, ça chiale dur. “On en a marre de la diversité imposée par le wokisme”. Mais… ça veut dire quoi ? Que les Noir·es ne doivent jouer que dans des films sur l’esclavagisme, les Asiatiques dans des films de kung-fu ? Les blanc·hes ont droit à tout le reste parce que sinon, ce n’est pas crédible ?
La violence essuyée par une femme Asiatique
Je parle de Noirs ou d’Asiatiques mais ça marche avec les femmes aussi. Créer un film avec une femme dans un rôle dévolu normalement à un homme... Le swipe gender, ça agace trop les chroniqueurs ciné qui trouvent que ça ne sert à rien. Le pire est de filer un rôle important à une femme Asiatique alors là… Parlons rapidement de Rose Tico, interprétée par Kelly Marie Tran, qui apparaît dans les épisodes 8 et 9 de Star Wars. L’actrice s’est pris un tel déluge d’insultes racistes et sexistes qu’elle a vidé son compte Instagram. Et voilà que je tombe sur un chroniqueur ciné qui se montre d’une violence avec ce personnage. Après quelques remarques sur le “non mais arrêtez le swipe color, c’est de la merde”, cet acharnement mâtiné de “non mais moi, je veux juste pas que la politique touche mon ciné” commence à puer le racisme mal assumé. Je peux comprendre qu’on n’aime pas le personnage de Rose qui est, de ce que j’ai lu, un personnage “de trop” dans le sens où il y avait déjà beaucoup de nouveaux personnages dans cette postlogie. De ce que j’ai lu parce que j’ai pas vu, ok. Et je n’ai pas l’intention de voir vu que cette postlogie ne m’intéresse pas beaucoup. Le capitaine du Nexus VI a sorti une vidéo intéressante sur le sujet, je la partage. Le souci, c’est de s’acharner à ce point sur un personnage et de refuser de parler du contexte raciste derrière. Limite si le gars n’a pas dit “c’est la faute de Disney qui a casté une Asiatique pour un rôle nul”.
Les minorités récompensées par le cinéma sont des exceptions
Je l’ai déjà dit, on a besoin de représentations. J'écoutais récemment un podcast où un chercheur expliquait que souvent, le problème, c’est qu’on célèbre le premier ou la première des minorités qui obtient quelque chose. Première femme réalisatrice à obtenir un oscar,premier acteur Noir, première actrice Noire, première actrice Asiatique (en 2023…)... Mais on ne parle que rarement du fait qu'il n'y a pas tant de deuxième ou de troisième. On en est encore à débattre pendant des jours et des jours de la couleur de James Bond. James Bond, il évolue avec son temps, il a arrêté de faire la bagarre contre des communistes, par exemple. Le mec réalise des cascades qui mettent souvent à mal notre suspension consentie de l’incrédulité. Par contre, un James Bond noir, non, c’est pas possible. Mmm. prenons Idris Elba puisque son nom avait été évoqué. James Bond est britannique. Elba l’est-il ? Oui. Est-il charismatique ? Oui. Porte-t-il bien le costard ? Oui. Fait-il mouiller les culottes ? Oui et ce n’est pas (que) un avis subjectif. Ah mais il est Noir. Ok mais vous êtes au courant que des Noirs au Royaume-uni, y en a un peu plus que trois ou quatre ? Je veux dire si le standard anglais, c’est Charles ou William, Daniel Craig non plus n'était pas dans le ton.
