Non ! Oui, j’aime répondre aux questions dans les titres dès les premiers mots mais vous inquiétez pas, je vais développer un peu, vous allez voir. Dans un débat, l’argument d’autorité débarque très régulièrement. Je ne parle pas du fameux “je sais de quoi je parle, je me suis renseigné” mais plus le déballage des diplômes pour savoir qui a la plus gros… euh non, qui a raison parce qu’il a le bout de papier adéquat. Sauf que… ça marche pas en fait.
T'es docteur ? Non mais toi non plus
Et je vais vous reparler de la chloroquine. Je vous jure, je serais étudiante en sociologie réseau-sociale, j’y consacrerais un mémoire tellement je trouve la structure du débat autour de ce sujet fascinante. Donc reprenons. Vous vous souvenez, y a un Professeur qui débarque, qui dit que ce médicament est un miracle pour soigner le covid. Là, c’est parti pour le pugilat entre les pros et les antis. Et mes chouchous dans cette histoire, ceux qui se foutent de la gueule des pro chloroquine “Ouais, Jean-Mi, vas-y, t’as fait médecine, toi ? Non alors tais toi”. Alors certes mais toi, Pascal, tu es conseiller bancaire, de quoi parles-tu ? Comment, toi, tu peux attaquer la légitimité de l’avis de Jean-Mi par rapport à son absence de diplôme de médecine… alors que toi-même, tu n’en as pas ? Contrairement à Didier Raoult, Philippe Douste-Blazy. Est-ce que tu as un nobel de médecine qui te rend plus légitime que Luc Montagnier sur les questions de vaccins ? Non.
Alors je ne dis pas que le diplôme donne raison. Puisque les gens que j’ai cité… hmmm. On pourrait même parler de la controverse autour du Nobel de Montagnier mais c’est pas mon sujet. Sachez juste qu’à un moment, je savais plus si j’étais vénère que la chloroquine ne marche pas parce que j’en avais marre du confinement et tout ça ou juste parce que j’aurais joui de voir tous les connards condescendants s’étouffer avec leur morgue. Mais j’adore vraiment cet anti-argument d’autorité “tu n’es pas médecin, ton avis ne compte pas”, tenu par des centaines de gens qui ne sont pas du tout dans le médical. Du coup, si on a aucune légitimité, vaut mieux fermer sa gueule ? Alors dans l’absolu, oui. Tiens, ce serait un bon article, je note l’idée. Sauf qu’à partir de quand on a une légitimité ?
On a vu que le diplôme n’était pas toujours une bonne façon de trier le grain de l’ivraie. D’ailleurs, moi, je suis responsable acquisition alors que j’ai zéro diplôme de marketing. Ouais, quand tu penses que mes sept ans d’études ont dû coûter l’équivalent d’un an d’école de marketing, cheh ! Donc ce qui ferait autorité, c’est la pratique. Ce qui élimine nos amis Raoult et Douste-Blazy… Mais du coup, que penser des médecins qui ont affirmé prescrire de la chloroquine ? Comment se fait-ce que ma nouvelle N+2 soit violemment larguée alors qu’elle est censée avoir 25 ans d’expérience dans le digital ? Et c’est pareil chez vous, je suis sûre. Dans votre boîte, je parie qu’il y a un directeur ou une directrice qui est censé.e être une pointe dans son secteur et quand vous commencez à creuser. Rien, nada, que pouic.
Alors quoi ? Se forger une expertise est la porte ouverte à tous les biais de confirmation. Suffit-il de se prétendre expert pour l’être ? Vous savez, à une époque, j’avais une volonté. Celle de prendre un sujet où j’ai une culture très pauvre et me constituer un bagage en toc. Genre le cinéma. Je suis nulle comme cinéphile, je dois voir dix films par an et quasi jamais au cinéma. Les trois-quarts de ma culture cinéphile, je la dois à Karim Debbache, Fossoyeur de films, Clara Runaway, Cinémaniaque, NotSerious, Meeea, Fabien Campaner, certaines vidéos de Licarion, Ginger et ses adaptations… Et c’était tout le principe de mon arnaque. Le name dropping ? Non, écrire un blog ou faire des vidéos sur le sujet en cumulant des connaissances succinctes. Pourquoi faire ? Pour prouver que toute autorité est branlante… et aussi me prouver que je peux devenir crédible sur n’importe quel sujet en grattant les bonnes infos. Je vous rappelle juste qu’il y a deux ans et demi, je n’avais jamais géré la moindre campagne d’acquisition. Ou fait de traffic management, c’est le même métier. C’est comme community manager, social media manager, social media strategist… tant de nom pour, souvent, le même métier. Aujourd’hui, je gère un service dédié (soit un alternant et ma pomme) à ce sujet. Vous le sentez mon syndrome de l’imposteur qui me chatouille les pieds, là ?
Mais ce qui me bute, c’est que beaucoup fondent leur légitimité sur… Checknews, libé désintox et tout ça. Notamment notre ami Pascal qui réclamait le diplôme de médecin à Jean-Mi, là. Ce n’est pas du tout une critique des sites de fact checking, pour le coup. Mais lire un article qui vous explique que, non, la chloroquine n’est pas efficace sur le coronavirus ne vous donne ni le droit ni le poids de prendre quelqu’un de haut comme si vous saviez de quoi vous parlez. Sur ce sujet, je l’avoue, je me suis fait mon avis par rapport à des articles que j’ai lu mais ça ne fait pas de moi une experte, je le répète. Bien sûr que vous avez le droit de partager un article explicatif mais arrêtez de le faire en vous posant en personne qui sait. Vous savez rien du tout. Vous avez lu un article, redescendez.
Bref, cette année 2020 m’a un peu cassé les fondements. Je réalise que la légitimité est quelque chose de très relatif et que nous n’avons finalement que la légitimité que l’on nous confère. Ou que l’on se confère. Quand je vois certains Youtubeurs qui se prétendent experts d’un sujet car ils ont réalisé trois vidéos sur un sujet et estiment que leur avis ne souffre aucun débat car c’est scientifique… Vous me voyez venir sur la zététique ? Vous voyez bien, on en parlera la prochaine fois. En attendant, à défaut de savoir à qui donner une certaine légitimité, je devrais m’inspirer un peu. Quand je vois certains usurpateurs ou usurpatrices soupirer d’aise dans leur rôle, l’éternelle victime du syndrome de l’impostrice que je suis soupire d’envie.