Non, il n’y a pas de jalousie face à la réussite

Ou plutôt : arrêtez de remballer toute critique avec cet argument pété, ça commence à me tendre. Plus le temps passe et plus la France me fait penser à ces puissances émergentes que j’étudiais au lycée. Genre le Brésil ou l’Argentine où les immenses villas de milliardaires côtoyaient les bidonvilles. J’ai littéralement vu ça aux Philippines, aussi. Pour une raison que je ne saisis pas, il y a des gens qui semblent prendre un malin plaisir de balayer toute critique, quel que soit le sujet. En général, ils vont lâcher un “les jaloux gna gna gna” ou sa version internette “Les rageux vont rager”. Il y a également cette sentence un peu agaçante du  “y a pire ailleurs” tenu par ceux qui ont sans doute trop regardé le Roi Lion. Alors je sais pas si tu es au courant mais Timon et Pumba ne sont pas vraiment posés comme des exemples à suivre. Hakuna Matata, ok, mais faudrait voir à doser. Parce qu’avec ce genre de discours, on ne peut plus discuter sérieusement…

Tout le monde ne réagit pas sous la pulsion de sentiments négatifs

Alors oui, je suppose que chaque réussite amène un certain nombre de jaloux ou de rageux. Je ne vais pas prétendre que ça n’existe pas. Déjà parce que ce n’est pas mon sujet. Oui, certaines personnes peuvent réagir avec jalousie ou méchanceté, si on parle de trolls. Mais il serait de bon ton de grandir un peu et de voir que toutes les critiques n’ont pas les deux pieds dans un limon de sentiments négatifs et qu’il y a des choses dont on devrait légitimement discuter. Notamment concernant la réussite professionnelle. Parce qu’on ne va pas se mentir : Bernard Arnault, il ne s’est pas fait tout seul non plus, hein. 

Ok pour aider les entreprises mais faut doser

C’est systématique. Dès que quelqu’un souligne qu’un fleuron français ne paie pas ses impôts et que c’est facile de faire de la croissance à trois chiffres quand on est gavés d’aides publiques, ça part. “Gna gna gna les jaloux, on aime pas la réussite en France”. Comme dirait Squeezie : le rapport, le rapport, quel est le rapport ? Vous savez, je ne suis pas opposée à ce que l’Etat donne des coups de pouce aux entreprises, que la fiscalité soit différente pour les uns ou les autres. Ce qui serait cool en revanche, c’est qu’on soutienne plus les David et moins les Goliaths. Je veux dire si les boîtes à Bernard sont de telles cash machines, pourquoi les soutenir ? Je sais bien qu’on ne prête qu’aux riches mais n’a-t-on pas la sensation qu’on confisque la réussite à ceux qui ne partent pas de la Haute, déjà ?

Bernard ne paie même pas beaucoup d'impôts

Et puis, il faut relativiser. Pour faire pleurer sur le sort des riches, on nous parle des sommes astronomiques qu’ils devraient payer en impôts. Oui, au conditionnel parce que, fun fact, plus t’es riche, plus tu paies des gens pour t’apprendre à optimiser ta fiscalité. Payer sa juste part d’impôts, c’est bon pour les pauvres et éventuellement, la classe moyenne. Ceux qui ont peu et qui, manifestement, ont besoin de peu. Car comme dirait le philosophe, ce qui compte, ce n’est pas d’avoir de l’argent mais savoir vivre avec ce que l’on a. Un truc comme ça. J’ai entendu ça dans une série mexicaine rigolote. Bref, en tant que bonne représentante de la classe moyenne, je paie environ 10 à 15% d’impôts sur mes revenus, selon ce que je gagne. Bernard Arnault ? Peu ou prou la même chose, “moins de 14%” si j’en crois cet article. Mais du coup, je ne comprends pas, je croyais que les milliardaires étaient écrasés par l’impôt qui leur suçait 45% de leurs revenus. Imagine, Bernard, il a un revenu annuel estimé à 1,3 milliard, toujours selon le même article. Si on lui “vole” 45% de ses revenus*, il ne lui resterait plus que… 845 millions. Mmm, déjà, je vais avoir du mal à pleurer sur ton sort. Parce qu’on nous assomme avec des pourcentages, on veut nous faire pleurer dans les chaumières sur le fait qu’on le saigne à blanc mais même s’il payait 45% d’impôts sur ses revenus, il lui resterait plus que ce que je gagnerais en une vie. Et oui, je sais “non mais il possède pas vraiment 1 milliard, c’est pas que son patrimoine, bla bla bla”. Son salaire de PDG n’est “que” de 7 millions. Certes. Mais il possède néanmoins un jet privé, un hôtel particulier, un château, une île privée, 25 terrains viticoles, plusieurs terrains sur les hauteurs de Los Angeles, un yacht et plein de voitures de luxe. Venez pas me faire chialer sur le fait qu’il n’est “pas vraiment” milliardaire. 