Détester par pur principe
Le problème de cette foule de chroniqueurs ciné qui veulent “de la neutralité dans leur divertissement” entraîne trois choses. De un, un manque total d’objectivité puisqu’ils veulent tellement combattre le wokisme (supposé) de certains castings ou certaines oeuvres qu’ils vont détester avant même la première image. Je n’ai rien contre la subjectivité en soi, j’ai moi-même des artistes que je peux difficilement blairer, parfois sans motif valable. A une époque, je boudais un peu dès que je voyais Audrey Tautou dans un film alors qu’en vrai, je ne peux pas dire que j’aimais pas son jeu d’actrice. J’étais, je pense, un peu marqué par son rôle dans l’Auberge espagnole… Film que j’ai assez peu apprécié et qui m’a donné une mauvaise image d’au moins trois de ses acteurices (Romain Duris, Judith Godrèche et Audrey Tautou). Mais j’admets ma subjectivité. Je ne suis pas là “moi, je suis une vraie cinéphile et je vous dis que c’est de la merde en toute objectivité” alors que tu es en train de chercher la petite bête juste pour dire que tu as détesté.
Des films sur lesquels on plaque une cause
Deuxième point : il y a des films qui deviennent des totems d’une cause alors qu’ils ne devraient pas. Deux exemples : Captain Marvel et Ghostbusters, le reboot féminin. Je ne parlerai pas du premier car je ne l’ai pas vu mais clairement, y avait une vendetta mascu contre ce film et contre Brie Larson. Par contre, j’ai vu le Ghostbusters et… ça m’a tendu de nullité. Déjà, le féminisme, ce n’est pas inverser bêtement les rôles masculin/féminin et tout le délire sur Chris Hewsworth qui est “sexy mais bête”, pitié… Ok, Kristen Wiig en mode “en chaleur sur le réceptionniste” est moins gênante que Bill Murray dans le premier Ghostbusters. Mais merde, c’était mal écrit, l’humour d’une lourdeur. Mais vu à qui ça sert la soupe de critiquer ce film, j’ai juste rien commenté nulle part, à part aujourd’hui.
Des minorités avaient de beaux rôles avant le wokisme, vous savez...
Mais surtout, le troisième effet, c’est que ça les transforme en sorte de gardien du temple de la blanchité hétérosexuelle au cinéma. Oui parce que je parle des acteurices de couleur ou juste d’actrices occupant un rôle d’action mais évidemment, ça concerne aussi les orientations sexuelles. Alors autant j’ai parfois tiqué sur le “lesbianisme soudain” d’héroïnes de série, autant la présence de personnes homosexuelles ne me dérange pas. Ce qui me gêne, c’est la mauvaise écriture. Vous savez, des personnages féminins badass, ce n’est pas une nouveauté. Je pense notamment à Sarah Connor qui passe de demoiselle en détresse mâtinée de final girl dans Terminator à guerrière ultra-badass dans Terminator 2. Ellen Ripley. Un acteur noir dans un premier rôle, on peut penser à Duane Jones dans La nuit des morts-vivants, Sidney Poitiers, évidemment. On peut parler de Denzel Washington, Wesley Snipes, Will Smith, Idris Elba qui ont eu des carrières avant le "wokisme". Je sais ça alors que je ne me prétends pas du tout cinéphile. Le fait d’associer un rôle majeur d’une personne issue de minorité a une notion de quota, de dénoncer chacun de ses rôles comme un choix discutable parce que dicté par un soit-disant politiquement correct… Ca se situe là, niveau dégueulasserie.
Votre pseudo neutralité profite clairement à un camp...
Je parle des chroniqueurs ciné mais ça aurait pu être sur d’autres sujets. Le fait de refuser tout ce qui se rapproche de près ou de loin de la politique parce que ça “salit” tout, tout en devenant les défenseurs d’une certaine blanchité hétérosexuelle par volonté de rester “neutre”, c’est pas le move brillant que vous pensez. Alors oui, le Ghostbuster avec le cast féminin était nul. Pas parce que le cast était féminin, juste que l’humour était lourdingue. Mais les débats sont devenus tellement crispés autour de l’identité des personnages principaux qu’avoir un simple avis sur un film devient un objet politique. Précisément à cause de gens qui ne veulent pas qu’on parle politique. Comme quoi, une fois de plus, la volonté de “rester neutre”, on voit à quel bord ça profite.