J’ai un rêve : le chômage. Ou plutôt une année sabbatique pour me faire un petit bilan de compétence et éventuellement une formation pour changer de carrière. Parce que je le disais, je suis quée-blo dans ma vie pro parce que ça fait des années que je peux résumer mon CV ainsi : “j’ai fui un taf toxique”. Et j’en ai un peu marre, quand même. Je veux me poser. Sauf que quand je parle de mes envies de chômage, ça fait un peu grincer des dents.
Les chômeurs, c'est que des flemmasses
Tout le monde déteste les chômeurs. Enfin, à en croire les médias et les micro-trottoirs de Guillaume Meurice. On aime toujours présenter les chômeurs comme des grosses flemmasses qui profitent du système. D’ailleurs, on a tous un voisin, un cousin ou une vieille connaissance qui fait ça. Moi, c’est ma cousine et y a eu mon ex, aussi. Une parce qu’elle a fait plein d’enfants et qu’il doit y avoir d’autres raisons. Mon ex parce qu’il a jamais su ce qu’il avait envie de faire de sa vie. J’ai une ancienne collègue, aussi… Elle, c’est intéressant. Elle bossait dans la même boîte que moi qu’elle avait quitté pour un autre poste, bien payé, plus intéressant. Au bout de trois mois, quand on lui a annoncé vouloir valider sa période d’essai, elle a refusé et négocié pour qu’ils y mettent fin. Elle n’en pouvait plus. Deux ans plus tard, elle a enfin trouvé sa vocation. Mais si elle a autant traîné, c’est qu’elle était incapable de passer la seconde. Traumatisée. Par Michel le toxique, notamment.
Personne ne fait jamais rien
On nous a toujours appris que le travail était la voie parfaite pour se réaliser, pour être. Et je l’ai longtemps cru. Le chômage post diplôme a été un peu difficile à vivre parce que je ne savais pas trop comment me définir vu qu’une des premières questions qu’on vous pose, c’est ce que vous faites dans la vie. Et quand on ne fait rien. Mais fait-on réellement rien ? J’écrivais tous les jours et… oh, j’aurais pu faire plus, sans doute. Mais personne ne fait rien, jamais. On fait ce que l’on aime… parce qu’on a du temps, notamment. Même si niveau charge mentale, c’est souvent assez gratiné, surtout côté revenus.
Le travail, c'est la dépression
Parce qu’on va pas se mentir, 80% d’entre nous travaillons pour gagner un salaire. La passion ? Partie aux oubliettes depuis longtemps, pour les quelques chanceux qui en avaient. Elle ne résiste pas au temps, aux petites humiliations, aux pressions débiles. Le monde du travail est une absurdité où chacun essaie de s’en sortir à coup d’empoisonnement de de manipulation. On écrit 150 films et chansons sur les chagrins d’amour mais ce qui rend vraiment malheureux, c’est le travail. Ah, c’est sûr, c’est moins passionné et flamboyant. Faire des chansons sur le spleen du lundi, le mal de bide quand on se rend au bureau, le coeur au bord des lèvres quand un mail que l’on sait agressif poppe sur votre boîte mail. Cette incapacité à se détendre, à respirer, à se dire que ce n’est rien de grave. Et les camarades qui tombent autour de nous. Les licenciés économiques, les harcelés, les épuisés. Personne n’écrit de chansons sur le burn-out, très peu de films. C’est même souvent un ressort pour jeter un personnage dans une aventure. Tout plaquer et partir à l’autre bout du monde. Sauf qu’en vérité, peu peuvent se le permettre.
On doit souffrir tous ensemble !
Il y a quelques temps, j’avais lu un article expliquant pourquoi les gens étaient aussi en colère vis-à-vis de ceux qui ne jouaient pas le jeu du confinement et du port du masque. Je suis moi-même agacée par les gens qui postillonnent dans le RER sans masque… ou pire, dans mon open space. Plus parce que j’ai pas envie de tomber malade qu’autre chose. J’aurais aussi aimé croire que si on porte tous correctement le masque, ceux qui ne le font pas se sentiront gênés mais le sentiment d’impunité, hein… Mais en substance, l’article expliquait que les gens étaient en colère de devoir suivre des règles strictes et de constater que certains s’en affranchissaient. Et je vois le parallèle avec le monde du travail. On en veut aux chômeurs de s’offrir la parenthèse dont on rêve. Alors comprenez-moi bien. Je ne dis pas du tout que le chômage est une joyeuse partie de plaisir. Je parle de la colère des gens envers les chômeurs. J’ai moi-même mal vécu mon inactivité initiale. Mais on aime raconter que les chômeurs vivent leur meilleure vie pendant que nous, on trime. On souffre.
Moi, je rêve de chômage
Moi, je fantasme depuis des mois sur le fait de me retrouver au chômage. Juste le temps de souffler, de prendre du recul, d’arrêter la douche d’acide sous laquelle je vis depuis 14 ans. Mais dès que j’évoque ce projet, je sens le jugement. Le “non mais ça va, la feignasse”. Bah écoutez, j’ai travaillé 14 ans sans m’arrêter, j’ai cotisé comme il se doit. Et je vais pas rougir de stopper un peu cette débilité qu’on appelle le travail en se racontant que là, on est juste tombé dans une boîte de merde ou que c’est la faute du manager. Peut-être que tout cette toxicité, c’est pour nous faire oublier que nos jobs ne servent à rien et que s’ils disparaissaient demain, personne ne s’en rendrait compte. Et paradoxalement, on a eu zéro perturbation de notre activité pendant le Covid. Des fois, je rêve de l’Effondrement. Parce que là, tout ça ne rime plus à rien.