On peut parler optimisation fiscale ou ?

Mais évidemment, Bernard, il ne paie pas tout ça car l’optimisation fiscale et tout ça. Ce n’est pas illégal, bien sûr mais quand même… On vit dans un pays où on lâche les chiens sur des allocataires qui “trichent”, le famoso travail au black qui met un peu de beurre dans les épinards, la "triche aux allocs" alors que bon, même si on parvenait à chasser tous les “tricheurs” pour récupérer ce qu’ils doivent, on ne parviendrait pas à combler le trou créé par Bernard. Qui bénéficie des largesses d’un Etat complaisant, au demeurant. Est-ce qu’on ne peut pas admettre collectivement qu’on a le droit d’interroger cette inégalité sans qu’on nous parle de choses aussi triviales que de la jalousie ? Mais d’où je serais jalouse de Bernard ? On n’est tellement pas égaux au départ que j’ai envie de dire que la course de la vie, on la court même pas dans le même stade, à ce niveau-là. Et pour être honnête, si on reste sur le niveau des sentiments, autant je ne suis pas jalouse de Bernard, autant je peux ressentir une sincère sympathie pour des personnes qui se lancent dans l’entrepreunariat avec leurs petits deniers et leur envie. J’ai infiniment plus d’admiration pour une pote qui a ouvert un salon de manucure après un début de carrière dans le digital que Bernard qui a juste fait ce que son destin familial lui dictait.

Mais pourquoi vous le défendez ?

Ce qui me fume le plus dans cette histoire, ce sont les chiens de garde. Les quasi nobodies qui défendent Bernard et associés comme si c’était leur daron. Pourquoi ? Souvent, tu sens qu’eux-mêmes aiment à penser qu’un jour, les tracas des millionnaires seront les leurs. “Je suis entrepreneur moi-même, Bernard et moi, on est dans le même bateau”. Mais pas du tout. Déjà, tu as statistiquement plus de chance de finir dans le bateau des chômeurs ou de ceux qui galèrent que celui de Bernard. Je veux dire si tu as le temps d’aller sur Internet défendre un gars qui ne te donnerait même pas l’heure, c’est que ta petite entreprise doit pas rouler si bien que ça. Mais surtout, si tu te concentrais sur ce que tu es plutôt que sur ce que tu aimerais être, tu devrais être le premier sur les barricades devant LVMH. Avez-vous idée de toutes les largesses dont le groupe bénéficie de la part de l’Etat ? Mettez en parallèle l’histoire des boulangers contraints de mettre la clé sous la porte car ils ne pouvaient pas payer leur facture d’électricité et les aides reçues par LVMH et d’autres durant le Covid, sans aucune obligation derrière. Non seulement les actionnaires ont reçu leurs dividendes mais LVMH et L’Oréal ont annoncé, sans pression, la suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois.

Le problème, ce n'est pas la jalousie, vraiment pas...

Alors il paraît qu’en France, on n’aime pas la réussite, on la jalouse. C’est faux. On s’organise juste pour filer une énorme part du gâteau à quelques uns qu’on mettra toujours en avant, jusque dans la Cérémonie d’ouverture des jeux. Et tous les entrepreneurs qui sucent Bernard, alors que celui-ci aimerait plutôt qu’on ne parle pas de lui, devraient être révoltés de ne pas bénéficier d’autant d’aides ou de largesses. Plutôt que d’aduler celui qu’ils ne seront jamais. Bref, il serait bienvenu de capter que “critiquer”, ouvrir le débat, ce n’est certes pas jalouser. Parce qu’en plus, je suis persuadée que 80% des chiens de garde à Bernie seraient les premiers gagnants d’une meilleure répartition des aides à l’entreprise. 

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* Oui, je suis au courant que les impôts sur le revenus fonctionnent par tranche et que le calcul, ce n'est pas "45% du total des revenus" mais on est dans la grosse maille.