Aujourd’hui, je vous propose un petit pas de coté sur ma longue diatribe sur le monde du travail où les patrons sont des cons incompétents et les salariés tous en flirt avec le burn-out. Même si Robert y est allé très fort niveau dinguerie ces derniers temps. Je dirais bien que je m’inquiète de la santé mentale de ce monsieur mais de ce que j’en sais, il a toujours été comme ça. Ce n’est pas Alzheimer son problème, juste son sentiment de totale impunité qui l’encouragent à dire des trucs plus que border dans des réunions filmées… Et justement, toutes ces dingueries, ça nous fait rêver d’ailleurs, d’autres choses. D’une vie qui aurait du sens. Et évidemment, certains ont trouvé l’occasion de se faire un paquet de fric.
Faire semblant d'être totalement staffée
9h, j’allume mon pc. 18h, je l’éteins. Entre temps, beaucoup d’agitation pour faire croire que j’ai de quoi m’occuper pendant 8h. Genre j’écris des articles pour le site de ma boîte. Sur les six que j’ai écrit, dont un en anglais, aucun n’a été publié. J’écris des séquences de mail qui ne seront jamais envoyés, des stratégies qui n’intéressent personne. En gros, mes journées, c’est 2h de travail facturé clients et 6h à m’inventer des tâches car il ne faut surtout pas apparaître en “non occupé”. Et je dois justifier de ces 6h dans mes timesheets via des commentaires. Si je ne détaille pas, quelqu’un (qui, d’ailleurs ?) vient placer ces 6h dans la case maudite des “inoccupé”.
Un jour, je serai artiste
Alors forcément, quand on baigne 8h par jour dans l’absurdité, on a besoin de souffle. On se raconte des histoires à base de “ok, la majorité de ma journée est gâchée par un spectacle de gesticulations pour un Roi fou mais… c’est en attendant de réaliser mon rêve artistique”. Je suis la Reine de ça. Vous savez quelle est l’histoire que j’adore me raconter ? Qu'un jour, j’aurai un side project qui me rapportera suffsamment de tune pour passer au 4/5e voire 3/5e. Ecrivaine ou vendeuse de scoubidous, tant que je peux bosser moins…
Se récompenser de sa journée de travail
Et je ne suis pas la seule à rêver de ça. Quand je faisais mon bilan de compétences, l'organisme par lequel je passais avait mis en lumière le parcours de leur community manager. Pourquoi ? Parce qu'elle n'était pas que community manager mais aussi céramiste. Elle avait un “side project”. Moi aussi, j'ai des side projects, ça me parle trop. Moi aussi, je voudrais être autre chose que juste digital manager. Un métier, ou du moins une occupation, qui n'aurait qu'une vocation : m'inventer une autre vie, plus artistique. Penser que c'est ma juste récompense après avoir sacrifié 8h de ma journée à gesticuler pour faire croire que je suis occupée. Du coup, en activité annexe, j’oublie le théâtre. Ca me rappelle trop le boulot.
On se lance tous dans la création
Je suis persuadée que si la stat existe quelque part, les inscriptions aux cours amateurs de théâtre, poterie, peinture, écriture… explosent. Parce qu’on a besoin de ça pour ne pas devenir fous. D’ailleurs, tout ce qui est développement personnel nous pousse à ça. Utilisez votre temps libre pour créer. Quitte à vous retrouver avec 30 bougies artisanales dont vous ne ferez rien car vous n’en allumez jamais (ma soeur) ou une quinzaine de bracelets brésiliens à qui il manque des fermoirs pour être mis sur une boutique Etsy qui n’existe même pas (moi). On tisse, on coud, on noue, on fond. On apprend des textes par cœur, on répète trente fois la même chanson. On écrit des kilomètres de texte qu’on retravaille à l’infini. On noie l’absurdité de sa journée dans des activités qui nous apportent un apaisement.
Se faire du fric sur nos aspirations
Et vous imaginez bien que certains ont bien repéré notre besoin d’échapper à l’absurdité de nos vies et se sont dits qu’il y avait moyen de faire du beurre là-dessus. Je ne parle pas des associations gérant des petites salles de théâtre. Non, je parle des énième rejetons de la Start-Up Nation bien sûr. Depuis le Covid, les gens sont habitués à travailler en visio. Donc c’est le déluge de formations en ligne. Certaines avec des méthodes très cavalières. Je vous mets le témoignage de Reveditdesbetises sur Threads. Elle avait repéré des cours de théâtre en ligne mais au vu de la pression qu'on lui mettait pour vite signer le contrat de formation, elle a senti que ça puait.
Mettre la pression pour récupérer le numéro de carte bleue
Et ça, vous pouvez le constater vous-mêmes. Rendez-vous sur Domestika, par exemple, la plateforme de cours plutôt artistiques, c’est un sketch. “95% de réduction jusqu’à ce soir”. 95% ? 95% ? Mais enfin, soyez crédibles. Là, on dirait une mauvaise comédie française raciste où un personnage se retrouve dans un souk à négocier avec une caricature de marchand maghrébin. Allez, si tu signes dans les 2h, ton premier cours est à 0,99 €, waouh. Evidemment, si tu prends ce cours là un peu en urgences car t’es pressé, tu vas te retrouver à tester la version gratuite de Domestika plus… qui te coûtera 110 € avec la formule annuelle et 21 €/mois pour la formule mensuelle. D'ailleurs, les avis sur TrustPilot ne parlent que de ça. Des sommes correctes dans l’absolu mais on se connaît. A part quand on est sans emploi, jamais on ne suivra un cours par mois pendant un an. Même avec la formule mensuelle, y aura forcément un mois ou deux qui vont filer avant qu’on ne coupe l’abonnement. C’est le même principe que les salles de sport, littéralement.
Capitaliser sur nos aspirations déçues
Alors peut-être que les cours sur Domestika sont très bien. Dans la masse, il y a forcément de quoi trouver son bonheur. Tout comme les cours d’écriture qui me ciblent régulièrement sur les réseaux sociaux. Viens apprendre des plus grands, à ton rythme. Je comprends absolument que l’on soit tenté et que l’on cède à la tentation. Je n’exclus pas de reprendre des cours de dessin vectoriel un jour, des cours d’infographie, de stats… Evidemment, je vérifierai d’abord que ce qui est disponible gratuitement sur Youtube ne me suffit pas. L’idée ici n’est ni de blamer les profs qui enregistrent des vidéos sur ces plateformes, ni ceux qui achètent un cours. Les postures condescendantes de “ahah vous etes des pigeons, ceux qui prennent des cours là-dessus”, très peu pour moi. Déjà parce que c’est calibré pour que vous cédiez à la tentation. On a beau tous fièrement se dire qu’on est insensible à la pub, faut avoir le cran de se regarder en face deux minutes. Si j’ai pris des abonnements Audible et Nextory, par exemple, c’est pas parce que je suis tombée par hasard dessus. J’ai acheté des prêts à pousser, je me suis renseignée pour acheter des sortes de vernis à ongles autocollants parce que j’ai vu une pub. Je m’offrirai ça en novembre, je vais être un peu ric-rac ce mois-ci. Ce que je veux souligner, c’est avec quelle rapidité la start-up nation a su trouver un filon : celui de nos aspirations artistiques déçues.
Total cynisme
Cette société est tellement cynique. Se faire du beurre sur le rêve des gens. Ca ferait une bonne dystopie, je crois. Même si Total Recall a déjà proposé sa version, quelque part.